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Havre de légitimation pour la BD

Par Thierry Lemaire le 10 octobre 2010                      Lien  
La 3e édition de la Biennale d'art contemporain du Havre joue la carte de la bande dessinée. Avec comme parti-pris de construire des passerelles et de rapprocher les disciplines sans esprit de hiérarchisation. Une réussite.

« BD et art contemporain » ou « Bd est art contemporain » ? En intitulant la 3ème biennale du Havre « Bande dessinée et art contemporain, la nouvelle scène de l’égalité », Jean-Marc Thévenet, son commissaire général, a clairement choisi son camp dans le débat, ni anodin ni figé, du positionnement de la bande dessinée. Alors que l’exposition Vraoum ! confrontait planches originales et œuvres de plasticiens, cherchant à montrer l’influence du 9ème art sur ces derniers, la biennale s’attache plutôt à décloisonner, à abolir les frontières. Sans esprit de hiérarchie, bédéastes, plasticiens et photographes se côtoient ainsi sur les cimaises du port dont le centre-ville est inscrit au patrimoine mondial de l’humanité.

Havre de légitimation pour la BD
Les Optimists de Pauline Fondevila sur le bassin du commerce en plein centre-ville
(c) Thierry Lemaire

À travers une dizaine de lieux disséminés dans la ville, les visiteurs verront à proprement parler très peu de bande dessinée, mais un ensemble d’œuvres utilisant les codes graphiques et narratifs de l’art séquentiel. Certaines s’en éloignant plus que d’autres, comme les voiles d’Optimists (comprendre bateaux école de 2,30 m) couvertes de phrases diverses imaginés par Pauline Fondevila sur le bassin du commerce, les toiles d’Olivier Bramanti au Pasino (comprendre casino Partouche), les cabines de bain décorées à la mode Pop art par Virginie Barré à la Société des régates ou les « villes en creux » d’Armelle Caron. Mais c’est bien l’entre-deux qui intéresse ici Jean-Marc Thévenet, les points de contacts.

Les cabines de bain décorées par Virginie Barré
(c) Thierry Lemaire

Deux lieux se distinguent particulièrement dans la programmation. Le premier est la villa maritime Armand Salacrou. Sur le principe du mélange des disciplines, cinq artistes se partagent l’espace. Les photos de Jacques Charlier présentent une collection, bien réelle, d’artistes inconnus. Les dessins de Wim Delvoye détournent l’univers de Walt Disney de manière très pornographique. Les tableaux de Jivya et Sadashiv Soma Mashe puisent aux sources néolithiques leurs représentations de la société. Jochen Gerner, comme à son habitude, dissimule pour mieux montrer.

Avec l’œuvre de Vaughn Bodé – reprise par son fils Mark – on est presque surpris de découvrir enfin une « vraie » bande dessinée. L’intérêt de ces planches exposées pour la toute première fois au public (à noter toutefois que les originaux ont été remplacés au bout de quelques jours par des reproductions eu égard à leur fragilité au contact de la lumière) tient dans le style graphique et le travail des matières au marqueur (travail tout simplement éblouissant) qui inspira les premiers graffeurs américains et est encore actuellement présent sur nos murs.

Abstraction de Jochen Gerner
(c) Thierry Lemaire

Le second lieu d’importance est le Musée maritime et portuaire du Havre, grand hangar posé sur les quais. Il accueille l’exposition principale regroupant une vingtaine d’artistes dont certains noms (François Olislaeger, Ruppert & Mulot, Winschluss, Ilan Manouach, Joost Swarte, le collectif Atrabile) feront dresser l’oreille de l’amateur de BD. L’homogénéité des œuvres, le respect de l’entre-deux, donne à ce musée éphémère un caractère hybride assez remarquable.

Le musée maritime et portuaire transformé pour l’occasion en musée d’art contemporain
(c) Thierry Lemaire
L’espace dédié à Atrabile
(c) Thierry Lemaire
Le 10x10 d’Ibn al Rabin
(c) Thierry Lemaire
Jérôme Mulot et Florent Ruppert
(c) Thierry Lemaire

S’il n’y avait que deux choix à faire dans ce foisonnement créatif, ce serait sans aucun doute ceux d’Atrabile et de Ruppert & Mulot. Dans le cadre du Festival international de Lausanne BD-FIL, l’éditeur suisse proposait en 2007 à ses auteurs un défi très oubapien : réaliser une œuvre sur 100 post-its disposés en un carré de 10 x 10. Autant dire que Frederik Peeters, Ibn Al Rabin, Alex Baladi, Ruppert & Mulot, Manuele Fior, Peggy Adam, Pierre Wazem, François Olislaeger et dix autres auteurs atrabilaires ont pu s’en donner à cœur joie. Le résultat est à voir absolument cette année au Havre.

