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"J’ai Tué", une nouvelle collection dans les coulisses de l’Histoire

Par Charles-Louis Detournay le 23 septembre 2015                      Lien  
Porté par de grands auteurs, la nouvelle collection de Vents d'Ouest débute en force avec trois récits qui évoquent les meurtres de Philippe II de Macédoine, l'Archiduc d'Autriche et ... Abel. Des albums de niveaux différents qui signalent les avantages et les faiblesses d'un projet éditorial de ce type.

Après Ils ont fait l’Histoire et Les Grands Peintres, le groupe Glénat continue sa politique de lancement de grandes collections évoquant le destin de grands personnages historiques. Le point de départ de J’ai tué est un peu plus sombre, car la collection de Vents d’Ouest nous propose de « plonge[r] dans l’ombre des grands assassins de l’Histoire ! ». L’argument de l’éditeur s’appuie sur le fait que l’Histoire de l’humanité est jalonnée d’assassinats qui ont marqué leur époque, mais que si les victimes sont réputées, leurs assassins demeurent souvent méconnus du grand public.

"J'ai Tué", une nouvelle collection dans les coulisses de l'Histoire« La collection J’ai Tué vous propose de redécouvrir ces épisodes clés de l’Histoire, explique le directeur de collection Michaël Le Galli, « de l’Antiquité à l’époque contemporaine, en vous positionnant du côté exclusif de l’assassin. Haine, soif de justice, ambition, fanatisme... Leurs motivations sont différentes mais leur volonté est la même : tuer. Ces albums, […] formant chacun une histoire complète, vous feront suivre de l’intérieur ces assassinats restés célèbres. Embarqués aux côtés du tueur, vous allez l’accompagner dans le processus à la fois simple et complexe du passage à l’acte... Celui qui, dans le sang, marquera l’histoire à tout jamais. »

François-Ferdinand, Archiduc d’Autriche

Parmi les trois albums qui débutent cette nouvelle collection, intéressons tout d’abord par celui scénarisé par le directeur de collection lui-même, Michaël Le Galli. Il évoque l’Europe au bord de l’explosion, en ce début d’année 1914. À tout moment, les deux blocs antagonistes, Triple Alliance contre Triple Entente, peuvent entrer en conflit, et dès les années 1912-1913, la région des Balkans se transforme en véritable poudrière. Lycéen pauvre et tuberculeux, Gavrilo Princip souhaite libérer les Serbes de Bosnie soumis à l’oppression autrichienne. Accompagné par deux compagnons aussi exaltés que lui, Gavrilo décide d’aller assassiner l’Héritier du trône austro-hongrois lors de sa visite à Sarajevo. Parti de Belgrade, le périple de ces trois conjurés est un incroyable concours de circonstances. Nul n’aurait pu prévoir, et Gavrilo moins que quiconque, que par son geste, il allait faire basculer l’Europe dans la Première Guerre mondiale.

En se plaçant aux côtés de l’assassin, et en nous faisant vivre ce trajet qui s’apparente à une aventure des Pieds Nickelés, Le Galli en oublie malheureusement la tension qui doit supporter un album. En effet, dès le début du récit, le lecteur connaît déjà l’assassin et sa méthode. Si les pérégrinations des conjurés et les frasques de l’un d’entre eux apportent un petit souffle épique à cette tragédie, le manque d’arrière-fond historique (l’oppression autrichienne n’est jamais vraiment expliquée) et l’absence de rebondissements affadissent l’intention initiale.

Le dessin léger et minutieux d’Héloret apporte la candeur nécessaire à ces assassins mineurs d’âge. Ses décors restituent avec justesse les villes de l’époque, même si cela traduit à nouveau mal l’oppression autrichienne. Après le voyage (un peu long) vers Sarajevo, la présentation des lieux comporte un réel intérêt historique et narratif. Le choix narratif de laisser le lecteur aux côtés d’un Gavrilo frustre fait vivre les événements au plus près de l’action, mais aussi de ressentir une partie des émotions de l’assassin.

En définitive, cet album s’accompagne surtout d’une plus macabre double-lecture : celle de suivre une petite cellule de terroristes naïfs fomenter un complot qui aura des répercussions mondiales. Terrible écho de l’Histoire, cent ans avant notre époque possiblement bouleversée par des faits parallèles.

Dethan, passionnée d’Antiquité

Sur les Terres d’Horus, Khéti fils du Nil, Le Tombeau d’Alexandre, les Ombres du Styx et les autres ouvrages d’Isabelle Dethan ont prouvé qu’elle était une experte dans les restitution de l’Antiquité. Elle s’est donc attelé à une partie de l’Histoire qui n’avait pas encore été abordée en bande dessinée : la période macédonienne précédant les invasions d’Alexandre le Grand.

