Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion d’admirer des originaux de He Youzhi. Si le musée d’art moderne de Shanghai lui consacrait une salle jusqu’à l’an dernier, le déménagement du musée fin 2012 dans le pavillon chinois de l’Exposition Universelle de 2010 n’a semble-t-il pas encore offert d’espace au plus grand dessinateur de lianhuanhuas. Comme Hangzhou n’est qu’à une heure de Shanghai en CRH, le TGV chinois, la balade s’imposait.
Pour Ma Fenghui, directeur du musée et commissaire de l’exposition, « celle-ci s’imposait pour rendre hommage à He Youzhi, originaire de la province du Zhejiang. Par ailleurs, le festival de manga et d’animation qui se déroule chaque année au mois d’avril à Hangzhou pousse à organiser d’autres évènements en liaison avec la bande dessinée.
Quoi de mieux que de pouvoir offrir aux jeunes dessinateurs locaux n’ayant comme référence que les mangas japonais des originaux d’une rare beauté ? Quant au grand public, s’il connait les œuvres de He, il ignore bien souvent l’artiste : c’est donc l’occasion d’expliquer un peu qui il est. »
Je m’étonne du fait que l’exposition ne dure que trois semaines, mais « c’est déjà un temps assez long, le grand nombre d’artistes nous oblige à une rotation très rapide. »
Dans le discours qu’il a prononcé au vernissage de l’exposition, He Youzhi a dit en substance : "Aujourd’hui, l’époque du lianhuanhua est terminée, le lianhuanhua est presque mort. Cette exposition lui redonne un peu de vie.
Je suis dessinateur. Et je suis quelqu’un de très ordinaire qui a seulement étudié à l’école primaire. Je n’ai jamais suivi d’études de dessin. J’ai enseigné pendant 7 ans à l’Académie des Beaux-Arts de Chine avant de comprendre que la création ne s’enseignait pas.
J’ai 92 ans, mon cerveau est encore clair mais ma vue est mauvaise. Aussi, si je trace des traits aujourd’hui, c’est grâce au sentiment. Ma main ne tremble pas et je travaille encore. Mais je ne pense pas pouvoir dessiner l’année prochaine.
Il est habituel de demander à l’assemblée de ne pas hésiter à critiquer. Mais même si vous me critiquez maintenant, je ne pourrai plus m’améliorer. Alors, si c’est bien, dites-le, si ce n’est pas bien, ne m’insultez pas."
Après la visite de l’exposition, He Youzhi a répondu aux questions des journalistes locaux. Nous lui avons posé quelques questions et filmé (très mal !) l’entretien avant d’aller déjeuner. Ses propos sont ici résumés. Très courtois, He Youzhi ne manque jamais de dire les quelques mots en français qu’il connait.
Nous parlons un peu de sa fabuleuse mémoire photographique, car toutes ses œuvres autobiographiques ont été dessinées sans documentation, et He Youzi est connu pour reconstituer avec aisance des scènes de rue des années 30 ou 40.
A quel moment avez-vous compris que vous pourriez faire de la bande dessinée un métier ?
C’était juste après la guerre. A l’époque, j’avais déjà femme et enfants. Je gagnais très mal ma vie. Je mangeais un repas et je ne savais si j’aurai l’argent pour le repas suivant. Heureusement un proche qui travaillait au temple de Confucius connaissait un dessinateur de lianhuanhua et me l’a présenté. En fait, je n’avais que ce talent de dessinateur dans la vie. Il m’a dit que je pourrais être un professionnel.
Est-ce que vous dessiniez depuis votre petite enfance ? Vous aimiez dessiner ?
Yes. Oui.
Que pensez-vous de l’œuvre de Zhang Leping, de Feng Zikai ? Avez-vous été influencé ou intéressé par ces auteurs ?
Ce sont des pionniers et j’ai un grand respect pour eux, mais je n’ai jamais subi d’influence. Il faut rester soi-même.
Vous avez étudié par vous-même, en faisant des croquis d’observation ? Vous avez inventé vos propres codes ?
Exactement, je suis un artisan qui s’est fait en toute indépendance... Je suis allé à Angoulême, j’ai donné des cours aux étudiants.
Mes amis qui ont étudié avec vous à Angoulême étaient impressionnés par votre mémoire photographique. Comment avez-vous développé cette mémoire, qui vous permet de dessiner des choses vues il y a très longtemps ?
Pour développer cette mémoire, il y a des méthodes. Si tu ne regardes pas avec le cœur, tu ne peux pas te souvenir. Il faut se poser des questions quand on observe. Et il faut comprendre les principes pour retenir ce qu’on observe.
(par Yohan Radomski)
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