Avec le petit théâtre de l’ébriété, Florent Ruppert et Jérôme Mulot ont amélioré leurs phénakistiscope pour passer carrément à des zootropes made in XXe siècle. Les personnages ne sont pas dessinés sur une bande de papier mais découpés et placés en cercle sur le plateau d’un tourne-disque. Pas de cloison percée de fentes pour regarder à travers, mais un éclairage stroboscopique qui dramatise l’action et ajoute un surprenant effet de ralenti. Certaines "machines optiques" sont particulièrement inventives. À mi-chemin entre l’installation et le dessin animé, les duettistes propose dans une salle plongée dans l’obscurité une dizaine de saynètes qui se suivent et racontent une courte histoire. Intelligent, spectaculaire et très drôle.

Une cinquantaine d’artistes accueillis par une dizaine de lieux qui présentent pour la plupart, il n’est pas inutile de le rappeler, des œuvres originales spécialement conçues pour l’événement. On n’a pas si souvent l’occasion d’aller au Havre pour refuser une telle invitation.

Une saynète de Ruppert & Mulot à l’arrêt
(c) DKBO

(par Thierry Lemaire)

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Code EAN :

Biennale d’art contemporain du Havre
du 1er au 31 octobre 2010
Entrée libre et gratuite dans tous les lieux

 
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6 Messages :
  • Havre de légitimation pour la BD
    11 octobre 2010 08:14, par max

    Je ne vois pas pourquoi vous penser qu’il faut légitimer la bd en utilisant l’art contemporain comme support ? Les plasticiens exposés au Havre sont plus des artistes contemporains que des auteurs de bds. Et c’est très bien comme ça. Si on suit votre raisonnement, un artiste comme Lichtenstein, parcequ’il a détourné des images de comics, serait un auteur de bd...

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    • Répondu par Thierry Lemaire le 12 octobre 2010 à  00:48 :

      Bonjour max,
      je n’ai pas bien compris comment vous arrivez à votre conclusion à partir de mon article, mais en tout cas, ce n’est pas mon raisonnement.
      Je ne suis pas d’accord avec votre phrase "Les plasticiens exposés au Havre sont plus des artistes contemporains que des auteurs de bds." D’abord parce qu’il y a réellement beaucoup d’auteurs de BD à la Biennale (relisez la liste). Ensuite parce que j’écrirais cette phrase ainsi : "Les plasticiens exposés au Havre sont des artistes contemporains dont certains sont des auteurs de bds." Et on se rapprocherait ici de mon raisonnement.
      Comme dit Sergio Salma dans les commentaires de l’interview de Jean-Marc Thévenet : la bande dessinée c’est de l’art contemporain. Pour pouvoir arriver à cette conclusion, il faut bien utiliser l’art contemporain comme cadre, non ? Après, je ne dis pas que c’est la seule manière de légitimer le medium. Mais c’en est une.

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      • Répondu le 12 octobre 2010 à  14:03 :

        La BD n’a besoin d’aucune légitimation.

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        • Répondu par Lo le 12 octobre 2010 à  20:56 :

          Effectivement, la BD n’a pas forcément besoin de légitimation. En revanche, elle a besoin de s’étendre et de se diffuser sur de nombreux terrains comme le font les autres moyens d’expression. Elle a donc besoin d’être présente dans une manifestation d’art contemporain, comme elle a besoin d’être présente en kiosques, dans les rayons des supermarchés, dans les librairies généralistes, en support numériques ou en salles de ventes.
          Ce dont la BD n’a surtout pas besoin, c’est d’ostracisme.

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          • Répondu le 12 octobre 2010 à  23:51 :

            On parle d’art, vous parlez de "branding". Aujourd’hui l’art contemporain, demain la littérature... bientôt le monde !!! Et qui parle de légitimation ? Défendez au moins l’art que vous aimez pour ses qualités intrinsèques, pas parce qu’il pourra devenir demain un bon slogan sur un T.shirt.

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          • Répondu le 13 octobre 2010 à  12:56 :

            On appelle ça de l’exposition pas de la légitimation.

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