Au début, on s’interroge. Toutes situées dans la petite ville sans histoire de Ice Haven, non loin de Chicago, des séquences courtes s’enchaînent, de longueur disparate et sans lien apparent. Elles mettent en scène divers personnages dissertant sur leur vie, avec éloquence ou parcimonie, mais toujours un fond de déception… Le tout est observé à distance par un dessin lisse et statique qui, s’il aplatit au début les émotions, finit par mettre en relief le désespoir qui émane de ces pages.
Car, rapidement, on comprend : le vide et la noirceur, c’est là le propos. Comme Todd Solondz dans son film Happiness (dont il a dessiné l’affiche), Daniel Clowes se consacre ici à l’observation de vies sans envergure, même si chacun se raconte des histoires. Poètes, esthètes, philosophes en herbe et plus ou moins ratés… La vie ne peut que les broyer, comme fut broyé le petit Bobby Franks, 14 ans, tué dans les années 1920 par Leopold et Loeb, deux membres de la haute société locale en quête du crime parfait. Le meurtre froid en costume croisé de La corde d’Hitchcock rencontre un nihilisme peut-être plus contemporain : plus cynique, plus drôle aussi.
Les enchaînements d’histoires éveillent des échos comiques ou dérangeants, à la façon d’un cadavre exquis. Et la chute (que nous tairons bien sûr) vaut son pesant de cacahouètes par son humour froid et noir. Tout en achevant de relier les intrigues qui parcourent l’album, elle achève aussi… le lecteur à l’âme trop sensible. S’il fait parfois froid dans le dos, le travail de Daniel Clowes force l’admiration.
(par Arnaud Claes (L’Agence BD))
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