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Intégrales Dupuis : de Spirou à Métal Hurlant

Par Charles-Louis Detournay le 7 janvier 2017                      Lien  
Nous continuons le petit parcours des dernières intégrales récemment publiées par l’éditeur de Marcinelle. Si l'on attend bien sûr à y trouver du "patrimonial maison" avec "Les Petits Hommes" ou "Les Tuniques bleues" et des séries plus modernes comme "Les Nombrils", "Esteban", "Beauté", et les autres, on reste toujours surpris par le fait que cette impressionnante collection se consacre aussi à des auteurs de la génération "Métal Hurlant" parmi lesquels l'élégant Serge Clerc, le petit prince de SF de Ligne claire de La Machine à rêver. En piste !

Intégrales Dupuis : de Spirou à Métal HurlantNous avons terminé notre premier compte rendu des intégrales de Dupuis du moment avec l’une des dernières actions de Philippe Vandooren en tant que rédacteur-en-chef du Journal de Spirou, lorsqu’il remit Bizu et Jean-Claude Fournier sur les rails. C’est tout logiquement que nous poursuivons notre voyage au sein de patrimoine de Dupuis avec celui qui remplaça Vandooren à ce poste : Patrick Pinchart [1].

Le rédacteur-en-chef de Spirou de 1987 à 1993 [2] a été interrogé par Vivian Lecuivre pour introduire le huitième recueil de l’intégrale des Petits Hommes. Pinchart revient sur l’esprit de l’époque, insistant sur le fait que dans le référendum de 1991 que, en dépit de leur présence depuis 35 ans, la série ne suscitait aucune lassitude auprès des lecteurs qui la classaient parmi leurs dix séries préférées.

"Les Petits Hommes" de Seron
© Dupuis

Le dossier explique bien la méthode de Seron pour garantir cette longévité : surprendre, ne jamais s’endormir sur ses lauriers ! Ainsi, avec les six albums repris dans ce recueil (du tome 27 C + C = boum à l’album 32 Melting-pot), l’auteur fait toujours preuve d’autant d’inventivité : longue introduction sans ses héros, découpage de lettrage de traitement de texte pour le coller sur ses planches originales, féminisation de la série avec Les Catherinettes, retour des avions de chasse avec Choucroute Melba, l’émotion d’une femme en mal d’adoption pour Bébé Tango, l’inclusion du jeu vidéo dans Melting-Pot, non sans oublier lues nombreuses expérimentations graphiques dont il est coutumier.

Le dossier nous offre des photos d’époque, des couvertures méconnues et autres dessins rares. Il explique également que Seron est rétif aux injonctions de son éditeur. Ainsi, lorsque les responsables de Dupuis lui demandent de retirer le personnage de « 1 lecteur » qui intervient et réagit au récit, Seron étale son linge sur la place publique dans la dernière page de Choucroute Melba et propose un référendum à son public ! Retirée de l’album, on retrouve cette planche reproduite dans ce dossier très complet, reproduisant des courriers entre l’auteur et son rédacteur-en-chef, tout en mentionnant les autres albums et travaux réalisés par Seron durant cette période.

On regrette juste que l’intégrale ne reproduise pas le Mini-jeu des 7 Trombines, qui était vendu avec la première édition de l’album. Mais cela ne doit pas dissuader le lecteur qui a pu apprécier cette série pleine d’inventivité d’acheter cette édition, d’autant que les premiers recueils viennent d’être réédités : plus d’excuses pour passer à côté !

À vos lianes !

Autre série d’anthologie, malheureusement injustement considérée, Dupuis publie le second volume de Boulouloum & Guiliguili, dont nous avions présenté en détail le premier recueil->art 18496]. Voici que Didier Pasamonik nous en disait :

« [Mazel]-t-il démérité pour autant ? Non, et c’est là qu’interviennent les "spécialistes" comme Patrick Gaumer dans le cadre d’une politique patrimoniale des éditions Dupuis : l’œuvre nous est rendue, dans son intégralité et dans sa qualité (parfois même améliorée), pour ainsi dire idéale. Enfin, on peut juger sur pièce, remarquer la force d’un dessin clair, précis, dynamique et juste. Nous ne sommes pas ici chez un quelconque sous-Franquin ou sous-Peyo, mais chez un dessinateur conscient de ses possibilités à l’aise dans le traitement de l’image, de la séquence. »

« Cauvin est égal à lui-même avec cette qualité constante qui a trouvé le succès avec Cédric ou Les Tuniques bleues. On lui découvre une fibre écologique que traduisent les titres de ses récits : "Le Grand Safari", "Chasseurs d’ivoire", "S.O.S. Jungle"... Des sujets d’une actualité brûlante, mais qui datent de près de quarante ans... »

Et comme à son habitude, Patrick Gaumer dépasse toutes nos attentes dans le dossier de ce second volume. Non content d’expliquer en détails le contexte de création des aventures, il revient surtout sur l’atmosphère particulière qui anime Dupuis en cette fin des années 1980. Car l’on propose à Mazel de reprendre Spirou et Fantasio, ce que ce dernier refuse sur les conseils de Franquin !

