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Huang Jianhe (Dala Publishing) : "J’ai appris le français pour pouvoir lire Moebius !"

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 25 janvier 2012                      Lien  
Dala Publishing, dirigée par Aho Huang Jianhe, est un des premiers éditeurs de BD à Taïwan. On trouve dans son catalogue aussi bien les signatures de Bilal, Manara et Schuiten, que Loustal ou Max Cabanes. Il est un des principaux organisateurs de la présence de Taïwan à Angoulême 2012.
Huang Jianhe (Dala Publishing) : "J'ai appris le français pour pouvoir lire Moebius !"
Barney et la note bleue de Loustal en chinois

Comment devient-on éditeur de BD à Taïwan ?

Il y en a déjà beaucoup qui publient des bandes dessinées japonaises mais aussi une production locale. Je suis arrivé dans ce métier par accident. Je travaillais dans le cinéma comme assistant d’un grand réalisateur taïwanais lorsqu’un ami me demanda si je voulais diriger un magazine de bande dessinée...

Éditeur de bande dessinée ? Je n’avais aucune idée de ce que cela pouvait être. Je lisais des bandes dessinées, mais le métier qui pouvait être derrière m’échappait complètement. Cet ami me rassura : il suffit de demander au dessinateur de faire ce que tu lui veux ! C’était il y a dix ans. Je travaillais alors pour China Times Publishing qui publiait alors deux magazines : un hebdomadaire, Sunday comics, et un mensuel, Hi Magazine. Le premier publiait quasi-exclusivement des bandes dessinées japonaises tandis que le second publiait pour partie des bandes dessinées étrangères, surtout japonaises. Comme vous le savez sans doute, l’influence japonaise est historiquement très importante chez nous. Mais on y publiait aussi Moebius, Manara... L’hebdo, dans ses beaux jours, tirait jusqu’à 30.000 exemplaires, tandis que le mensuel ne dépassait pas les 20.000 exemplaires de tirage. Dans le catalogue de China Times publishing , j’ai du publier un millier de titres. Cela va vite car par exemple, nous avons publié toute l’œuvre d’Osamu Tezuka qui en comporte 300...

Froid équateur de Bilal...

C’est un système de commercialisation en porte à porte, les gens peuvent souscrire une sorte d’abonnement...

En effet. Nous avons publié quelques titres d’origine européenne ainsi. Le premier d’entre eux était Les Yeux du chat de Moebius & Jodorowsky. nous avons aussi publié Reiser...

Reiser ? C’est incroyable ! Son humour était compréhensible en chinois ?

Oui, nos tirages avoisinaient les 3 à 5.000 exemplaires. C’était il y a 25 ans, on osait tout à ce moment-là.

Ce qui veut dire qu’il y a à Taïwan un marché pour une telle bande dessinée destinée à un public adulte.

Oui, il y a un peu de tous les genres, surtout du fait d’auteurs taïwanais, qui font régulièrement de 50 à 60.000 exemplaires au titre. De la SF, de l’Heroïc Fantasy... J’ai dû quitter China Times quand ils décidèrent de ne plus faire de bande dessinée. C’était une grosse boîte. Ils voulaient se consacrer à des grosses machines commerciales, ce qu’on appelle ici le "star market". La BD ne vendait pas assez... Après quelques temps, j’ai décidé de créer mon propre label : Dala Publishing.

Aho Huang Jianhe en octobre 2011
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Vous vous êtes très vite intéressé aux auteurs français. Vous auriez pu vous limiter à publier du matériel japonais ou américain...

Pour deux raisons, principalement. la première, c’est qu’avant d’arriver dans le métier de la bande dessinée, j’en ignorais tout, comme je vous l’ai expliqué. Mais il y avait un auteur que je connaissais lorsque j’étais étudiant, c’était Moebius. Quand je suis devenu rédacteur en chef, j’ai tout de suite cherché à le publier. J’ai aimé son travail, tout comme celui de Manara, alors même que je ne pouvais lire l’histoire. Je me suis mis à le lire en anglais puis, après quelques années, j’ai étudié le français pour pouvoir le traduire moi-même ! La deuxième raison pour laquelle je me suis intéressé aux BD françaises, c’est que je considère que la façon dont les artistes créent la bande dessinée en France est plus saine qu’ici, en Asie.

Colin Maillard de Max Cabanes...

Plus saine ? Que voulez-vous dire ?

Les artistes japonais et chinois s’enferment toute l’année dans leur studio, sans sortir, produisant leur quota de pages hebdomadaires. Après dix ou vingt ans, ils ont épuisé toute leur énergie, ils sont bons à jeter ! Tandis que chez les auteurs européens, quand ils ont du succès, ils restent excellents beaucoup plus longtemps. Je crois que cela tient à ce mode de production "plus sain".

Pensez-vous qu’il y a un marché pour la bande dessinée francophone à Taïwan ?

Il y en a une, mais pas pour des gros tirages. C’est un peu comme pour le cinéma français.

La Frontière invisible de Schuiten & Peeters

Vous voulez dire qu’ils ont la réputation d’être passablement ennuyeux et intellos ?

On peut dire cela. Vous savez, à Taïwan, la norme culturelle de l’image est le cinéma d’Hollywood et le manga japonais. Mais nous sommes capables d’appréhender une bande dessinée plus adulte qui vient de l’autre bout du monde qui raconte des histoires d’une façon tout à fait différente. C’est passionnant ! Savez-vous que le français a une telle réputation que c’est une des premières langues étudiées à Taïwan ? La première langue que l’on étudie est l’anglais, la seconde est le japonais et la troisième, allez savoir pourquoi ?, est le français.

Comment caractériseriez-vous la production taïwanaise de bande dessinée ?

Quand le récit s’intéresse à l’histoire ou aux légendes, elle s’inscrit clairement dans la tradition chinoise, mais avec une touche plus personnelle, c’est une BD d’auteur.

La politique vous empêche-t-elle de vous développer en Chine continentale ?

Il est impossible d’y vendre directement nos produits, mais nous pouvons céder les droits à des éditeurs locaux. Mais quand l’une de nos BD devient vraiment populaire, le public chinois intéressé l’achète maintenant via l’Internet.

Quelle est la taille du marché taïwanais ?

Nous y vendons environ 20 millions d’ouvrages par an pour 23 millions d’habitants [NDLR : le marché français écoule entre 38 et 40 millions de volumes par an pour 65 millions d’habitants.] , ce n’est pas si mal... Nous aimons la BD à Taïwan.

Qu’attendez-vous de votre présence à Angoulême ?

Deux choses : j’aimerais que le public français découvre et apprécie la façon dont les auteurs taïwanais dessinent ; par ailleurs, je suis attaché à ce que nos auteurs présents découvrent un autre genre de BD que les mangas japonais.

Propos recueillis par Didier Pasamonik

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Venez découvrir la BD taïwanaise dans la cour de l’Hôtel de Ville. Inauguration le vendredi 7 à 12h30.

 
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