Henri Filippini, 69 ans, a été longtemps l’éditeur historique des éditions Glénat dans les années 1970-1980 : il avait réussi le tour de force de débaucher la jeune génération des dessinateurs de la très catholique maison Fleurus Presse, alors un puissant éditeur de presse, pour la faire entrer dans la bande dessinée adulte : François Bourgeon, avec Les Passagers du vent, ou encore André Juillard avec Les 7 Vies de l’épervier ont mis la jeune maison Glénat sur orbite, et une génération d’auteurs avec elle...
L’apport de Filippini dans ces années-là est diversement apprécié : s’il a mis en lumière quelques grands auteurs de la BD actuelle (on lui doit par exemple d’avoir révélé le Yslaire de Sambre) et fait la fortune de son éditeur, il caractérise, selon d’autres, une vision de la bande dessinée parfaitement détestable : « Il a noyé un tas de copains dans des rivières de merde, déclaraient Dupuy & Berberian, à peine nommés Grands Prix d’Angoulême. À cause de types comme ça, on a cru au début des années 90 que la BD était morte. Les librairies spécialisées vendaient plus de chaussettes et de cravates que d’albums. On pourrait d’ailleurs créer un prix Filippini pour l’éditeur le plus pourri. Mais ce ne serait pas un prix, ce serait une corde. »
Critique et éditeur
Des propos excessifs qu’il ne méritait certes pas mais qui étaient justifiés par une confusion des genres entretenue par Filippini depuis le début de sa carrière : partie prenante des premiers fanzines historiques de bande dessinée dès le milieu des années 1960 (Phénix, Schtroumpf,...), spécialiste, encyclopédiste et historien de la BD, Filippini n’a jamais résisté la tentation de régler ses comptes par des saillies peu sympathiques vis-à-vis des BD éditées par la concurrence, ce qui lui a valu des inimitiés durables.
Ses formules définitives à l’emporte-pièce et passablement réactionnaires ont fait de lui une sorte d’"Eric Zemmour de la BD", c’est-à-dire une personnalité que l’on aime détester. En 2009, il s’était mis à dos le syndicat SNAC-BD et un certain nombre d’auteurs de la nouvelle génération pour un billet sur l’action syndicale des auteurs de BD sur laquelle cet ancien patron d’une maison d’édition s’autorisait des réflexions quelque peu paternalistes aux auteurs. Des voix comme celle du dessinateur-scénariste Jacques Terpant avaient cependant pris sa défense...
À la recherche du Fluide perdu...
Dans le dernier numéro de dBD, l’ineffable Filippinuche, reprenant la verve fanzinesque des années 1980, flingue à toute berzingue le Fluide Glacial dirigé par Yan Lindingre. "Rendez-vous notre Fluide !" proclame-t-il : "Repris en main par le dessinateur Yan Lindingre après une période houleuse, le mensuel s’est radicalement transformé, flirtant [sic. NDLR] entre feu Ferraille [excellent journal des Requins Marteaux mais destiné à quelques milliers de lecteurs initiés] et les débilités aux graphismes minimalistes que vomissent sans relâche les blogs..."
Il constate l’éloignement supposé de certaines signatures historiques du journal, parce que Gotlib a laissé filer le SuperDupont dessiné par Boucq chez Dargaud, ou parce que Binet fait le même mois son retour chez l’éditeur de la rue Moussorgski. Il y voit une défection, alors que Binet publie un nouvel album chez Fluide dans cette même rentrée et que Gotlib était un auteur Dargaud avant de devenir lui-même éditeur. Filippini oublie notamment que le super-héros franchouillard au béret basque était né... chez Dargaud dans les pages de Pilote en 1972 avant d’être récupéré par Fluide pas encore né...
Une fois de plus, entre amalgames et approximations, sacrifiant aux chiffres de vente (il a sans doute oublié que de nos jours les jeunes auteurs atteignent rarement les ventes que l’on a connues jadis...), il jette l’opprobre sur la nouvelle génération de dessinateurs de Fluide apportée par Lindingre et dont il juge que "leurs dessins tiennent plus du croquis bâclé que du travail soigné que l’on peut attendre d’un dessinateur." Il ajoute que le rédactionnel du journal "part lui aussi en quenouille". Bref, selon lui, rien à n’est à sauver dans le Fluide Glacial d’aujourd’hui.
Le fiel filippinesque
Avec une perfidie franchement scélérate, il avance que Lindingre ne publie même plus de dessins dans son journal et que, apparemment, seul Siné Mensuel semble encore accepter son travail. Il n’imagine pas que son travail d’éditeur se fait peut-être au détriment de son travail d’auteur...
Filippini prétend que, dans un échange de mails qu’il a effectué avec le rédacteur-en-chef de Fluide, celui-ci aurait prétendu qu’il avait accepté ce poste par dépit, "parce que ses albums ne se vendaient pas." En admettant que cette affirmation sans fondement soit vraie, on peut juger de l’élégance de l’éditorialiste de dBD...
Prenant exemple de l’insuccès supposé de Lindingre, il ajoute, In Cauda Venenum : "On peut se demander à combien d’exemplaires se vendent ceux de ses nouvelles recrues."
Tel est le bilan -quelque peu fielleux et réactionnaire- que le retraité Filippini, fort de ses succès de presse d’antan, comme Gomme et Vécu qui, contrairement à Fluide, n’ont pas survécu jusqu’ici, tire de la gouvernance de Yan Lindingre.
Or celui-ci, à notre sens, est loin d’avoir démérité comme le prouve le programme éditorial de cette rentrée. et les efforts déployés toute cette année pour célébrer les 40 ans de Fluide et le génie de ses aînés. Loin de se débiner (haha) l’auteur des Bidochon va sortir deux albums chez Fluide en cette fin d’année, et a un nouvel album de Raymonde et Robert en préparation.
Lindingre ne s’en formalise pas : " Daniel Goossens me dit qu’il y a 30 ans déjà, le même Filippini descendait le Fluide de Diament, disant qu’il ne comprenait rien aux dessins de Goossens... Filippini est comme Zemmour parce qu’il est dans le fantasme de quelque chose qui, en fait, n’a jamais existé. Et puis, il a poussé des gens comme Cothias et d’autres, on voit bien que ses goûts n’ont rien à voir avec ce que Fluide publie depuis toujours."
En fait de rentrée, donc, Filippini a donc réussi la sienne. Le retraité a fait parler de lui. Sur les réseaux sociaux, les dessinateurs de Fluide s’adonnent à l’"Henri Bashing" (voir nos illustrations). On suppose que l’homme doit être aux anges...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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