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Istanbulles 2010 : Miaou à Beyoğlu

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 16 octobre 2010                      Lien  
Un festival de BD à Istanbul, et international encore bien ? En voilà une drôle d’idée ! Y-a-t’il seulement une bande dessinée turque?, se demande le lecteur francophone. L’évènement vient cependant d’ouvrir ses portes avec coup sur coup trois expositions : une consacrée au « Chat » de Philippe Geluck, une autre consacrée au scénariste Jean Dufaux et à ses dessinateurs, une enfin consacrée au mensuel Fluide Glacial. ActuaBD en est le partenaire.

Quiconque a visité le quartier de Cihangir dans le district de la commune de Beyoğlu à Istanbul a pu être frappé par la profusion des chats qui s’y promènent en toute liberté. Ils sont partout : sur le pas de la porte des immeubles, couchés sur les automobiles parquées de façon un peu chaotique dans la ville, où sur les étals des bouquineries où, impassibles, qu’il fasse une chaleur étouffante ou qu’il pleuve des cordes, ils trônent en majesté.

Istanbulles 2010 : Miaou à Beyoğlu

Istanbul est une des seules villes au monde où les habitants, mais aussi la municipalité qui a mis sur pied une équipe spéciale pour leur vaccination, s’occupent des chats de rue, recueillent ceux qui sont malades ou blessés, leur donnent régulièrement à manger, même s’ils ne leur appartiennent pas. On comprend que la créature de Philippe Geluck y ait installé ses pénates jusqu’au 23 octobre à l’Institut Français d’Istanbul. Sa silhouette surplombe la place de Taksim, au coin de la rue Istiklal où passent quotidiennement des centaines de milliers de Stambouliotes et de touristes étrangers. C’est l’endroit qu’a choisi le festival Istanbulles pour ouvrir mercredi 13 octobre 2010 sa première grande exposition.

Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Convergences et divergences

Mais auparavant, toujours à l’Institut Français, Laurent Mallet, maître de conférence à l’Université de Galatasaray, avait animé un débat dans l’auditorium de l’Institut comparant la situation de la bande dessinée franco-belge à celle de la bande dessinée turque. Avec ses 4000 nouveautés par an et ses best-sellers millionnaires, la BD francophone faisait rapidement figure de nantie. Mais Jean Dufaux et Philippe Wurm corrigèrent cette impression soulignant que, du fait de cette situation, bon nombre d’auteurs français et belges ne vivaient pas de leur travail, les jeunes créateurs en particulier.

De son côté, les dessinateurs turcs Ersin Karabulut et Memo Tembelcizer, qui animent et possèdent avec d’autres dessinateurs le magazine hebdomadaire Uykusuz, expliquèrent le rôle politique de la bande dessinée dans leur pays. Un statut bien différent de la bande dessinée francophone davantage distractive.

Tuncay Akgun, auteur et rédacteur en chef du premier journal d’humour turc, LeMan, comparait quant à lui son titre à notre Charlie Hebdo et estimait à une centaine les auteurs de bande dessinée turcs vivant de leur métier, le marché de l’album étant balbutiant dans ce pays.

BD turque et franco-belge : convergences et divergences à L’Institut Français d’Istanbul
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Pour relancer le débat, devant un auditoire d’une centaine de personnes, Laurent Mallet demanda si la reconnaissance de la BD en Europe et notamment son institutionnalisation à travers des expositions, des musées et autres subventions ou distinctions honorifiques, n’avait pas quelque peu aseptisé sa pertinence politique. Jean Dufaux fit observer que les bandes dessinées sur Sarkozy, par exemple, étaient très nombreuses mais qu’en général, les créateurs préféraient des sujets allant au –delà de ce seul rôle sociétal, dans une démarche comparable au cinéma et à la littérature, sans pour autant renoncer à l’expression politique.

On a dès lors bien compris que la bande dessinée turque a une tradition de contre-pouvoir et que la liberté d’opinion est un combat de tous les jours pour elle, comme en témoignent les menaces qui ont obligé la grande caricaturiste turque Remize Erer à émigrer à Paris après avoir été brutalement débarquée du journal Radikal, celui-ci ayant nommé à sa tête un nouveau patron davantage en phase avec le pouvoir.

