Shay Charka et Uri Fink sont deux artistes de bande dessinée israéliens très connus dans leur pays. Leurs idées et le style de vie sont tout à fait opposés ; Fink, marié et père de famille, vit à Ramat Hasharon près de Tel Aviv, une vie d’Israélien laïc avec des idées de gauche quant à la politique israélienne. Charka, marié et père de famille lui aussi, vit dans une colonie et est « Dati », religieux. Ces deux compères tout à fait opposés sont des amis proches dans la vie.
Ils ont décidé tous deux de consacrer leurs derniers albums à expliquer à l’aide de plumes, pinceaux et couleurs leurs positions politiques quant à Israël et au conflit du Moyen Orient. Les deux albums décrivent des faits et expériences vécus par chacun d’eux et basés sur des évènements politiques survenus en Israël.
Deux auteurs qui reflètent les déchirements de la société israélienne
Le nouveau Musée de la Caricature et de la Bande Dessinée qui vient d’ouvrir ses portes en Israël a été l’occasion d’une joute entre ces deux artistes au moment du lancement de leurs albums respectifs mais aux points de vue opposés parus chez le même éditeur, Modan. Une estrade leur était réservée lors d’une soirée intitulée « Les canons tonnent et les muses gribouillent… »
La biographie de ces deux artistes est riche. Fink a publié jusqu’à présent près de 40 albums, a vu ses bandes reproduites dans de nombreux quotidiens, dont un même à caractère religieux !
Shay Charka bénéficie également d’une belle carrière : il a publié 9 albums, il participe en tant que caricaturiste à des émissions télévisées, il est aussi créateur de personnages publicitaires. Il a également révisé la traduction des trois derniers albums d’Astérix et Obélix parus chez Modan.
Uri Fink et Shay Charka pensent tous deux que la bande dessinée en Israël ne jouit pas encore du statut qu’elle mériterait. Les albums sont toujours enfouis dans les rayons enfants ou jeunesse.
Bataille de dessins
Shay Charka vient de publier son dernier album « Meever la Kav » (« Au-delà de la ligne » en traduction libre, encore inédit en France) où il décrit dans un style satirique le point de vue d’un homme de la droite israélienne et la vie de son personnage Charter, un caricaturiste qui habite l’une des colonies de Samarie.
« Au-delà de la ligne » révèle en BD tous les conflits intérieurs de l’israélienneté de Charka. Il avoue que cet album est le reflet de ses opinions mais ne parle pas vraiment de lui afin de ne pas exposer sa famille. L’usage d’un héros lui permet en outre de prendre un certain recul. « Je ne cache pas mes opinions ou mon identité politique. Je suis à l’aise avec moi-même, mais je sens le besoin de réagir. La BD me permet de parler franchement, de dire ma vérité. Tout ce qu’il me faut, c’est du papier et un stylo. »
Le livre autobiographique d’Uri Fink qui a déjà paru en français aux éditions Berg décrit d’un point de vue gauchiste israélien, les évènements survenus lors des 40 dernières années de cette jeune nation qui vient de dépasser la soixantaine… Fink est ferme sur ses positions qui prônent le dialogue et la ligne du mouvement israélien « La Paix Maintenant. » Il a été l’un de ceux qui ont soutenu le désengagement des colonies, ce même désengagement qui a été traumatisant aux yeux de Charka.
Toutes ces questions sont au cœur de leurs albums : ils proposent au lecteur une remise en question de leurs convictions avec, pour chacun, talent et humour.
La rencontre en soi et le lancement de la parution des deux albums en parallèle a été un évènement de grand attrait pour le public et les médias en Israël. Les deux artistes ont commencé par présenter leurs œuvres, leurs sources d’inspiration et des anecdotes survenues au cours de leur travail. Ce débat a duré deux heures est s’est terminé par « un duel aux pinceaux » des deux artistes qui ont présenté leurs opinions en dessinant.
Uri Fink et Shay Charka sont très amis dans la vie de tous les jours et Uri dit qu’il adore discuter avec Shay et qu’il est toujours à la recherche sur Internet de cafés ou restaurants casher où ils peuvent se rencontrer.
Ces deux là discutent énormément mais ne se disputent jamais !
Quand on leur demande ce qui caractérise un auteur de bande dessinée, Charka répond que c’est le désir de raconter de manière visuelle ce qui se passe dans son imagination. Fink dit que c’est sa manière d’être ronchon…
(par Dorith Dalioth)
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