En 337 avant J.-C., le roi Philippe II de Macédoine est au summum de son règne. Il a fait de son pays un royaume puissant et respecté par toute la Grèce, et sa succession est assurée en la personne d’Alexandre, né de son union avec sa quatrième épouse. Mais, tout en préparant l’invasion de l’Asie, ce roi boiteux et borgne de quarante-cinq ans s’apprête à se marier pour la 7e fois. Il n’aura pas le temps de mener à bien ces projets puisqu’il meurt assassiné en juillet -336. Un régicide qui permet à un jeune homme d’à peine 20 ans de devenir le plus grand conquérant de tous les temps. L’Histoire n’a retenu que le nom du bras armé : Pausanias d’Orestis, le garde du corps de Philippe. Cet album veut nous expliquerait-il qui en seraient les véritables commanditaires ?

L’intérêt de ce récit est double : tout d’abord, l’extraordinaire talent d’Isabelle Dethan à faire revivre la période macédonienne. Même si ses personnages manquent parfois de texture, ses décors évoquent aussi bien les quartiers sordides que les palais, ou l’agencement des lieux publics. De plus, comme l’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs, l’absence de mobile du crime laisse la porte ouverte à bien des interprétations. Dès lors, guidé par les intrigues de palais qui se mêlent aux motivations personnelles, cet album transpose avec intérêt l’ambiance de l’époque. Les amateurs d’Histoire apprécieront !

Abel : la référence

Deux grands auteurs se sont réunis pour réaliser le troisième récit qui inaugure cette collection : Serge Le Tendre (La Quête de l’Oiseau du temps, La Gloire d’Héra, Chinaman, Mister George, Golias, etc.) et Guillaume Sorel (L’Île des Morts, Algernon Woodcock, le Horla, etc.). Ensemble, ils se sont attelés à l’assassinat sans doute le plus connu des religions monothéistes, symbolique du premier meurtre de l’Humanité : celui d’Abel.

Pour rappel, l’Ancien Testament dit que les deux frères Caïn et Abel eurent un jour la fâcheuse idée de faire des offrandes à leur dieu Yahvé. Celui-ci accepta celles d’Abel, l’éleveur nomade, et refusa celles de Caïn, le cultivateur sédentaire. La suite est connue : de dépit, Caïn, l’aîné, tua Abel, le cadet, et c’est ainsi que le premier homme né d’une femme devint le premier assassin de l’histoire de l’humanité.

L’évocation de ce mythe peut sembler vide de sens, mais la surprise est de mise dès les premières pages. Serge Le Tendre débute son récit dans le désert, sans connotation historique : une façon de retirer toutes les références au lecteur, avant de le guider dans sa minutieuse construction. En effet, suit la magistrale arrivée à Babylone qui permet de comprendre que l’opposition entre Caïn et Abel est transposée dans une époque plus récente. Le scénariste a imaginé que ce crime originel s’est perpétué à travers les âges et que l’heure de la vengeance de l’un et du sacrifice de l’autre est venue...

Par cette opposition entre un chef de famille croyant et un tyran athée ultra-violent, le récit prend alors une dimension plus philosophique : qu’est-ce qui pousse un homme a ôter la vie à un autre ? L’envie de meurtre est-elle liée à d’autres sentiments, tels que le désir ou la colère ? Le crime est-il moins grand si le meurtrier a agi de manière réfléchie ou impulsive ? Et quel est la place de Dieu dans cette pulsion par trop humaine ?

Abel - Par Le Tendre & Sorel - Vents d’Ouest

La force de cette évocation n’aurait pu trouver une belle interprétation qu’avec la mise en scène (et les lumières) de Guillaume Sorel. Chaque page est travaillée en fonction du lieu afin de faire ressentir la chaleur du désert, évoquer la puanteur d’une ville ou la tourmente d’une attaque. Car ce sont finalement les sentiments qui prédominent : dans les visages des personnages qui bénéficient du travail déjà réalisé sur Le Horla, et dans son travail de couleur directe.

Avec cet Abel, Sorel signe certainement son plus bel album, nouvelle preuve de sa maestria graphique. Par sa réussite et sa thématique, ce récit représente également le meilleur de ce qu’on peut attendre de cette collection. Deux autres tomes sont actuellement encore prévus : on les espère dans la lignée de celui-ci, une référence au sein de la publication actuelle.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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