Interviews

JM Ken Niimura : "A l’ère d’Internet, c’est devenu assez commun pour les auteurs de travailler dans plusieurs pays"

Par Arnaud Claes (L’Agence BD) le 27 février 2009                      Lien  
Le dessinateur espagnol sort chez Quadrants son premier album, {Je tue des géants}, scénarisé par l'Américain Joe Kelly. Rencontre avec un jeune auteur aussi talentueux que sympathique.
JM Ken Niimura : "A l'ère d'Internet, c'est devenu assez commun pour les auteurs de travailler dans plusieurs pays"
Je tue des géants - Tome 1 sur 2 de JM Ken Niimura
Editions Quadrants

Peux-tu nous décrire ton parcours jusqu’à la publication de ce premier album ?

Je suis un dessinateur espagnol-japonais, j’ai fait les Beaux-Arts à Madrid et Bruxelles, pas mal de travaux d’illustration en free lance, ainsi que quelques histoires courtes en bandes dessinées qui ont été publiées surtout en Espagne. Je donne aussi des cours de manga en Espagne et en France, dans lesquels j’apprends à utiliser les techniques de narration plus que le dessin à proprement parler.

Comment as-tu été amené à travailler avec Joe Kelly ?

Nous nous sommes rencontrés dans le cadre du festival de bande dessinée de Getxo, à Bilbao, en dédicaçant côte à côte, on a fait connaissance et je lui ai passé la dernière BD que j’avais faite. Ce n’est que quelque temps plus tard qu’il m’a envoyé un e-mail en me proposant le projet I Kill Giants, qui m’a bien plu, je lui ai dit d’accord. C’était il y a 3 ou 4 ans ; par la suite on a échangé quelques mails pendant un an, et on n’a vraiment attaqué le projet que début 2007. J’ai passé presque une année à faire des esquisses, des essais, et commencé à travailler sur les planches début 2008.

Qu’est-ce qui t’a plu dans l’histoire de cette adolescente qui raconte qu’elle tue des géants et vit un peu dans son monde ?

Je trouve que Joe a écrit une histoire solide, pleine de sensibilité (il l’a écrite pendant la maladie de son père, qui est décédé au cours de la création de la BD en 2008), mais où heureusement les sentiments sont montrés d’une façon très pudique et nuancée. Et puis il y a le personnage de Barbara, dotée d’une forte personnalité et qui nous donne accès à un monde intérieur d’une grande richesse. Enfin il y avait le fait que tout en étant très précis, le scénario laissait une large place à mon interprétation des faits, des personnages et des ambiances. J’espère que les lecteurs auront l’envie de découvrir le dénouement de l’histoire dans le deuxième tome, car il apporte beaucoup de changements par rapport à ce qu’on présente sur ce premier tome.

JM Ken Niimura à Angoulême 2009
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Le scénario d’I Kill Giants existait donc avant que vous décidiez de travailler ensemble ? Y as-tu apporté des adaptations ?

Le scénario était déjà écrit, oui, mais pas découpé, donc on a discuté sur la longueur de la BD, et on a décidé de la diviser en chapitres après s’être dit que ce serait bien de la publier au format comics américain, par chapitres de 24 planches. Joe a retravaillé un peu le scénario pour ce rythme de parution. Après, la façon de travailler américaine, c’est que le scénariste envoie son script au dessinateur, qui réalise les planches, puis le scénariste retravaille parfois les dialogues par rapport au rythme des pages. Sur presque toutes les planches, il y a donc eu ce va-et-vient. On a aussi un peu adapté la fin de l’histoire (qu’on découvrira seulement dans le 2ème tome), avec des petites nuances sur la façon d’amener le dénouement. Joe était assez ouvert à la discussion, et il a vraiment cherché à adapter le scénario à ma façon de raconter.

Votre album est sorti il y a peu en France et en Belgique, depuis combien de temps est-il sorti aux Etats-Unis et sort-il prochainement dans d’autres pays ?

Aux États-Unis, la publication par chapitre chez Image Comics a débuté en juillet 2008, au rythme d’un numéro par mois jusqu’en janvier 2009, date de la sortie de la version française. Le recueil américain sortira en mai. Pour l’Espagne, ce sera en juin, pour la foire de la BD de Barcelone, chez Norma, en un seul tome et dans un format un peu plus petit que le français.

Je tue des géants - Tome 1 sur 2 de JM Ken Niimura
Editions Quadrants

Vous avez une démarche assez originale avec Joe Kelly, qui est de vendre les droits de votre travail vous-même aux éditeurs de chaque pays, pourquoi ? Est-ce que c’est bien accueilli ?

La plupart des éditeurs sont habitués à acheter des œuvres étrangères dont ils n’acquièrent les droits que pour une langue ou un territoire déterminés, ça ne pose donc pas de souci. L’avantage, comme nous sommes en contact directement avec chacun d’eux, c’est que l’on peut discuter des détails du projet – couverture, design, traduction… – et donc obtenir un livre le plus proche possible de notre idée de départ.

