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Hergé, Magritte, Sfar, Dali… Dialogue fertile ou âpre compétition ?

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 4 octobre 2016                      Lien  
Les arts sont-ils en concurrence ? Manifestement oui, si l’on parle en termes de « temps de cerveau disponible » et de marketing. Le dialogue entre la bande dessinée, ce truc niché entre la littérature et les arts visuels, et la peinture, le quatrième des Beaux-Arts selon la classification schopenhauerienne, n’a jamais été aussi intense que ces derniers temps. Cette saison encore, la rentrée se fait dans la confrontation, avec des intentions parfois intrigantes.
Hergé, Magritte, Sfar, Dali… Dialogue fertile ou âpre compétition ?
« Hergé, Tintin et Compagnie » par Dominique Maricq (Gallimard/Moulinsart)

Le succès de la bande dessinée, on le voit, ne se dément pas : elle occupe les grands comme les petits écrans, notamment grâce aux super-héros Marvel et DC, obtient en vente publique des enchères qui rivalisent avec les dessins du Quattrocento et s’avère l’un des secteurs les plus vivaces d’une librairie en crise.

L’art contemporain, quant à lui, semble devenu inatteignable, tant dans les prix pour des installations dont on s’interroge souvent sur la pertinence, que dans le concept devenu de plus en plus cryptique. En même temps, « High Art » et « Low Art » s’attirent de plus en plus depuis Duchamp, le « pop » étant devenu une valeur élitaire, mais le dialogue avec la bande dessinée se fait dans un jeu d’attraction-révulsion absolument étonnant.

D’un côté, cet automne, il y a cette expo Hergé au Grand Palais, où les concepteurs tentent de nous le vendre comme si c’était Goya dans un parcours, disions-nous, « foutraque » avec, à sa suite une sarabande de livres qui lui fait cortège. Sur ma table, « la biographie de référence » de Benoît Peeters, Hergé, Fils de Tintin (Flammarion), avec en exergue, cette citation d’Henry James  : «  Notre doute est notre passion et notre passion est notre tâche. Le reste est la folie de l’art. ». Bigre ! On y trouve aussi le Hergé intime de Benoît Mouchart et François Rivière (Robert Laffont) que François Rivière m’envoie avec cette dédicace : « Pour Didier Pasamonik, cette biographie d’un petit gars de Bruxelles ». Un "petit gars", comme on y va ! Ou encore le Hergé, Tintin & Compagnie de Dominique Maricq (Gallimard/Moulinsart), une galerie d’images commentées qui s’inscrit dans une escadre de produits éditoriaux destinés à accompagner le navire-amiral de l’exposition.

« René Magritte vu par… » David B, Gabriella Giandelli, Eric Lambé, François Olislaeger, Miroslav Sekulic-Struja et Brecht Vandenbrouche (Actes Sud BD).

"Un dessinateur de papiers peints"

Et puis, il y a « l’autre grand Belge », René Magritte, qui a lui aussi son musée dédié, mais au cœur du quartier des musées de Bruxelles, pas à Louvain-la-Neuve-lez-Pétaouchnok et qui investit, non pas la cave de Beaubourg comme Hergé il y a quelques années avec Le Lotus bleu, mais l’étage supérieur.

« Ce peintre pour papiers peints », comme le surnommait Jacques Van Melkebeke, ce familier d’Hergé, fait l’objet lui-aussi d’un petit album de BD : « René Magritte vu par… » (Actes Sud BD) où s’expriment David B, Gabriella Giandelli, Eric Lambé, François Olislaeger, Miroslav Sekulic-Struja et Brecht Vandenbrouche, fins graphistes qui jouent avec l’univers de l’artiste bruxellois dans un livre-objet à la Chris Ware. Very Hype !

« Fin de la parenthèse » de Joann Sfar (Rue de Sèvres)

Enfin, il y a le prolifique Joann Sfar qui après Pascin, Chagall et Bonnard, mêle sa plume avec les pinceaux de Dali dans Fin de la parenthèse (Rue de Sèvres) et dans une expo à l’Espace Dali à Montmartre : « Une Seconde avant l’éveil ». « L’exposition est une invitation au « voyage immobile » d’un peintre et de ses modèles évoluant entre le rêve et la réalité, au fil de l’écriture en dessin de Joann Sfar  » dit le communiqué. Un parcours de 200 dessins originaux qui mêle les peintures, sculptures et objets surréalistes du peintre catalan avec les créations de Haute Couture de Schiaparelli.

