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Guillaume Dorison : « Le Global Manga est la troisième voie de la BD »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 18 mars 2008                      Lien  
Le mot était sur toutes les lèvres à la « 8th Hong Kong International Comic Artist Conference » : « Global Manga » ! En France, ce concept a un pionnier, Guillaume Dorison (oui, le frère du célèbre scénariste), éditeur du label Shogun aux Humanoïdes Associés. Il nous explique sa démarche dans un débat aujourd’hui au Salon du Livre de Paris.
Guillaume Dorison : « Le Global Manga est la troisième voie de la BD »
BB Project
Scénario : Kaze - Dessin : Shonen - Ed. Humanoides Associés

À Hong Kong, vous avez utilisé un concept qui commence à faire son chemin en France, le « global manga »…

La première fois que j’ai entendu ces termes, c’est à Francfort, lors de la Foire Internationale du Livre dans le stand de l’éditeur américain de mangas, Tokyopop. Historiquement parlant, ils ont été les premiers à développer une véritable ligne de mangas avec des auteurs principalement américains. Ils utilisaient le terme « Global Manga » pour des mangas qu’ils produisaient et qu’ils exportaient un peu partout en Europe, principalement en Allemagne. Ce vocable, nous, on l’utilise différemment : il nous semble mieux correspondre à une réalité que les termes de « manga français » ou de « manga européen » ne recouvrent pas, Cet usage de « manga français » est très réducteur et à la limite péjoratif. C’est comme si on disait « le Rock ‘n roll européen » ou « le film de science fiction français » ».

On parle pourtant de « rap français ».

On le dit mais je trouve cela péjoratif et réducteur. Cela dit, quand on parle de rap français, cela ne concerne que les Français. Mettre notre production sous l’étiquette de « mangas français » alors que nous avons moins de 10% d’auteurs français, c’est forcément réducteur. Pour nous, aux Humanos, le « global manga » signifie que l’on va créer sur un support en noir et blanc, avec des trames, un rythme de parution rapide et un mode de narration proches de ce que l’on peut voir dans le manga, mais avec nos influences et notre culture occidentale. Le but est de marier des artistes à travers le monde entier, qu’ils soient français, chinois, japonais, américains, malaisiens, britanniques… Peu importe en fait, l’idée est vraiment là : on fait de la création de BD, on n’a pas de frontière. Si on rencontre de bons auteurs français, on travaille avec eux. Mais on n’est pas là pour travailler avec des auteurs français, on est là pour publier de bons livres. On travaille avec des artistes du monde entier pour obtenir le meilleur produit possible. D’où le terme de « global manga » qui pourrait être aussi bien de la « globale BD » si on faisait des livres dans le format BD. « Global » pour la diversification des auteurs, « manga » parce que l’on travaille dans une méthode qui est celle des mangas.

Guillaume Dorison au moment de l’inauguration de la 8ème Conférence Internationale des artistes de bande dessinée de Hong Kong
Photo : With Courtesy of Kenny (Malaysia)

En France, ce n’est pas facile. Les amateurs de mangas regardent votre production d’un œil un peu circonspect…

Oui. On est bien mieux accueillis à l’étranger, en fait. Il faut savoir qu’il y a en France une très forte culture manga. Nous sommes parmi les plus gros consommateurs au monde après le Japon. Alors, forcément, il y a toute une population qui s’est énormément développée autour d’un petit nombre de licences très connues et qui vendent beaucoup. Il y a une sorte de cliché qui laisse entendre que ce qui n’est pas japonais est forcément mauvais. C’est évidemment un cliché stupide : on ne juge pas une œuvre sur son origine ethnique. Bien sûr, les Japonais ont des années d’avance en matière de manga, c’est compréhensible, et d’ailleurs, ce serait une erreur de copier ce qu’ils font. Nous ne cherchons pas à faire ce qu’ils font. Nous disons simplement : vous avez trouvé un support extraordinaire pour faire de la BD, une méthode et une industrialisation de ce média remarquables et on veut s’en inspirer pour créer nos BD. Cela s’arrête là. À partir de là, cela a été difficile de démarrer car, comme le rap français, nous étions assez mal vus. Mais au bout d’un moment, certaines œuvres, par leur qualité, font la différence et cela commence à entrer dans les mœurs. Aujourd’hui, on ne nous dit plus : votre travail est bien ou mal parce qu’il est produit en France, mais pour telle ou telle raison de dessin ou de scénario. Pour certaines œuvres, cela a été difficile, même si certaines séries ont fait de beaux succès, comme All In, une série sur le poker ou encore Sanctuaire Reminded, parce que c’est une œuvre de très grande qualité. Mais on commence à faire notre trou. On peut dire que nous vendons au même niveau qu’un manga japonais moyen qui ne relève pas d’une grosse licence.

Kairi T2
Dessin : Janina Görrissen - Scénario : Audrey Diallo- Ed. Humanoides Associés

Sauf que, contrairement à vos confrères, ici vous développez et financez complètement le produit. C’est donc moins rentable.

