Créé en 1953, Bob Morane est une des figures mythiques des enfants du Baby Boom, incarnée d’abord par des romans aux couvertures enluminées par Pierre Joubert, puis par des bandes dessinées à partir de 1959, signées Dino Attanasio, Gérald Forton, William Vance, et Felicísimo Coria.
La permanence et la force de ce personnage tient à la simplicité de son profil pétri de clichés de la littérature d’aventure -c’est en gros une espèce de James Bond pour la jeunesse flanqué d’une sorte de capitaine Haddock rouquin et musclé, mais aussi à sa galerie de personnages secondaires particulièrement savoureux (L’Ombre jaune, Miss Paramount, Miss Ylang-Ylang...) et surtout grâce à une liberté narrative sans égale qui lui permet de voyager aussi bien dans le temps qu’aux confins de l’espace.
Déclencheur de vocations.
Le journaliste et écrivain belge Daniel Fano vient de publier ces jours-ci la biographie de Charles Dewismes alias Henri Vernes, Henri Vernes & Bob Morane : Une double vie d’aventures. Ce livre, qui n’est pas un livre de fan, a été voulu par l’écrivain Francis Dannemark, éditeur au Castor Astral. Il s’agissait d’abord d’un projet collectif pour lequel Daniel Fano était sollicité pour écrire un court essai sur Bob Morane que l’éditeur voulait « érudit et agréable à lire ». A la première réunion où il devait normalement rencontrer ses coauteurs, Fano se vit enjoindre de se rendre chez Henri Vernes pour une suite d’entretiens et finalement assumer le livre tout seul. Par conséquent, l’ouvrage est constitué pour partie d’entretiens, pour partie d’essais et pour partie de témoignages de personnalités, parmi lesquelles des auteurs de littérature et de bande dessinée qui reconnaissent leur dette vis-à-vis d’Henri Vernes, déclencheur de leur vocation.
Un véritable écrivain
« Ce qui m’a étonné chez lui, raconte Daniel Fano, c’est que, pour quelqu’un qui est dans ce qu’il faut bien appeler de la « littérature industrielle », il y a des moments d’écriture absolument fabuleux. On sent qu’il y là un véritable écrivain. Ce n’est pas étonnant qu’il ait pu susciter d’autres vocations littéraires. Il aurait pu être un écrivain « sérieux ». Tant mieux pour nous s’il a fait Bob Morane aussi qui n’est pas du tout une oeuvre dépassée, sans importance. Au contraire, en tant que spécialiste de la littérature de jeunesse depuis des années, j’ai été très étonné, en relisant ses romans, de découvrir qu’en matière d’écriture, de vocabulaire notamment, de conjugaison, c’est nettement supérieur à ce que l’on produit aujourd’hui. »
On peut néanmoins se poser la question de savoir si, comme Tintin, ce genre de héros ne véhicule pas des clichés désuets pétris de colonialisme et de bons sentiments. « Sans doute a priori, analyse Daniel Fano. Mais peu importe, en fait. On peut lire des classiques marqués par leur époque. C’est le cas pour n’importe quel écrivain. Ce qui est important, c’est de savoir pourquoi son succès perdure. Je crois que c’est parce qu’Henri Vernes est un fabuleux conteur, un dialoguiste extraordinaire. On peut prendre le moins bon de ses ouvrages -car il y en a effectivement quelques-uns, et on est quand même pris de la première ligne jusqu’à la dernière. Pour que des lecteurs exigeants comme je peux l’être s’y laissent prendre, il faut que ce soit vraiment un magicien. »
Bob Morane après Henri Vernes ?
Mais quid de l’homme Henri Vernes ? Est-il aussi fabuleux que sa créature ? Sa biographie est jusqu’à présent incertaine, voire fabriquée... Daniel Fano s’en explique : « C’est un conteur avant tout. Je n’ai même pas essayé de démêler le vrai du faux. On parle beaucoup de sa légende comme dans le cas de Blaise Cendrars. Peu importe, ce qui compte, c’est la beauté du récit. Pour la réalité, on verra beaucoup plus tard. »
Né en 1918, Henri Vernes (dont vous lirez bientôt une interview dans ces pages) aura 90 ans en octobre 2008. Il a encore l’esprit clair et nous paraît en pleine forme. Il continue à écrire des romans (rien que la série Bob Morane, aujourd’hui publiée chez Ananke, en compte 204 !) et des scénarios de BD. Quand on évoque sa disparition possible, il ne s’offusque pas. Y aura-t-il quelqu’un pour lui succéder dans la suite des aventures de l’aventurier ? Henri Vernes, sur ces questions, n’a pas la même position qu’un Hergé ou un Uderzo. Il répond : « Je m’en fous ! » En biographe devenu gardien du temple, Daniel Fano n’est pas sûr que la continuation des aventures du baroudeur soit intéressante. « Il y a dans cette série de romans une quinzaine de titres qui sont des classiques. Essayons de trouver ces quinze titres-là et occupons-nous plutôt de les mettre en valeur ».
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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