C’est un auteur discret, voire bougon, qui n’aime pas quitter la Bretagne où il s’est réfugié. Et comme il ne se trémousse pas devant les caméras pour commenter le temps qui passe, on a un peu pris l’habitude de l’oublier.
Et pourtant, quel expérimentateur, quel dessinateur puissant, et quel bâtisseur d’univers inventif ! De son vrai nom Andreas Martens, Andreas est certes né le 3 janvier 1951 à Weißenfels, en Allemagne (de l’Est, à l’époque) dans le Land de Saxe-Anhalt, mais il est aussi un produit de l’École Belge et de l’École américaine. En clair, l’un des premiers tenants d’un style mondialisé.
Après avoir suivi pendant un an les cours de l’Académie des beaux-arts de Düsseldorf (il avait raté de peu la date d’inscription auprès de l’institution bruxelloise), il rejoint le fameux Institut Saint-Luc à Bruxelles, l’une des premières écoles de BD du continent, et fait ses premières armes avec les dessinateurs de sa génération en compagnie de Claude Renard et François Schuiten, Tony Cossu, Philippe Berthet et Philippe Foerster.
Mais c’est celui qui a été son professeur de cours du soir, le très classique Eddy Paape (Luc Orient, Marc Dacier, L’Oncle Paul…), qu’il assista entre autres sur la série Udolfo ainsi que sur Luc Orient, qui le fait entrer par la grande porte dans le Journal Tintin.
Ce gros bosseur, régulier et fidèle, travaillera pour le Lombard sans discontinuer jusqu’à aujourd’hui, non sans produire à côté pour les jeunes éditeurs indépendants de l’époque : Michel Deligne, Magic-Strip et surtout Guy Delcourt, encore son éditeur actuellement.
Un expérimentateur remarquable
Dès 1978, il réalise une bande dessinée qui tranche radicalement avec la production de l’hebdomadaire des 7 à 77 ans. Influencé par le comic-book américain, et en particulier les dessinateurs Bernie Wrightson, Barry Windsor-Smith, Neal Adams ou Alex Toth, il intègre dans sa bande dessinée d’inspiration franco-belge les codes de la grammaire graphique américaine.
Sa culture est celle d’un fantastique inspiré par H.P. Lovecraft, Edgar Allan Poe voire Jean Ray. Cela donne Rork avec, au début, ses courts récits percutants où il expérimente des découpages audacieux qui montrent à quel point il est intéressé par toutes les audaces et toutes les possibilités du médium. Comme Alan Moore, dont il est contemporain, il réalise des narrations qui ne sont possibles que dans le contexte du 9e art.
Avec son encrage anguleux et en même temps très habile, Andreas dénote par la volonté d’expérimenter continuellement de nouvelles formes de découpages et de techniques, comme en témoigne un album entier fait sur la carte à gratter (Révélations posthumes,aux éditions Bédérama, avec François Rivière, 1980), comme l’avaient fait avant lui le Français Tardi, puis après lui le Suisse Thomas Ott ou le Turc Emre Orhun.
Il s’ensuit une quarantaine d’albums qu’il réalise avec un incroyable brio, des histoires complexes où différentes séquences ou époques se trouvent enchâssées, les cases elles-mêmes prenant des formes les plus diverses, associées à des cadrages azimutés. Toute lecture d’Andréas est une expérience bluffante.
Une cinquantaine d’albums en près de 40 ans
Installé en France, d’abord à Paris puis en Bretagne à Saint-Brieuc puis à Rennes où il réside de 1995 jusqu’à aujourd’hui, il est de toutes les batailles de son temps publiant dans Tintin, mais aussi (A Suivre) ou Métal hurlant. En 2002, on le voit même participer à la série Donjon de Lewis Trondheim et Joann Sfar aux éditions Delcourt.
Ses grandes séries sont Capricorne (20 tomes) au Lombard et Arq (18 tomes) chez Delcourt auxquelles s’ajoutent d’ébouriffants one-shots (Cyrrus-Mil, le Triangle rouge, X-20...).
Sans concession, son travail trouverait dans son accession au Grand Prix une juste reconnaissance et distinguerait pour la première fois un Allemand dans ce palmarès de référence. Auteurs qui nous lisez, vous savez ce qu’il vous reste à faire...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photo en médaillon : Le Lombard / D.R
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