Cauvin et Mazel profitent alors de ce contexte flatteur pour lancer la série dans de nouvelles directions, avec la montée en puissance d’une figure féminine incarnée par Pin-up, avant de finalement modifier les noms de leurs deux personnages (et donc de la série qui se transforme en Jungles perdues), et d’entraîner leurs héros dans de nouvelles thématiques fantastiques voire écologiques, dans une parfaite cohérence et un humour omniprésent.

Le dossier contient des matériaux parus dans Le Journal de Spirou, mais aussi tout ce qui touche de près ou de lui Boulouloum/Kaloum et Guiliguili/Kong : carte illustrée, aventure un plus osée et parue dans le fanzine Ca Pue éditée par Thierry Joor (futur éditeur de Delcourt) ainsi qu’une double page traitant de Dracula, reportage sur les singes, croquis, illustrations inédites, des pages d’annonce, etc. Que de trésors ! Ce second recueil regroupe non seulement les cinq derniers titres des Jungles perdues, mais également trois histoires parues dans Le Journal de Spirou restées inédites en album. Outre ces dix-sept planches, ainsi que des croquis de couverture et autres dessins, on y ajoute aussi l’histoire complète de 44 pages de L’Espace sidérant, qui fut laissée pour compte à l’époque.

L’épisode "L’Espace sidérant" paru dans la biographie de Mazel chez Bédébu en 2003, reparaît en couleurs dans cette intégrale.

Avec son changement de titre en cours de séries et ses choix éditoriaux erratiques, Boulouloum et Guiliguili constitue l’un des plus beaux ratages de Dupuis en dépit de son succès à l’étranger : la série est arrêtée alors que la onzième aventure L’Espace sidérant était complètement finalisée. Elle ne paraitra que vingt ans plus tard, en noir et blanc avec une biographie de Mazel, puis de manière inattendue dans Spirou en 2008. C’est donc avec beaucoup de bonheur qu’on la retrouve dans cette intégrale, en espérant que ces deux recueils permettront à la série de connaître une seconde vie !

Les enfants sous les drapeaux

D’un mini-Tarzan dans la jungle aux enfants plongés dans l’enfer de la guerre de Sécession, il n’y a qu’un pas, qu’on saute allégrement avec Cauvin. On s’en souvient, Lambil est profondément opposé aux intégrales des Tuniques bleues tant que la série continue de proposer de nouveaux titres. Ce qui n’a pas empêché Dupuis de proposer dix plus petits recueils thématiques, regroupant à chaque fois deux des soixante albums, accompagnés d’un dossier pédagogique. Ce sixième recueil traite des enfants dans l’armée, une idée qui peut sembler incongrue mais qui, au contraire, s’avère efficace pour évoquer la rudesse du quotidien des soldats, mais aussi l’humanité de nos deux héros, Blutch principalement.

Rédigé par Philippe Tombelaine, ce dossier mêle une nouvelle fois l’analyse des albums à un développement des thématiques appuyé sur une belle documentation historique. En dépit de textes parfois très abondants, cette édition s’avère utile pour apprécier une série qui multiplie les degrés de lecture.

Des best-sellers à l’honneur

Dupuis n’attend désormais plus le nombre des années pour remettre en valeur des séries déjà couronnées de succès. Ainsi, alors que Les Nombrils proposent leurs premières vacheries dans le Journal de Spirou, deux intégrales (sur les trois que devraient compter la série) rassemblant les sept premiers tomes de cette série déjà devenue un classique.

Pas de dossiers complémentaires au sein de ces recueils, mais une présentation soignée et complète, sans oublier la petite blague du tome 4 près des dépôts légaux. Delaf & Dubuc sont bien servis !

Autre publication bienvenue, l’intégrale du premier cycle d’Esteban regroupe les cinq albums, dans leurs versions complétées tels qu’ils ont été réédités chez Dupuis (on se souvient que la série était née dans la revue Capsule cosmique cher Milan), avec huit planches complémentaires pour les deux premiers tomes.

S’y ajoutent huit pages complémentaires de superbes illustrations qui raviront les fans de de Matthieu Bonhomme. Voir un exemple ci-dessous :

Après une intégrale en bichromie limitée à trois mille exemplaires et parue en 2014, Dupuis rassemble à nouveau les trois tomes de Beauté, signée Hubert et les Kerascoët, toujours enrichie de l’épilogue de trois pages, mais cette fois-ci en couleurs.

Un beau voyage à proposer à ceux qui seraient passé à côté de ce conte aux accents modernes.

Changement d’univers avec l’un des tous derniers best-sellers de Dupuis, Dent d’Ours, dont l’éditeur rassemble ici le cycle des trois premiers tomes dans une intégrale fort bien réalisée. Outre les trois albums, on y retrouve les couvertures sans les titrailles, ce qui permet d’admirer le talent d’illustrateur hors pair d’Alain Henriet.