À la suite de ce débat, les spectateurs pouvaient rejoindre le vernissage de l’exposition Geluck « Le Chat à Istanbul ». L’accrochage des dessins de Geluck remporta un grand succès. Le Consul Général de France à Istanbul, M. Hervé Magro, a accueilli son homologue le Consul Général de Belgique à Istanbul M. François del Marmol ainsi que M. l’Inspecteur général de Wallonie-Bruxelles international, M. Charles-Étienne Lagasse. Si le premier a exprimé la « bonne idée » qui consistait à lancer un tel festival à Istanbul, ce dernier ne manqua pas de signaler que cette première édition était soutenue par le trio actuellement à la présidence de la Communauté Européenne (Espagne, Hongrie et Belgique), trio dans lequel la Belgique était en charge de la culture.

MM. L’Inspecteur Général de Wallonie-Bruxelles Charles-Etienne Lagasse, le Consul Général de Belgique François del Marmol et le Consul Général de France à Istanbul, M. Hervé Magro inaugurent l’exposition.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Dans l’assemblée, on reconnaissait le dessinateur israélien Michel Kichka, l’éditeur de Uykusuz, Orhan Açar, ou encore Emre Yavuz, l’éditeur des éditions Marmara et responsable de la principale librairie spécialisée de BD à Istanbul partenaire du Festival, Gon, où les auteurs sont allés signer leurs albums.

L’éditeur Emre Yavuz, le dessinateur Memo Tembelcizer, le dessinateur Ersin Karabulut, l’éditeur Orhan Açar, Jean Dufaux et Philippe Xavier chez le Consul Général de Belgique
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Croisement et Croisade

Le lendemain, la Galerie InSitu de Charles Mordret accueillait dans un bel espace, les salons Infinitas de 8, l’exposition « L’Univers fantastique de Jean Dufaux » en présence du scénariste belge flanqué de ses deux dessinateurs Philippe Xavier (Croisade) et Philippe Wurm (Les Rochester). Sur les murs, des originaux des principales séries l’univers de Jean Dufaux : Rapaces, Murena, Niklos Koda,Djinn, Giacomo C. La Complainte des landes perdues, etc.

Là aussi, il y avait foule, le vice-consul Florent Lacroix ayant rejoint le consul de France, de même qu’une délégation du Festival de bande dessinée d’Erevan en Arménie et l’éditeur de Yapi Kredi qui publie Croisade en turc.

Cela a été l’occasion pour Jean Dufaux de rencontrer le dessinateur turc Kemal Aratan, une sorte de Vuillemin poétique (bien sûr que c’est possible) qui est sans doute le dessinateur de BD le plus connu de Turquie et qui publie dans l’hebdomadaire LeMan, ainsi que dans son mensuel L-Manyak (Manyak veut dire obsédé en turc).

Kemal Aratan et Jean Dufaux
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Du Fluide Glacial chez LeMan

On retrouva Kemal Ataman en compagnie du dessinateur Dominique Bertail, venu avec les trois dessinatrices fondatrices du Festival d’Erevan spécialement d’Arménie (24 heures de bus plus 12 heures de train soviétique…), le lendemain au Centre Culturel LeMan proche de l’avenue Istiklal. Un orchestre accueillit l’exposition Fluide Glacial concoctée par l’équipe de Thierry Tinlot (aux cimaises : Gotlib, Franquin, Alexis, Blutch, Riad Sattouff, etc.) dans ce haut lieu de la BD alternative d’humour. L’enivrante mélopée nous poursuivit jusque tard dans la nuit.

Ce soir, le festival se terminera au centre culturel Klaxon, avec bières et frites belges au menu. Cette fois, ce sera l’équipe d’Uykusuz qui sera de la fête et le prix Istanbulles – Cengiz Hadimli de la meilleure BD francophone susceptible d’être traduite en turc sera remis à cette occasion par un jury d’éditeurs turcs.

Nous ne manquerons pas de vous tenir informés.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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