Deux policiers en civil, cadrés en contre-plongée, semblent discuter plomberie. Puis en contre-champ, un cadavre gît sur le bitume, la tête dans une flaque de sang. Une première page qui rappelle des milliers de films noirs ou de séries policières.
La suite continue en ce sens : premières constatations, tentatives pour recueillir des témoignages, et un enquêteur qui manie le second degré comme on imagine les vieux flics le faire.
Mais peu à peu, un décalage s’installe. La précision des gestes, la banalité des dialogues, la lenteur de l’enquête contraste avec la multiplicité des points de vue, la variété des cadrages et la modernité du style. Très vite, l’intérêt ne porte pas sur le crime et sa résolution, ni même sur le déroulement de l’enquête en elle-même, mais sur les personnages qui semblent animés d’une vie propre.
Et pour cause : Philippe Squarzoni s’attache à retranscrire avec beaucoup de réalisme l’ouvrage de David Simon, Homicide, A Year on the Killing Streets. En 1988, David Simon, alors journaliste au Baltimore Sun, sur la côte Est des Etats-Unis, suit la brigade criminelle de sa ville. Il en tire un livre, puis une série, The Wire, reconnue comme l’une des plus marquantes des années 2000. Presque trente ans plus tard, Squarzoni s’empare de ce livre avec beaucoup d’humanisme.
Son adaptation demeure très fidèle à celui de David Simon, y compris par son titre : Homicide, Une année dans les rues de Baltimore. Squarzoni a d’ailleurs pu faire directement appel à David Simon, comme « conseiller technique ». Cela permet au lecteur de découvrir le fonctionnement de la brigade criminelle, mais aussi de s’attacher à ses personnages de policiers, avec leurs ambitions et leurs travers. C’est justement le réalisme de cette reconstitution qui passionne et fait oublier ce qui aurait pu gêner certains lecteurs : une chronique presque pointilliste, loin des trames narratives habituelles dans le genre policier.
Aidé de Pascale Drac pour la colorisation, Squarzoni choisit un graphisme alliant stylisation et réalisme, ce qui pourra rappeler certains comics – choix qui colle parfaitement au sujet. Si certains dessins paraissent un peu froids, toutes les potentialités de la mise en page sont exploitées. Les dialogues et les récitatifs impriment un rythme plutôt lent à la lecture, en adéquation avec le travail des enquêteurs, ce qui n’exclut pas des accélérations, en particulier lors des moments de forte tension. Quelques dessins en pleine page – paysages urbains ou portraits de policiers – viennent apporter une respiration dans un livre qui transcrit l’ambiance pesante de la brigade criminelle.
Les choix graphiques, notamment la mise en page et la colorisation, ainsi que les choix narratifs, chronique de la brigade et focalisation sur quelques enquêteurs, apportent une grande cohérence au livre de Squarzoni. Nous espérons retrouver cette homogénéité dans les prochains tomes, car Homicide est annoncé en cinq volumes. Ce qui promet de nous apprendre encore plus sur la vie de Baltimore, après cette première exploration de seulement dix-huit jours dans sa brigade criminelle !
Voir en ligne : Feuilleter les premières pages d’Homicide, Une année dans les rues de Baltimore
(par Frédéric HOJLO)
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Homicide - Une année dans les rues de Baltimore, T1 par Philippe Squarzoni (Delcourt)
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A propos d’Homicide, lire l’interview de Philippe Squarzoni : "Renouveler son dessin et ses modes narratifs reste un défi excitant !".
A propos de Philippe Squarzoni, lire également sur ActuaBD.com :
la chronique de Torture Blanche
une autre interview de Squarzoni à propos de Saison brune : "Le fait qu’une porte de sortie existe ne veut pas dire qu’on va la prendre."
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