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Hub : "Le découpage, c’est la colonne vertébrale d’un récit. Si on le rate, on perd le lecteur."

Par Laurent Boileau le 16 août 2010                      Lien  
Sortir du lot quand son histoire évoque des sabres et des démons dans un Japon moyenâgeux n'est pas donné à tout le monde. Avec {Okko} et ces six albums maîtrisés dans le moindre détail, Hub a réalisé une entrée remarquée dans l'univers de la bande dessinée.

Quel a été votre parcours professionnel ?

Hub : je travaille depuis 21 ans et j’ai eu la chance en sortant de mon école de tout de suite travailler avec mon meilleur ami dans le cinéma. Nous avons eu une expérience extraordinaire que je considère d’ailleurs comme ma vraie formation graphique. A la suite d’un concours, nous avons été choisis par Luc Besson pour travailler sur Le 5eme élément. Et nous avons donc pu, ça a vraiment été une chance, côtoyer des maîtres comme Moebius, Mézières pendant une année. C’est là que nous nous sommes rendu compte de l’immensité du travail qu’il nous restait pour ne serait-ce qu’approcher le genou ou le mollet de ces personnes.

Qu’avez-vous fait sur ce film ?

Hub : Nous avons travaillé sur les designs des décors et des costumes… Très peu de nos dessins ont été retenus, mais ça a été une expérience formidable. Après, j’ai beaucoup travaillé pour la télé, les jeux vidéo, les dessins animés… Beaucoup d’expériences très diversifiées.

Et la bande dessinée dans tout cela ?

Hub : Depuis que je suis petit, je suis fasciné par la BD : cette possibilité de raconter des histoires seul, ou presque seul ; alors que le cinéma exige tant de moyens ! Cela me paraissait assez prodigieux. Dès l’âge de 12 ans, je me suis approprié des personnages de BD et avec ma maladresse, je leur faisais vivre des histoires sur quelques pages. Je me souviens qu’à l’époque j’avais réalisé une BD des Tuniques bleues que j’adorais. Cela faisait 32 pages et c’était très puéril, mais j’étais passionné et je voulais faire de la BD. Puis, mon rêve s’est concrétisé.

Hub : "Le découpage, c'est la colonne vertébrale d'un récit. Si on le rate, on perd le lecteur."
Pour Okko, le principe des cinq cycles était là dès le départ ?

Hub : oui ! J’ai posé très rapidement les bases de mes personnages qui ont d’ailleurs très peu changés. J’ai écrit quelques lignes pour résumer mon concept et j’ai créé des bons visuels pour aguicher. J’ai soumis le tout aux éditions Delcourt qui semblaient être intéressées et puis, ça a marché !

Après six albums réalisés, êtes-vous resté vraiment fidèle à vos idées de d’origine ?

Hub : sur tous mes albums, j’ai des points dans ma narration qui, eux, ne bougent pas. Je les avais en tête depuis le début. Et puis, il y a d’autres choses qui arrivent et qui s’épaississent ou qui s’affinent avec le temps. J’ai eu notamment des difficultés sur le cycle du feu parce que j’avais plusieurs possibilités qui s’offraient à moi. Il n’y a pas qu’une seule façon d’écrire des scénarios. C’est plutôt sain de se laisser des zones d’ombres qu’on va petit à petit éclaircir. Parce que 10 ans, c’est long ! Si on n’avait que des certitudes sur tout le récit, il n’y aurait plus que l’exécution du dessin et ça laisserait peu de divertissement intellectuel. Alors que là, j’ai un vrai plaisir à affiner le scénario pendant un an.

Dans le contexte actuel de surproduction, n-y avait-il pas un coté naïf ou même prétentieux à se dire ‘je vais faire 10 albums’ sur cette histoire ?

Hub : Alors là, très sincèrement, je ne m’en suis même pas rendu compte ! J’aime la bande dessinée, mais je ne suis pas un spécialiste et je ne connaissais pas tous les paramètres économiques qui entouraient la BD. En plus je suis arrivé à une période qui n’était pas encore en totale crise, et qui pouvait encore accepter ce genre de projet assez facilement. J’ai eu beaucoup de chance. Il ne faut pas se leurrer, il faut un peu de chance, il faut des paramètres favorables et en l’occurrence, ils l’étaient ! Oui, je suis arrivé avec une vision assez naïve pour le coup.

Cet empire du Pajan, c’est une sorte de Japon imaginaire ?

Hub : Oui, tout à fait. D’ailleurs Pajan, c’est Japon inversé. Je ne suis pas allé chercher plus loin, mais je trouvais que ça sonnait bien !

Comment avez-vous appréhendé cet univers ?

Hub : Je me documente beaucoup, mais je ne suis jamais allé au Japon. J’aimerais y aller mais, paradoxalement, seulement quand j’aurais fini ma série. Car je souhaite fantasmer sur le Japon. Je ne suis pas un historien, j’en serais bien incapable, j’ai donc pris le parti de bien me documenter et de digérer cette documentation, pour la ressortir un petit peu à ma sauce. Il y a des bases qui sont souvent issues de la culture japonaise, mais je ne m’interdis rien. Je regarde beaucoup de choses et après je me laisse une grande liberté d’interprétation.

Dès qu’on touche au fantastique ou à la magie, n’y a-t-il pas un danger de céder a la facilité ?

Hub : Dans le fantastique et l’héroïc fantasy, il y a beaucoup d’écueils à éviter. Par exemple il n’y a qu’un seul personnage qui intervient de façon magique dans mes albums, c’est le moine Noshin. J’essaie d’éviter qu’avec la magie tout soit possible.


