Il n’est jamais trop tard pour devenir un grand artiste. Comme Edgar-Pierre Jacobs qui commença sa carrière de bande dessinée à 42 ans, produisant les chefs d’œuvre que l’on connaît, Katsuhika Hokusaï ne signa sous ce nom que passé la quarantaine. Mais contrairement au baryton belge, il avait déjà une sacrée carrière de peintre derrière lui, et même de peintre à succès, sous le nom de Tetsuzô.
Les raisons de cette rupture ? Sans doute la volonté de changer d’ère –la société japonaise pèse de tous temps sur ses citoyens- mais surtout de se faire reconnaître non pour le genre qu’il illustre, mais pour son vrai talent. Ce faisant, il révolutionne la technique de l’estampe japonaise livrant même avec ses 36 vues du Mont Fuji, célèbres grâce à la Grande Vague de Kanagawa, une œuvre sous contrainte (il s’agit de montrer le Mont Fuji sous 36 angles différents) digne de l’OuBaPo.
Une influence profonde sur l’Occident
Mais outre le talent inouï de l’artiste, notamment dans l’expression des paysages, c’est à la fois l’influence que l’Occident exerça sur son art, et la façon dont celui-ci influença à son tour les Japonais qui mérite l’attention. Le manga de Ishi No Mori (le créateur de Cyborg 009) décrit ce moment où ses amis apportent à l’artiste du papier de Hollande, un papier de belle qualité produit de façon industrielle, mis au point à partir de 1802. Grâce à lui, Hokusaï découvre les vertus de l’aquarelle et, par ricochet, une technique de trait –simple, lisible- et une gamme de tons inédits, ces fameux tons pastels qui influenceront la mise en couleurs des maîtres de la Ligne Claire.
Hokusaï s’approprie la perspective que les Européens traitent à la perfection et que les Japonais ne découvrirent qu’à la moitié du XVIIIe Siècle et livre des estampes dotées d’une puissance et d’une liberté de traitement inouïs jusque là pour des imprimés. Ses fantômes de femmes, en particulier, fondent un imaginaire fantastique qui marquera profondément la société japonaise.
A l’origine du Japonisme
L’exposition des estampes japonaises des collections Bing, Burty et Guimet à l’exposition universelle de Paris, en 1878, lance le japonisme qui influence l’Impressionnisme qui s’inspire par ailleurs de la théorie des couleurs de la trichromie des physiciens Young et Maxwell. On trouve des traces de ce japonisme dès 1880 chez Christophe (La Famille Fenouillard, Le Sapeur Camember) ou chez les imagiers de la maison parisienne Quantin. Mais aussi chez Caran d’Ache, Steinlein, Toulouse Lautrec ou Aubrey Beardsley.
Cette influence du japonisme s’étend jusqu’aux États-Unis : L’Américain A. B. Frost, l’un des précurseurs du Comic dans son pays et « le plus célèbre illustrateur de son temps » vint habiter avec sa famille à Giverny en 1906. Il est probable qu’il n’ignore rien des 231 estampes japonaises de la collection de Claude Monet, son voisin. Elles sont signées pour la plupart Hokusaï, Hiroshige et Utamaro. Des Japonais, Frost retiendra les sujets anecdotes et contrastés, tendant vers une dynamique d’une parfaite lisibilité. On retrouve ici chez son disciple Peter Newell dans The Naps of Polly Sleepyhead (1905) des traces de ce japonisme américain.
On sait dans l’autre sens le Français Georges Bigot (1860-1927) influença à son tour l’univers des mangas en résidant et en publiant au Japon à partir de 1882 (nous y reviendrons un de ces jours).
Enfin, on sait ce que Hergé doit à Tchang dans l’influence du dessin oriental dans son œuvre à partir du Lotus bleu (1934).
Qu’importe si le scénario de ce manga publié par Kana est un peu foutraque et s’il insiste un peu lourdement sur l’aspect érotomane du grand peintre. Cet ouvrage a le mérite de jeter un éclairage édifiant sur l’homme qui éveilla le dessin occidental, et celui de la bande dessinée en particulier.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Les publications originales de Hokusaï visibles sur le site de Coconino-world
Hokusaï de Shôtarô Ishi No Mori - Éditions Kana
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