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Hub : « Okko est un oiseau de mauvais augure »

Par Charles-Louis Detournay le 18 novembre 2015                      Lien  
Le scénariste, dessinateur et co-coloriste de la série "Okko" revient avec nous sur sa saga de dix albums qui vient de se conclure. Un auteur partagé entre la passion du Japon, du fantastique... et du plaisir procuré par la bande dessinée !

Hub : « Okko est un oiseau de mauvais augure »Comment avez-vous eu l’envie de développer un univers japonais médiéval, teint de fantastique et lié au folklore nippon ?

Cette envie était présente depuis longtemps car j’avais une fascination pour cette culture. Par ailleurs, le fantastique est ancré en moi depuis je suis enfant, et je les ai donc associés. Le récit est arrivé très rapidement, mais il s’agit sans doute d’ une idée qui a longtemps muri avant de bénéficier d’une éclosion rapide.

Vous avons donc composé cinq récits, chacun développé en diptyque. Était-ce selon vous la meilleure façon d’exploiter vos histoires ?

Oui, le diptyque est le bon équilibre. Je dois avouer que beaucoup de mes choix sont instinctifs. J’ai opté initialement pour cette formule, car cela me permettait de me sentir à l’aise, de disposer de suffisamment de place pour des histoires étoffées sans devoir recourir en permanence à l’ellipse. Et puis, le fait de varier les cycles me permettait de changer d’atmosphère et de disposer de fins régulières tout en maintenant un fil conducteur.

Chacun de vos cycles s’oriente différemment, dans la forme comme dans le fond ? Devaient-ils tout se différencier, comme des pièces différentes d’un même puzzle ?

Complètement ! Je voulais caractériser chacun de mes albums avec les éléments auxquels ils sont attachés, en jouant sur les couleurs, le rythme, la thématique, etc. Prenons l’exemple du Cycle de l’air : le récit tourne et change de diretion à l’image du vent, il dispose d’effets tourbillonnants. Je pars de l’élément et je joue avec de nombreuses symboles qui se rattachent à lui, mais il ne fallait pas empiéter sur l’histoire elle-même. Ce concept de départ était assez jubilatoire, car cela me permettait d’alimenter le fond à partir de ce point de départ. Prenez l’exemple du cycle de la terre, les couleurs participent à l’atmosphère, elles sont plus terreuses et cela se ressent également dans le caractère des personnages, le récit lui-même est plus brut.

Okko T10 par Hub - Delcourt

D’entrée de jeu, on pouvait s’attendre à ce que vous développiez alors votre série en huit albums, soit quatre cycle de deux, mais vous avez ajouté le cycle du vide. Était-ce prévu depuis le début ?

En effet, je savais que je terminerais par le cycle du vide. Vous l’ignorez peut-être, mais on retrouve souvent cinq pierres superposées dans les cimetières japonais. Elles symbolisent les quatre éléments, et la cinquième pierre qui recouvre l’édifice symbolise le vide. Myamoto Musashi, un grand bretteur nippon en parlait dans ses livres, et il me semblait évident de symboliser ainsi le passé de mes personnages par cet ultime élément.

Vous jouez effectivement avec la personnalité des héros, que l’on découvre au fur et à mesure et à mesure des cycles !?

Exactement ! Mes personnages ont pris du corps et presque gagné en autonomie au fur et à mesure des albums. J’avais au départ théorisé leur psychologie, puis elle s’est mise en place, et ils arrivent à décider indépendamment de la façon dont ils se comportent face aux événements. J’ai également joué avec les codes classiques du héros, car Okko est assez torturé : il sort du canevas standard. La plupart des personnes qu’il croise connaissent d’ailleurs une fin assez violente : Okko est un oiseau de mauvais augure ! (rires) Je voulais surtout que le lecteur découvre progressivement un personnage assez ambigu, loin de toute lecture manichéenne.

Okko T10 par Hub - Delcourt

On est aussi étonné de la façon par laquelle vos ennemis croisent votre personnage : vous développez leur personnalité pour mieux expliquer qu’ils ont parfois glissé du côté sombre pour de bonnes raisons ?

Oui, même les ennemis ou les "grands méchants" possèdent leur propre histoire, leur propres complexités, comme le couple de vampires du premier cycle, et j’ai voulu expliciter des raisons fortes afin qu’on puisse comprendre leur cheminement, et leur forme de logique. Cela peut nous apparaitre cruel de prime abord mais qui se révèle plus ambiguë sous un nouvel éclairage et qui surtout rend leurs actes et leurs comportements plus compréhensibles.

Je n’aime pas les caricatures, et si on se place de leur côté, leur cruauté devient compréhensible. J’ai agi de manière parallèle avec la confrérie des Paniers qu’on retrouve dans le Cycle de la terre : ils soignaient les blessés, et à force de côtoyer ce malheur, fruit de des jeux politiques des quatre grandes familles de l’empire qui se déchiraient, ils ont voulu agir en développant une solution rêvée. Mais de leur utopie nait l’horreur... Un classique de l’histoire du monde.