Pourquoi publier Je tue des géants, la version française, chez Quadrants ?

Nous avions dès le départ le souhait de faire une BD qui puisse intéresser le public de différents pays. C’est dans cette optique que nous avons discuté avec des éditeurs notamment en France et en Espagne. Par rapport à Quadrants, alors que le label venait d’être créé, on a eu la chance de pouvoir discuter avec Corinne Bertrand : elle a bien aimé ce que nous lui avons montré, a pu suivre le projet durant son élaboration, et a estimé que cela correspondait à ce qu’elle recherchait pour ce nouveau label. On a donc également suivi ses conseils pour que le public français s’y retrouve.

Je tue des géants - Tome 1 sur 2 de JM Ken Niimura
Editions Quadrants

Es-tu d’accord pour dire que ton style est à la croisée du franco-belge, du comics et du manga ?

C’est difficile d’en juger moi-même, mais ce qui est certain, c’est que je lis un peu de tout. Parti de la BD pour enfants espagnole et japonaise, j’ai élargi le spectre aussi bien aux histoires de super-héros qu’aux mangas commerciaux ou à la BD indépendante : beaucoup de choses m’attirent, sans distinction d’origine ou de type d’œuvre. Forcément, quand je vois des choses qui me plaisent, cela influence ma façon de travailler ensuite, même inconsciemment : je prends des choses à droite à gauche.

Le noir et blanc, sur I Kill Giants, c’était un choix par rapport aux éditeurs visés, ou ton choix personnel ?

Plutôt un choix personnel : la plupart des BD que j’avais publiées avant en Espagne étaient en couleurs, et j’avais envie d’apprendre à travailler en noir et blanc. Ce projet m’a semblé être la bonne occasion pour le faire. C’est vrai que pour Joe, c’était inhabituel au départ, car la plupart des bandes dessinées aux Etats-Unis sont publiées en couleurs. Mais on a fait des essais, il a vu ce que ça donnait et ça lui convenait, comme aux éditeurs. Après presque 200 planches, je suis aujourd’hui beaucoup plus à l’aise dans le noir et blanc. Au départ, j’aurais même aimé ne pas utiliser de gris, mais je ne peux pas encore m’en passer. A l’avenir, pour d’autres projets, j’essaierai sans doute de me limiter au noir et blanc. J’admire beaucoup le travail d’auteurs comme José Muñoz ou Nicolas de Crécy, mais je suis encore loin d’avoir leur maîtrise dans le dessin.

La couverture de l’édition américaine (chapitre 1) de I Kill Giants
(c) Niimura/Kelly/Image Comics

Quels sont les auteurs, de bande dessinée ou autres, qui influencent ton travail ?

Il y en a tellement ! Tezuka, Eisner, Hergé… Blutch : je suis très content qu’il ait gagné le Grand Prix à Angoulême… J’adore José Muñoz, Hugo Pratt, Miguelanxo Prado, Joann Sfar… Daisuke Igarashi, Taiyou Matsumoto, Katsuhiro Otomo… Chris Ware, Daniel Clowes, Dave McKean… Mais aussi Ai Yazawa, l’auteur de Nana ! J’aime beaucoup de choses. Pour sortir du champ de la BD, avec le temps, j’ai beaucoup appris de Goya par exemple, notamment dans l’usage du noir et blanc : étant madrilène, j’ai bien sûr eu l’occasion de découvrir son œuvre depuis longtemps, mais je l’apprécie de plus en plus. Sinon, au cinéma, c’est également très large… De Lubitsch à Paul Thomas Anderson, il y a beaucoup d’oeuvres que j’admire. Et puis, il y a la musique : pour moi, dans le rythme, la composition de la page, la musique partage beaucoup de choses avec la BD. De même qu’il y a beaucoup de choses intéressantes à retirer des jeux vidéo, par exemple.

Espagnol de père japonais, tu parles couramment anglais et français et travailles pour plusieurs pays – on est tenté de te considérer comme un auteur « global »… Qu’est-ce que ça t’inspire ?

Disons que mes parents parlent eux-mêmes plusieurs langues, j’ai beaucoup voyagé déjà tout petit, donc ça fait partie de ce que ma vie a toujours été. Et puis, à l’ère d’Internet, c’est devenu assez commun pour les auteurs de travailler dans plusieurs pays… En tout cas, mon souci premier en abordant la BD reste le même que pour la plupart des auteurs : créer des œuvres de qualité.

L’une des pages bonus de l’édition américaine, dans laquelle Ken Niimura évoque avec humour sa collaboration avec Joe Kelly
(c) Niimura/Kelly/Image Comics

(par Arnaud Claes (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

Visionner l’émission Un Monde de Bulles consacrée aux éditions Soleil, dont Ken Niimura est l’un des invités.

En médaillon : JM Ken Niimura - Photo : Arnaud Claes.

Lire la chronique de l’album

 
CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Arnaud Claes (L’Agence BD)  
A LIRE AUSSI  
Interviews  
Derniers commentaires  
Agenda BD  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD