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Hermann ("Sans Pardon") : « Si une case ne m’excite pas ou ne me procure pas de sensation, je la gomme. »

Par Charles-Louis Detournay le 24 janvier 2015                      Lien  
Comme ils l’avaient entamé, Yves H. et Hermann clôturent l’année-anniversaire de la collection “Signé” du Lombard. Leur retour au western livre un récit âpre, violent et sans concession. Un superbe témoignage de la maestria du [potentiel Grand Prix d'Angoulême 2015 !?!->art17493]

Qu’est-ce qui vous a motivé à réaliser un nouveau western ?

Lorsque j’anticipe mon travail de la seconde moitié de l’année, après mon album de Jeremiah, je demande à mon fils de s’occuper d’un thème et de me le soumettre. Avec les années, je me suis en effet rendu compte que si je ne fais que ronronner sur mes propres scénarios, je crée une ornière dont il est parfois difficile de sortir. Mon fils secoue donc mes habitudes, ce qui me fait beaucoup de bien.

Hermann ("Sans Pardon") : « Si une case ne m'excite pas ou ne me procure pas de sensation, je la gomme. »Lors de notre dernière entrevue, vous aviez commenté le scénario de Sans Pardon comme étant un western classique et un peu sombre ! Pouvez-vous maintenant expliquer ce qui vous a alors attiré dans cette histoire ?

Cela correspond à la vérité de la Conquête de l’Ouest, alors que les représentants de la loi sortaient eux-mêmes du banditisme. C’était parfois des crapules et des tueurs ! Comme je vous l’avais expliqué, je ne supporte plus le western à la John Wayne, avec les armes qui pendaient sur la cuisse et les duels dans Main street ! A l’origine de ces clichés, on retrouve Buffalo et son cirque qui sillonna les États-Unis et l’Europe. A sa décharge, il est bien obligé de placer les deux protagonistes face-à-face dans l’arène de son chapiteau. Mais cela n’a jamais existé, on se flinguait plutôt dans le dos !

C’est justement l’authenticité que vous recherchez depuis des années ! Quelle comparaison faites-vous entre Sans Pardon, écrit par Yves, et On a tué Wild Bill, que vous qualifiez vous-mêmes comme étant votre meilleur western ?

Sans Pardon est délibérément plus violent, alors qu’On a tué Wild Bill est inspiré du film Little big man avec Dustin Hoffman, bien éloigné des clichés hollywoodiens. Heureusement que ces quelques films plus authentiques ont permis de revoir notre point-de-vue sur ce genre. Ils correspondent plus à ma sensibilité, ce qui ne m’empêche pas d’apprécier les films de Sergio Leone pour le plaisir du spectacle, bien qu’ils soient totalement fantaisistes.

Dans le même temps, alors qu’Yves peut parfois placer beaucoup de dialogues, il a dans ce cas-ci laissé beaucoup de place à votre mise en scène et à vos décors. Ces séquences parfois muettes ou sobres en parole rappellent précisément les films de Sergio Leone !

... et l’édition spéciale vendue à l’exposition de Versailles

Oui, c’est vrai, mais cela se prête au type de récit que l’on porte. Je n’ai d’ailleurs pas modifié une ligne de son scénario. Au pire, j’ai corrigé l’une ou l’autre formule qui était plus adéquate avec mon cadrage. Yves a fait des études de cinéma et son découpage profite de ces influences. Je ne modifie presque jamais son découpage, mais avec les nombreux albums que j’ai réalisés, je peux avouer en toute modestie que j’ai appris le sens de la narration, je suis capable de repérer d’éventuelles faiblesses.

Était-il intéressant de redessiner le Wyoming, quarante ans après Comanche ?

Comanche était une série de western à la John Wayne, réalisée sur base de quelques clichés que j’avais pu trouver à l’époque : des montagnes enneigées et des plaines herbeuses avec de grands ranchs. Puis Yves m’a informé que cet état est bien plus grand et diversifié qu’on ne le pensait. On y retrouve des déserts, et ces Badlands passionnants à dessiner !

Est-ce que vous aviez besoin de cette nouvelle vision pour vous investir autant dans votre récit ?

Mais je m’investis toujours dans ce que je réalise ! Faire quelque chose mollement ne m’intéresse pas. Si une case ne m’excite pas ou ne me procure pas de sensation, je la gomme ! Si le crayonné est bon, je continue tout en veillant au bon traitement de la lumière. Je ne termine jamais un dessin qui ne m’emballe pas.