Votre Cycle de l’air permet aussi de passer un certain cap : votre personnage central ne devrait pas survivre, et pourtant… Est-ce le moment où le lecteur doit comprendre toute l’ambiguïté de votre héros ?

Je voulais proposer un récit proche de l’Heroïc Fantasy, et très fantastique, tout en essayant de complexifier les choses pour offrir diverses possibilités de lecture. J’ai donc joué avec les codes pour prendre du plaisir personnel et donner ma vision du récit fantastique. Si les lecteurs ont pu en retirer du plaisir à leur tour, j’en serai très satisfait ! Oui, il s’agit d’un indice capital sur la véritable nature de Okko.

Okko T10 par Hub - Delcourt

Quels sont vos références ? Vous évoquez souvent Moebius et Hergé ?

Oui, Hergé me fascine. Ses récits continuer à me bercer. D’ailleurs, les montagnes dans Okko sont pas mal inspiré de son travail. Pour autant, mes influences restent cependant assez éclectiques, je ne me situe pas par définir de façon précise a quelle école graphique se rattache mon style et ma technique. Ainsi, en son temps, j’avais été ébloui par la forme de narration d’Otomo avec Akira, mais j’aime aussi beaucoup Tardi. Les diversités graphiques et narratives de la bande dessinée me séduisent avant tout. Tous ces différents chemins et parti pris, tout ces auteurs et l’originalité de leur univers qui leur sont propres, c’est le grand bonheur du 9e art !

Vous ne parlez pas souvent de Michetz ?!

Ah, Michetz est le plus grand dessinateur de la chose japonaise, que cela soit dans les atmosphères ou les personnages, son univers est tout simplement fabuleux ! Son dessin dispose d’une puissance incroyable ! Lorsque je lis un de ses albums, je suis vraiment transporté au Japon : c’est un maître pour moi. D’ailleurs il prenait tellement de place que je devais m’en éloigner, pour pouvoir exister, une énième raison pour m’être orienté vers des récits plus fantastiques.

Un extrait de l’art-book d’Okko
Hub - Delcourt

Quel est votre sentiment après avoir réalisé une telle saga ? Êtes-vous content, fatigué ?

J’ai vécu un conte de fée japonais : la confiance de l’éditeur, et la pertinence de ses critiques m’ont permis de de totalement m’épanouir artistiquement. J’avais des idées précises sur les couleurs et l’ensemble des éléments. Tout cela a pu mûrir comme je le désirais, car j’ai bénéficié d’excellentes conditions. J’étais très heureux et épanoui durant cette décennie.

Okko : Hub - Delcourt

Quel est votre sentiment, maintenant que vous abandonnez des personnages qui vous ont suivi pendant dix ans ?

Depuis que j’ai fini la dernière planche de cet ultime album, je n’arrête pas de décliner graphiquement mes héros pour des affiches, ou d’autres objets dit dérivés. Pour l’instant, je termine un coffret pour les Pays-Bas. Je ne leur ai donc pas encore dit adieu et je n’éprouve pas de nostalgie. Au contraire de mon compère Emmanuel Michalak qui m’a avoué avoir été touché en posant le mot fin à la fin de cette série. Cela a aussi été le cas de ma compagne Li qui m’assiste aux couleurs. Pour ma part, cela viendra sans doute plus tard... Ou pas.

Avez-vous déjà une idée de ce que vous désirez réaliser par la suite ?

En réalité, j’ai une idée depuis quelques temps qui me trotte en tête, et j’ai même dû la mettre en sourdine, car le dernier tome d’Okko m’a demandé une concentration optimale. J’ai fait un réel travail mental, afin de mettre un couvercle sur ce futur projet et j’ai dû me canaliser afin d’éviter toute dispersion dangereuse . Je vais donc pouvoir maintenant partir sur cette nouvelle aventure, elle n’a que peut de rapport avec l’univers de Okko. Afin de relâcher de la pression, j’ai commencé à rédiger quelques notes qui me servent de pense-bêtes, et j’ai réalisé quelques croquis, mais j’attends de boucler complètement Okko avant de me lancer vraiment dessus. Je n’ai d’ailleurs même pas d’éditeur. En réalité, je pense que le fait de passer rapidement sur ce nouveau projet m’empêchera d’être rattrapé par une certaine forme de nostalgie.

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay

(par Charles-Louis Detournay)

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Lire notre article Okko & Samurai : Duel au sommet entre les héritiers de Kogaratsu

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Lire notre autres chroniques d’Okko : les tomes 2, 8, notre présentation du dernier cycle Un nouveau cycle intimiste pour Okko, ainsi qu’une interview de Hub : "Le découpage, c’est la colonne vertébrale d’un récit. Si on le rate, on perd le lecteur."

Photo : Delcourt.

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