« Hey ! va bien ! nous dit Anne, la grande papesse de la revue, le pendant féminin du Janus de créateurs et de journalistes Anne & Julien. La force du projet est qu’il se déploie sur trois étages très distincts : la revue –nous sommes des gens de papier, on écrit ; les expositions, car il faut montrer les œuvres, c’est de la transmission pure et dure ; et puis les spectacles et les performances où on prend le pouvoir, où j’écris mes propres histoires, je les mets en scène, Julien fait toute l’architecture sonore. Là, on construit selon notre imaginaire à nous. Mais c’est pour clôturer notre vision d’un vrai univers pour l’accès duquel il faut franchir ces trois étapes. »
« Ousider Pop »
La revue Hey ! a sept ans cette année. Les ventes sont à une vitesse de croisière de 10.000 exemplaires par numéro, largement diffusés à l’international. Il y a dans cette famille, « modern art & pop culture », un esprit commun mais cependant très hétérogène qu’Anne & Julien ont décidé de désigner sous le vocable d’ « Outsider Pop », un art populaire, comment traduire ? « En marche » ? ;)
Explication : « On y retrouve des formes, des expressions qui, soit communiquent, soit dialoguent, soit sont pluguées, soit sont influencées, soit sont issues –cinq chemins différents, donc- de l’histoire des contre-cultures. Ou en tout cas à la proposition esthétique de discours et de contre-discours, de théorisation et de non-théorisation, et en tout cas de thésaurisation des contre-cultures depuis les années 1920. C’est très clair : 80% des auteurs que l’on défend ne travaillent pas en direction d’un marché. »
Leur première exposition à la Halle Saint-Pierre à Paris en Septembre 2011 avait été une déflagration de première ampleur. Les gens y ont découvert des cabinets de curiosité improbables et des artistes anciens et modernes qui établissaient entre eux une continuité insoupçonnée. « Hey ! est le cabinet de curiosité du XXIe siècle ! » s’est aussitôt exclamé François Angelier, le brillant défricheur culturel de France Culture.
Une esthétique empreinte de nostalgie néanmoins, très ancrée dans la recherche d’une filiation avec le passé. On sait qu’il n’y a pas de génération spontanée en art, mais si les assises artistiques trouvent souvent leurs racines dans le passé comme ici encore, selon Anne, « les énergies sont furieusement contemporaines ». Exemple chez Paul Toupet dont les installations sont peuplées de lapins énucléés. Ils font appel à une imagerie liée à l’enfance : « il y a quelque chose d’intimement personnel chez lui. On sent que, depuis l’âge de dix ans, depuis la découverte de son totem, il est destiné à mourir avec ses lapins. ».
« Regarder là où il faut »
La morbidité, le sexe sont également des thèmes qui reviennent souvent : « Dans un marché de l’art qui se veut conceptuel mais qui est très souvent consensuel, ce qui a de l’odeur, ce qui est intime et non-dévoilable, ce qui provoque la terreur, la frayeur…, et qui provoque par conséquent le non-achat est complètement gommé. De Miami à Hong Kong, on a les mêmes galeries qui présentent les mêmes artistes avec le même type d’œuvres ! Chez nous, il y a du sexe, ça crie, ça se bagarre, ça s’assassine, la vie, quoi ! L’idée de Hey !, c’est juste de retransmettre. Notre spécificité, c’est de regarder là où il faut. »
Dans l’exposition qui a eu lieu à Arts Factory, les amateurs de bande dessinée on pu découvrir des œuvres de Gilbert Shelton (The Fabulous Freak Brothers) ou de Vaughn Bodé (lire notre article sur cet artiste sur ActuaBD.com), mais aussi de Stéphane Blanquet, des auteurs qui sont des « magnifiques singuliers de la bande dessinée ».
« L’un des crédos de Hey ! est d’apprendre à jouir de la différence, martèle l’éditrice. Vaughn Bodé est la référence absolue du graffiti, l’inventeur du Bubble et l’un des inventeurs de l’édition indépendante. Je n’utilise pas le vocable « Street Art » qui est une appellation bourgeoise fabriquée par le marché de l’art pour faire oublier que le graffiti épouse la ville et l’urbanisme, mais aussi combat l’urbanisme. Shelton et Bodé sont des gens auxquels nous avons besoin de rendre hommage car ils solidifient notre action. »
Grâce à Arts Factory, Hey ! passe une nouvelle étape. On quitte la sphère muséale pour « aider les artistes à vendre leur travail ». L’idée est de les encourager en emportant chez soi les « morceaux de beauté », de les inscrire dans notre vie quotidienne. « Achetez une œuvre d’art plutôt qu’une bagnole ! » assène la grande prêtresse de l’Outsider Pop en slogan de conclusion.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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