On connaît le big-bang que vit actuellement l’univers de Spirou, investi par les auteurs les plus divers, ravis de s’approprier l’un des personnages les plus mythiques de la BD franco-belge. Mais perpétuer Spirou sous la forme d’un manga ? Quel défi ! Et quelle belle réponse à l’invasion des bandes dessinées japonaises dans nos contrées. Pourquoi pas, après tout ? Aujourd’hui, Spider-Man est dessiné par des auteurs français, espagnols, malaisiens et indiens ! Toute expérimentation a du sens. Comme dirait l’autre, même les nains commencent petits.
L’idée de Jean-David Morvan est tellement fertile que nul ne peut présager de sa destinée. Spirou deviendra-t-il un manga à succès à part entière ? Sa version manga va-t-elle reconquérir en France les otakus qui avaient tourné le dos à la BD franco-belge ? Pourquoi pas ? Il faudrait pour cela que Dupuis fasse le pas, ce qui, selon nos informations, n’est pas encore acquis pour l’instant. Une réflexion s’élabore qui aboutirait peut-être à une coédition avec Kana. Pour l’heure, le manga de 56 pages, banc d’essai pour un développement plus ambitieux, serait un "plus produit" pour un prochain numéro du journal de Spirou. Au fond, qu’en pensez-vous ? Un Spirou manga, c’est une chance ou un sacrilège ?
A Japan Expo où il était présent en juillet, nous avons voulu rencontrer Oshima Hiroyuki, le dessinateur japonais de Spirou, en attendant que Jean-David Morvan - l’album qu’il prépare avec Munuera devrait sortir ces jours-ci - ne vienne lui-même raconter sa version de l’aventure.
Quand avez-vous rencontré Jean-David Morvan pour la première fois ?
C’était il y a peu près un an environ. Il était venu au Japon à moitié pour le travail et à moitié pour son plaisir. Il a rencontré M. Masanao Amano qui est le rédacteur en chef de la revue S. C’est M. Amano qui nous a présentés l’un à l’autre.
Est-ce que vous connaissiez la bande dessinée française ? Comment la perceviez vous ?
Ce n’était pas un univers complètement inconnu pour moi. Simplement, depuis fort longtemps, dans la mesure où j’avais accès à des bandes dessinées françaises traduites au Japon, c’est une création qui m’a toujours intéressé. Dans le même état d’esprit, je me disais qu’un jour ou l’autre, j’aimerais bien faire une « bande dessinée », travailler avec des auteurs européens. Je n’aurais jamais imaginé que ce soit vraiment possible. Et voilà qu’aujourd’hui, avec Jean-David, ce projet se réalise.
Quel est votre parcours ?
J’ai commencé à travailler à l’âge de 16 ou 17 ans en tant que professionnel. Comme j’étais encore à l’université, j’ai continué mon cursus jusqu’au bout (des études concernant la culture japonaise). Après l’université, je me suis mis à chercher du travail auprès de plusieurs journaux. Jusqu’à l’âge de 25 ans, j’ai surtout fait des illustrations, des dessins en une page. Après 25 ans, j’ai surtout développé mon activité dans des mangas dont je faisais moi-même l’histoire et le dessin.
Fondamentalement, qu’est-ce qui distingue le travail du mangaka de celui de l’artiste européen ?
Les personnes que je connais et qui dessinent de la bande dessinée sont assez joyeuses, assez gaies. Les dessinateurs de mangas sont souvent des gens introvertis et un peu sombres.
Devient-on plus riche en faisant des mangas que des bandes dessinées ?
Peut-être que de France vous percevez la chose comme cela, mais au Japon, il y a énormément de créateurs de mangas et donc, la concurrence est farouche. Avant de percer et de vendre des livres ici, il faut vraiment un certain temps. Cela ne représente qu’une petite partie du nombre de mangakas. Il faut vraiment beaucoup de chance pour devenir très riche dans le manga, plus que dans la bande dessinée.
Percevez-vous à quel point Spirou, c’est un peu comme Astroboy, un personnage mythique créé par un auteur mythique ?
Lorsque Jean-David m’a proposé de faire Spirou, je n’en avais pas conscience, car ce personnage n’est pas du tout connu au Japon. Mais au fur et à mesure que l’on m’expliquait comment je devais travailler avec ce personnage, il y avait des gens autour de moi qui m’expliquaient qui il était et ce qu’il représentait dans le patrimoine de la bande dessinée. Là, j’ai senti les choses devenir de plus en plus lourdes pour mes épaules. De toute façon, cela ne servait à rien pour moi de me mettre une pression inutile, car toutes les solutions graphiques dont j’avais besoin pour mettre au point les personnages devaient me venir de l’intérieur et pas de l’extérieur. J’ai donc fait table rase de toutes ces considérations et j’ai essayé d’attraper le personnage tel que je l’avais perçu au premier coup d’œil.
Techniquement, comment travaillez-vous avec Jean-David Morvan ? Vous ne parlez pas le français, il ne parle pas le japonais...
Lorsqu’il s’agit de communiquer dans des phases simples du travail, la communication se passe en anglais. Lorsque l’on rentre plus dans le détail, je fais appel à Thibaud Desbief, le Français qui vous traduit en ce moment mes propos et qui habite pas très loin de chez moi à Tôkyô.
Les auteurs japonais ont la réputation de faire des interviews de trois phrases. Comment se fait-il que vous soyez si disert, si volontiers communicatif avec les journalistes ?
Simplement parce que je suis plus bavard que la moyenne de mes compatriotes. J’aime bien me faire remarquer d’une manière générale et donc, je suis content qu’on s’adresse à moi, d’autant plus lorsqu’il s’agit de mes dessins ! Je suis très honoré et très fier.
Propos recueillis par Didier Pasamonik, le 9 juillet 2006, vous l’aurez compris avec l’aide indispensable de Thibaud Desbief.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Hiroyuki Ooshima - Photo : D. Pasamonik.
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