Le scénario ne ménage pas le lecteur. C’est une suite incessante d’ellipses, de jeux de narration, d’idées nouvelles. Certains auteurs s’amusent le temps d’une séquence à manipuler les ressorts classiques. Christophe Blain n’utilise que cette manière de filer, il sautille, il virevolte se régalant de la moindre possibilité pour inventer encore et encore. Tout y passe : violence, tendresse, moments fugaces, volutes de fumée de cigarette, siestes au creux d’un rocher, attaques de train, étreintes amoureuses. La bande dessinée dans ses derniers retranchements avec pour buts principaux de donner de la chair à ces personnages pourtant si graphiques et amuser le lecteur. Une idée par case.
Blain peut s’attarder deux pages sur une embrassade et traiter de la langueur du temps qui passe en trois cases. Une leçon de maîtrise. Une santé surtout. Il faudra bien que l’on classe enfin ce grand auteur dans cette catégorie ambiguë : Blain est (aussi) un fabuleux dessinateur humoristique. Il y avait les gros-nez, il y a désormais les longs.
Un seul bémol (noyé dans le plaisir) : on arrive au bout des 84 pages de ce tome 2 et nous voilà contraints de patienter plusieurs mois pour lire la suite. Le personnage vit, va sans savoir, court et galope de surprise en surprise. L’auteur aussi, sans doute un peu. Alors que le propos est si jouissif, être ainsi obligé de ronger son frein est une torture pour le lecteur.
C’est vers le concept éditorial qu’il faut se tourner. Cette frustration est explicable. Attendre deux ou trois ans que Christophe Blain termine un très long récit et le publier en un seul bloc serait aussi éprouvant. Le publier en couleurs (géniales) dans une pagination aussi élevée coûterait très cher. On reste donc dans l’entre-deux. La bande dessinée que l’on sait pourtant affranchie de certaines considérations techniques doit parfois encore naviguer à vue .
(par Sergio SALMA)
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