Même objectif avec le superbe cahier de 28 pages qui se trouve en fin de volume. On y retrouve des illustrations couleurs de la série, mais aussi des croquis et des story-board qui dévoilent le making-of de ce premier cycle. Le dessinateur et son scénariste Yann se livrent dans un long interview qui retrace l’aventure de la série et explique les différents choix opérés par les auteurs. À conseiller à tous ceux qui auraient malheureusement fait l’impasse sur les premiers tomes, surtout que le second cycle vient de débuter avec la parution du tome 4 !

"Le Diable des Sept mers" vient de paraître en intégrale.Enfin, à tout seigneur tout honneur, Dupuis a décidé de valoriser le Grand Prix d’Angoulême, en réunissant le diptyque du Diable des Sept mers dans une belle intégrale. Rappelons qu’il s’agit d’un des plus surprenants récits d’Yves H. qui commence mezzo voce comme un traditionnel récit de flibustier mais dont le rythme s’emballe dans la seconde partie, lorsque les morts-vivants s’en mêlent !

Si ce mélange de piraterie et de fantastique divise les amateurs d’Hermann, le maître du mouvement y déploie néanmoins toute la puissance de son talent graphique dans des planches magnifiques. Il faut dire que Polanski avait approché Hermann en 1980 pour réaliser le storyboard de son film Pirates, comme le rappelle le dossier en fin de récit. Et que ces dessins avaient littéralement enfantés ce projet flibustier.

Le terme d’intégrale prend une fois de plus tout son sens avec ce volume : les éditeurs ont non seulement rajouté la planche inédite proposée avec le tirage limité du second tome, en la réinsérant dans l’album, mais on y retrouve aussi les différentes couvertures et dessins réalisés par Hermann pour cet univers. Sans oublier les premières pages du story-board de Polanski accompagné d’explications d’Yves H. Incontournable.

Le Diable des Sept Mers : dans l’intégrale, une planche inédite qui a été rajoutée, une case ayant été refaite pour s’insérer dans la version finale

Serge Clerc, la tête dans les étoiles

Terminons ce tour d’horizon des intégrales de Dupuis avec le magnifique recueil dans lequel l’éditeur a regroupé les bandes dessinées et les travaux de Serge Clerc->art12640] traitant de science-fiction.

Comme la grande majorité de ces travaux sont issus de la défunte et géniale revue Métal Hurlant, on peut s’étonner de les voir rejoindre le catalogue de Dupuis, mais ce n’est pas nouveau : depuis quelques années, l’éditeur de Marcinelle propose à ses lecteurs une redécouverte en profondeur de l’œuvre du dessinateur-espion : l’art-book consacré à Spirou et Fantasio en 2011, l’intégrale de Phil Perfect en 2012, à l’Intégrale Rock en 2014. Après tout, n’est-il pas un héritier de Jijé ?

Une planche de "Captain Futur"

Limitée à 2500 exemplaires, cette édition de près de quatre cents pages agrémentée d’un frontispice signe par l’auteur parachève de manière grandiose ce travail ! On y retrouve naturellement les bandes dessinées les plus connues de Serge Clerc, dans ce registre : Les Merveilles de l’Univers issues de Métal Hurlant comme Captain Futur ou Jack Titan, sans oublier le rarissime Sam Bronx et les robots paru chez Magic Strip !

Sam Bronx, qui avait inauguré la collection Atomium aux éditons Magic Strip en 1980 reparaît dans cette intégrale.
© Dupuis

Mais l’intégrale regroupe aussi tous les courts récits et les illustrations réalisés par l’artiste entre 1974 et 1989. Le tout profite des commentaires de Serge Clerc himself. Enfin, la totalité du roman de Manchette Mélanie White est reproduit ici avec les illustrations couleurs réalisées par le Maestro.

La lecture du dossier introductif rappelle en quoi la science-fiction fut la porte d’entrée de l’auteur dans le monde de la bande dessinée. Ses œuvres de jeunesses, la revue qu’il crée avec deux amis, ses premiers pas dans l’Echo des Savanes et surtout dans Métal Hurlant, puis sa montée en puissance graphique dans le d’une certaine parodie vintage, ces différentes étapes sont rapportées avec soin et s’appuient sur la reproduction des travaux d’époque.

Un extrait de "Mélanie White"

Une indispensable intégrale pour tous les fans !

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782800169705

Lire la première partie de cet article : Intégrales : Dupuis tire plus vite que son ombre

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- Intégrales et beaux livres sous le sapin (1/4) : Dargaud en pôle-position
- Intégrales et beaux livres sous le sapin (2/4) : Gir et Moebius, en intégrales, les deux faces d’un génie

A suivre ==> Intégrales et beaux livres : un musée de papier (4/4)

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[1Actuellement le grand timonier de Sandawe et fondateur d’ActuaBD voici 20 ans !

[2Patrick Pinchart revint à la tête de la rédaction du journal en 2005, avant de céder la place à Olivier Van Vaerenbergh.

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