On sent que vous avez particulièrement soigné les physionomies de vos personnages, un vecteur très important alors que beaucoup d’informations transitent dans des cases muettes…

Ma volonté consiste à porter au maximum, voire à dépasser, mes capacités de transmission des sensations. Comme un certain nombre de dessinateurs, je suis constamment insatisfait : j’espère que je dessine un petit peu mieux qu’hier et moins bien que demain. En premier lieu, je ne dessine pas pour le public, je dessine pour moi, en espérant que mon travail me contentera.

Cette insatisfaction vous pousse-t-elle dès alors à continuer à dessiner, malgré les années ?

Plus le temps passe, plus mon métier est un refuge face à la banalité de l’existence. Cela fait longtemps que je ne me fais plus aucune illusion et que je suis profondément content qu’un jour, je ne fasse plus partie du cirque. Pourtant, je suis un privilégié, je m’entends bien avec les personnes que je côtoie, mais je n’ai jamais saisi le sens du spectacle de ces choses qui crapahutent à la surface.

Cela rejoint l’atmosphère de votre album, qui comprend beaucoup de méchants, et dans lequel on cherche finalement les gentils !

Le cadre de Sans Pardon évoque l’inconfort et une part de misère. Cette pauvreté engendre inévitablement une perte de sensibilité. Un estomac creux devient violent si cela est nécessaire pour manger. Puis les armes sont partout, ce qui catalyse l’omniprésence de la violence.

Est-ce que vous croyez encore un peu dans l’Homme ?

Parfois, il y a encore de petites cellules qui sont vivables et qui peuvent contenir de la sympathie. Quant au reste, il suffit d’entendre la rumeur du monde, cela ne s’arrêtera jamais. Comme disait plus ou moins Albert Einstein : "La science a ses limites, mais la connerie humaine n’en a pas."

Avec ses thématiques, même si vous travaillez d’abord pour vous, quelles sensations pensez-vous que vous apportez au lecteur ?

J’espère le distraire, lui donner des sensations. Si certains lecteurs réfléchissent à la lecture de mes livres, c’est qu’ils le faisaient déjà avant. Pour les autres, c’est peine perdue.

Et pour cette première partie des lecteurs, que pourront-ils alors trouver dans Sans Pardon ?

Cette bêtise humaine qui transparaît par la violence. Même au travers de ces représentants de la loi qui sont haineux gratuitement. Ils prennent du plaisir dans cette chasse à l’homme, pour éventuellement tuer car la loi les y autorise. Ne parlons même pas du criminel qui est poursuivi. Le seul personnage qui aurait pu s’en sortir est ce jeune homme. Mais par la force des choses : il est écœuré par son père, traumatisé par la façon dont sa mère décède, les événements le perturbent définitivement jusqu’à ce qu’il soit amené à tuer, lui aussi.

Que peut-on atendre dans les prochains mois ? Un Jeremiah sans doute...

Oui, j’ai presque fini le prochain, car j’ai toujours cinq mois d’avance sur le programme. Il s’inscrit assez bien dans la foulée de Sans Pardon. Dans ce Jungle City, Jeremiah et Kurdy vont une nouvelle fois arriver dans un drôle de patelin, où on va leur piquer leurs motos, dans l’espoir qu’ils restent pour dépenser quelques dollars. Nos héros vont bien entendu être mêlés à une sordide histoire. Là encore, il n’y a rien de correct dans cette histoire, mise à part une toute jeune fille... Il y a une confrontation de la pureté avec la violence d’une société. Mais vous découvrirez cela par vous-même.

Jeremiah est finalement votre vision du western moderne ?

Tout-à-fait, bien que je ne sois pas du tout un fan de la vie américaine. Je n’apprécie pas vraiment leur mentalité, mais ils sont photogéniques ! Puis ils possèdent une caractéristique qui est selon moi unique : cette absence d’humanité, faussement évoluée. Ce n’est pas parce qu’ils ont un super frigo qui donne de glaçons de différentes formes, qu’ils sont profondément civilisés. Leur matérialisme leur permet de faire l’économie de l’intérêt pour autrui ou pour la culture. Je ne me sens pas proche d’eux.

Quant à votre prochain récit avec Yves, pouvez-vous lever un coin du voile ?

Il s’agira d’un récit traitant du racisme dans le Mississipi des années 1950. Je vais devoir travailler la représentation des Afro-américains, car les mises en lumière sont très différentes. Un petit défi à mon niveau, qui me fait avancer.

(par Charles-Louis Detournay)

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Photo en médaillon : © C-L Detournay

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- La remise du Prix Diagonale 2009.

- Deux interviews réalisées par Nicolas Anspach : " je ne me prends pas pour un artiste !" (nov 2007) et "Dans Caatinga, des paysans forment un mélange de ’Robin des Bois’ et de criminels impitoyables…" (janv 1997)
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