Cela fera bientôt un an que Glénat et Fayard ont associé leurs spécialités, la bande dessinée historique pour l’un, les biographies historiques pour l’autre, en créant la collection Ils ont fait l’Histoire, dont le principe est d’associer étroitement historiens, scénaristes, dessinateurs et coloristes pour réaliser des biographies de personnages marquants de l’histoire mondiale. Le rythme de publication fut soutenu pour assurer le lancement de la collection, avec deux albums publiés simultanément tous les trois mois. Après Philippe le Bel et Vercingétorix, après Charlemagne et Jaurès, après Napoléon et Gengis Khan, voici donc Saint Louis et Soliman le Magnifique.
Des biographies traitées sous un angle judicieux : de vrais choix de lecture
Dans ces deux albums, de vrais choix narratifs ont été faits, dans l’esprit de la collection, qui est de ne pas proposer une biographie exhaustive du personnage, mais de choisir au contraire un angle d’attaque plus précis et donc plus à même de porter une intrigue intéressante. Dans le cas de Soliman, les auteurs ont refusé de faire un traitement hagiographique qui aurait mis en scène les plus grandes victoires du « Magnifique » : la prise de Rhodes ou celle de Belgrade ne sont ainsi pas montrées, car cet album est centré sur la fin du règne de Soliman (1553-1566), ce qui le rend plus humain. C’est un vieil homme que l’on suit, luttant à l’ouest contre l’empereur Habsbourg, à l’est contre le shah de Perse, assassinant un à un ses fils pour éviter des luttes fratricides qui auraient déstabilisé l’empire, essayant de contrôler ses janissaires et subissant enfin la mort de Hürrem Sultane, sa femme, fille d’un prêtre polonais qu’il a épousée par amour, allant à l’encontre des usages de la dynastie ottomane.
Le dispositif narratif du Saint Louis est également extrêmement intéressant. La trame de l’album est construite autour des Enseignements de saint Louis, texte dicté par le roi peu avant son départ en croisade à la fin des années 1260 et composé d’un ensemble de conseils à son fils concernant le gouvernement du royaume. Cette sorte de testament scande le récit et c’est autour de lui que s’articule toute la narration : les épisodes les plus marquants de sa vie sont mis en regard des principes prônés par le roi. Valérie Theis et Étienne Anheim justifient parfaitement cette mise en scène en expliquant s’être inspirés d’un procédé utilisé dans le film Les Choses de la vie, dans lequel le héros, joué par Michel Piccoli, à l’article de la mort, voit défiler sa vie, ce qui lui permet de confronter ses actes passés aux principes qu’il veut transmettre à la postérité. Ils poussent également le lecteur à s’interroger sur la question de la représentation de l’histoire, qui, quoique scientifique, relève toujours d’une nécessaire mise en scène.
Des partis-pris graphiques et narratifs très différents
Le dessin de Cristi Pacurariu, stylisé par moments, est expressif et il réussit, à l’aide d’un remarquable travail effectué sur les couleurs par Andrea Meloni, à récréer une ambiance orientale très plaisante. Les couleurs du Saint Louis sont également très réussies, avec un jeu sur les ombres et les lumières qui donne une belle profondeur au dessin. Tout comme sur le Philippe le Bel, sur lequel ils œuvraient déjà, les historiens Valérie Theis et Etienne Anheim, s’inspirant des travaux de Michel Pastoureau, ont également apporté une grande attention au respect des réalités médiévales, réservant le bleu au roi, les couleurs chatoyantes aux nobles et celles peu vives et délavées au peuple.
Le Saint Louis s’appuie étroitement sur les sources médiévales, et notamment sur la Vie de saint Louis, rédigée par Joinville, récit très vivant permettant d’approcher l’humanité du roi comme peu de textes le permettent pour cette époque. Le Soliman se situe dans un autre registre, et l’on pourra peut-être regretter que l’album s’intéresse avant tout à une histoire purement militaire, enchaînant les combats, à la manière de l’histoire-bataille. Ses dialogues sont par ailleurs souvent trop didactiques, et donc trop chargés : il suffit de voir la taille qu’occupe le texte dans des bulles elles-mêmes très présentes sur la planche pour s’en rendre compte. À l’inverse, les auteurs du Saint Louis, même s’ils se sont inspirés des sources du XIIIe siècle, ont adopté une langue moderne très vivante. Enfin, toujours par excès de didactisme, le Soliman échoue sur l’écueil de la note de bas de page. Alors que le Saint Louis n’en compte aucune, et que plupart des albums de la collection avaient jusque-là réussi à s’en passer, Clothilde Bruneau et Estéban Mathieu en (ab-)usent, apportant des précisions érudites qui ne sont souvent pas indispensables et qui ont pour effet de gêner la fluidité de la lecture en la ralentissant.
L’ensemble reste néanmoins de très bonne tenue et l’on attend avec impatience les nouveaux opus de cette belle collection, qui nous permettront de redécouvrir, entre autres, Churchill (qui aura le droit, comme Napoléon, à plusieurs volumes, scénarisés par Kris, l’un des scénaristes les plus inventifs et les plus à l’aise ces dernières années dans le filon de la BD historique), Catherine de Médicis (l’une des rares femmes retenues pour l’instant), Louis XIV ou encore Mao.
(par Tristan MARTINE)
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