Dans ce tome 6, Okko, votre héros, est mis a mal et relégué presque au rang de second rôle…

Hub : De toute façon, Okko, même s’il donne le nom à la série, c’est quelqu’un pour moi d’assez sombre, d’assez ambiguë. Et ça ne me dérange absolument pas de le mettre de côté… J’aime bien, au contraire, braquer les projecteurs sur d’autres personnages annexes. Dans ce tome 6, effectivement, il est mis a mal. Mais qui aime bien châtie bien sans doute ! Je pense que c’est justement dans la douleur, dans les difficultés, qu’on peut créer des récits intéressants.

Cela permet aussi, peut être, de mieux le révéler ?

Hub : Oui, mais il y reste encore beaucoup de mystères. Une de mes spécificités au niveau de ma narration, c’est que je n’aime pas travailler comme un bourrin sur des évidences. J’aime travailler sur des ambiguïtés, et il y a dans ce récit des interprétations à faire qui seront, j’espère, différentes selon les gens. Par exemple, comment fait-il pour se relever aussi facilement ? Là, on reste sur quelque chose avec un point d’interrogation, on ne sait pas bien. Et je n’appuie pas trop dessus. Bon, il y a quelques lecteurs qui se méfient un peu de ce réveil surnaturel et c’est bien quelque chose qui demande explications, mais elles viendront plus tard. Idem avec les sentiments que peut éprouver Dame Mayudama. Je n’en dit rien mais on voit quelques larmes dans son regard à la fin… Il y a pas mal de choses qui sont comme ça. Par contre, les interprétations à la fin du cycle du Vide seront pratiquement impossibles.


Sur quel aspect du graphisme prenez-vous le plus de plaisir ? Sur les personnages, les décors, les vêtements ?…

Hub : Pour le graphisme, je peux passer très vite du plaisir à la souffrance… Recommencer des décors, dessiner le énième arbre du fond… il y a un aspect répétitif qui demande une énergie, qui peut être une contrainte. Je finis parfois des albums avec des pseudos crampes aux mains ! Et à d’autres moments, je prends un pied pas possible à dessiner tous mes personnages. J’ai une particularité que je ne conseille pas forcément à tous les dessinateurs : une fois que j’ai mon story bord très précis, je prends mes 46 pages et je les dessine toutes de front. C’est-à-dire que je vais faire un petit détail dans une planche parce que j’ai envie de le faire, puis je le laisse de coté, et hop il y a un arbre dans tel case que je vais faire ! Donc tout est morcelé ! C’est compliqué au niveau des raccords parce que l’erreur est facile. Pendant très longtemps, on ne voit pas trop l’album avancer, car aucune planche n’est finie ! C’est un peu chaotique, mais l’avantage c’est que, en ne prenant pas tout de front de façon linéaire, je me fais plus plaisir sur les choses que j’ai à dessiner. Cela me permet de dessiner instinctivement les éléments dans l’ordre que j’ai envie. Alors que si je m’obligeais à dessiner un arbre à un instant précis, j’aurais plus de chance de le rater.

Vous attendiez-vous au succès de cette série ?

Hub : Je ne m’y attendais pas, mais je l’espérais ! J’étais plutôt lucide. Je sais que dans le monde de la BD, il y a beaucoup de sorties et qu’entre les espoirs que l’on a et la réalité, il y a souvent une différence. J’ai tout fait pour me faire plaisir, tout en essayant d’être fédérateur. Je voulais, ne serait-ce que par les couvertures, attirer un maximum de personnes, sans non plus tomber dans un récit trop facile. J’essaie de faire un album commercial sans l’être, c’est-à-dire qui puisse plaire aux gens, en rajoutant de choses qu’on ne trouve pas dans les autres BD. J’essaie aussi de ne pas me mettre une pression insurmontable, et donc de faire ça de façon "légère", tout en restant sérieux bien sûr.

Votre découpage est particulièrement soigné, d’une très grande clarté. Est-ce lié à vos expériences professionnelles précédentes ?

Hub : Non je ne pense pas que ça me soit naturel, au début justement chaque fois que je reprenais un découpage je transpirais énormément dessus.
Le cinéma m’a beaucoup aidé, mais je ne pense pas avoir de facilité quand je me mets dessus. Cela reste un peu laborieux. A partir du troisième album, Emmanuel Michalak est venu m’aider. Il est très fort en découpage et j’ai entièrement confiance en son analyse. C’est très rassurant pour moi. Je sais qu’ensuite mon directeur de collection refera également une relecture, et que s’il y a des ambiguïtés trop fortes dans ma narration, il me le signalera.

Quelle importance donnez-vous au découpage ?

Hub : Il est essentiel ! Le dessin, c’est autre chose, c’est juste la forme, pour donner des couleurs… Mais le découpage, c’est vraiment le passage entre l’écriture du scénario et ce que ça va devenir en dessin. C’est la colonne vertébrale d’un récit pour moi. Si on le rate, on perd le lecteur. On est toujours dans un équilibre précaire entre un récit trop court et un récit où on a tellement de choses à dire qu’à la fin, le lecteur ne comprend plus toutes les informations. Donc, même si on a pas mal de choses à dire, il faut les rassembler et les ordonner. Une de mes peurs est de ne pas être suffisamment lisible. Il faut être parlant aussi : choisir le bon cadrage, le meilleur, le plus spectaculaire. Mais il faut aussi doser le coté spectaculaire, ne jamais tirer toutes ses cartouches en même temps car être dans le spectaculaire tout le temps use la lecture. Ce sont des choix qui sont très intéressants à faire.

(par Laurent Boileau)

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Photo © L. Boileau
Illustrations © Hub/Delcourt

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