Si l’on ne vendait que les quantités d’un manga japonais moyen en France, ce serait une perte ! Mais quand on a lancé cette série, on ne visait pas que la France. « Global manga » signifie que l’on arrête pas la diffusion au pays dans lequel il a été produit, on vise le marché international ! Il faut savoir que les tirages français de nos livres, comparés à ceux de nos traductions à l’étranger, sont tout bonnement ridicules. Nous éditons, dans certains pays, quatre, cinq, voire six fois plus au niveau du tirage à l’étranger qu’en France !

Quels sont les pays où vous êtes présents ?

L’Espagne, l’Italie, l’Angleterre, bientôt les États-Unis, l’Allemagne… Pas mal de pays de l’Est et des pays qui n’ont pas les moyens de se payer une licence japonaise ou qui ne sont pas très développés dans le manga. Ils ne vont donc pas juger sur le critère de l’œuvre japonaise, connue ou non. Ils vont seulement s’intéresser à la qualité du contenu. Dans ces pays où la BD japonaise n’est pas encore très bien implantée, ils sont très preneurs de ce que l’on fait, notamment parce qu’ils apprécient le caractère culturel occidental de nos produits. À Hong Kong, où j’étais présent au « sommet des mangas », la 8ème International Comic Artist Conference, j’ai été contacté par énormément d’auteurs chinois, malaisiens, même japonais… qui exprimaient leur désir de venir travailler avec nous. C’est très positif. Cela montre l’intérêt qu’ils ont porté et l’importance qu’ils accordent à ce que l’on fait. En même temps, nous avons des ouvertures auprès d’éditeurs de Hong Kong, de Singapour, de Malaisie, et évidemment du Japon. Le vrai marché du « Global Manga » est d’ailleurs là. Dans le monde du manga, il y a ceux qui traduisent et ceux qui exportent. Ces derniers sont évidemment aujourd’hui à 99% les Japonais. Dans les 1% restant, il y a les Coréens, les Chinois, les Américains de Tokyopop… et nous ! Nous sommes les seuls en France à avoir réellement lancé une ligne de production. Il y a eu Pika avant ou encore Delcourt, mais c’était plutôt de la recherche et développement. Ils n’avaient pas comme nous la volonté d’en faire une industrie, c’était juste pour faire des effets et voir comment ça pouvait prendre. Nous, on a une réelle volonté de développement et d’exportation de notre collection qui va au-delà du « coup » médiatique.

Une page de Pen Dragon
Par Mika - Ed. Humanoides Associés

Vous existez depuis maintenant un an et quelques mois… Quel est votre bilan ?

On se rend compte que, paradoxalement, les titres qui ont le meilleur succès critique, public et presse mais qui sont les plus orientés vers un format franco-belge sont ceux qui ont le plus de mal à décoller parce qu’ils ont encore, je dirais, le cul entre deux chaises. Mais en même temps, je pense que ce sont ces titres qui ont le plus de potentiel à l’avenir car ils représentent véritablement la « troisième voie » de la BD. Les titres qui marchent le plus pour le moment chez nous sont les titres qui ressemblent le plus à des mangas japonais et qui marchent parce que le public veut ce genre de produit : All In, Holly Wars, PenDragon,… Tous ces titres-là marchent très forts. Mais, alors qu’il a eu du mal à décoller, Sanctuaire Reminded qui en est à son tome 3 commence à rattraper ces titres-là. Parce que le public franco-belge commence à s’y intéresser et parce que les amateurs de manga qui veulent lire des choses un petit peu plus adultes commencent aussi les regarder de près. C’est ce qu’on voulait : la recherche d’une troisième voie de la BD qui ne sera ni de la franco-belge, ni du manga – un fait que je ne nie absolument pas. Cela a la forme du manga japonais, mais on cherche quelque chose qui va au-delà de ça, le fameux « global manga ».

Sanctuaire Reminded
Dessin : Riccardo Crosa - Scénario : Stéphane Betbeder - Ed. Humanoides Associés

Vous avez lancé trois revues, orientées vers des publics différents : Shogun Shonen, Shogun Seinen et Shogun Life. C’est pour faire comme les Japonais ?

Oui. On a importé leur modèle industriel. Ce sont des magazines de prépublication destinés à faire connaître les séries. Mais pas seulement : nous voulons imposer un rythme de production à nos auteurs. Il y en a parmi eux qui « tiennent » trente à quarante pages par mois. Cela favorise, dans le champ même de l’écriture, le fait de publier à chaque fois un épisode, comme dans une série télé américaine, et croyez-moi, ça marche ! On sait que l’on va faire tous les mois un cliffhanger [ une chute qui relance le suspens. NDLR ], on va se forcer à faire des climax, des incidents déclencheurs, à organiser une certaine structure dans la narration, avec un côté feuilletonesque, pour assurer un épisode par mois qui se tienne. Et bien, ça, ça fait vachement progresser nos auteurs et, au final, ça change tout.

Propos recueillis par Didier Pasamonik

Projet pour Crusades
Scénario : Irons.D & Alex Nikolavitch - Dessin : Zhang Xiaoyu - Ed. Humanoides Associés

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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En médaillon : Guillaume Dorison - Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

 
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