Quel est le sens de ces échanges permanents ? Une fertilisation réciproque ? Peut-être, si l’on en juge le nombre d’auteurs de BD qui investissent ce sujet, au Lombard comme chez Glénat ou ailleurs, la BD étant le seul terrain où l’on peut être impressionniste, Dada, cubiste, voire abstrait sans passer pour un ringard.

Est-ce l’expression d’un complexe ? Sans doute. Rappelons qu’Hergé, qui se qualifiait de « peintre du samedi ou du dimanche », parlait de l’art « avec un grand h ».

Et si c’était une forme de co-branding de deux arts à bout de souffle qui cherchent à rester dans l’air du temps ? Face à une telle interrogation, la réponse est forcément incertaine.

Photos de l’exposition Joann Sfar / Salvador Dali, "Une Seconde avant l’éveil" jusqu’au 31 mars 2017.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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4 Messages :
  • "Rappelons qu’Hergé, qui se qualifiait de « peintre du samedi ou du dimanche »"

    J’ai réécouté récemment l’interview où il parlait de ça. Il ne se qualifiait pas comme tel il disait au contraire en pas vouloir être un peintre du samedi après-midi et du dimanche.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 5 octobre 2016 à  07:14 :

      Ce qui revient à dire qu’il considérait sa production picturale comme telle. CQFD ;)

      Répondre à ce message

      • Répondu le 5 octobre 2016 à  08:08 :

        Bien d’accord mais votre tournure peut prêter à confusion ;)

        Répondre à ce message

  • Cet article révèle encore une fois que la Bande Dessinée est complexée et qu’elle le sera toujours. Parce qu’elle ne veut pas regarder en face son origine et sa raison d’être : l’enfance. Comme s’il fallait nécessairement s’adresser aux adultes pour faire Art. Comme si pour devenir un art et devenir adulte, la Bande Dessinée devait s’adresser d’abord et uniquement aux adultes. Avec tout ce que ça contient de postures ridicules : l’adolescence attardée qui jamais ne réconcilie l’individu avec son enfance. L’expo Hergé du Grand Palais illustre aussi ce complexe : d’abord présenter des peintures, puis Hergé artiste avant d’oser montrer Tintin, qui est un chef-d’œuvre certifié de l’Histoire de l’Art du XXème siècle, mais pour enfants, d’abord et surtout. On essaie de gommer que Tintin s’adressait aux enfants parce que c’est la honte. Les artistes pour être considérés doivent s’adresser aux adultes, ces animaux sclérosés. Ce n’est pas d’Art dont ils ont besoin mais de psychanalyse !
    Pensez au dernier lavis de Picasso : un portrait d’enfant. Il a passé sa vie à chercher à créer avec la liberté d’un enfant. Sans les préjugés qui s’accumulent en se sociabilisant. Ce n’est pourtant pas compliqué, un artiste, c’est celui qui garde son enfance intacte et l’interroge sans cesse. Celui qui conserve le droit de toujours poser des questions en se fichant de savoir si on a le droit de les poser ou pas. La curiosité intacte.
    Alors pour faire sérieux, on va s’amuser à comparer Hergé à Magritte. Et Joann Sfar va s’amuser avec les farces de Dali. Et pourquoi comparer des vignettes de bandes dessinées à des œuvres des arts plastiques puisque le texte des bulles compte tout autant ? Pourquoi pas s’amuser à comparer Hergé à Flaubert et Joann Sfar à Romain Gary ? Et pour dire quoi de plus ? Rien, du verbiage pseudo-intellectuel. De la mousse. Et pourquoi Flaubert plus que Jules Verne et pourquoi Romain Gary plus que Roald Dahl ? Et pourquoi Magritte et pourquoi Dali ? Je ne vois pas le rapport si ce n’est que des analogies fabriquées. En comparant ainsi, on ne parle pas Art mais artifice. Et la Bande Dessinée n’en gagne pas plus de considération.

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