BD d’Asie

Jacaranda - par Shiriagari Kotobuki – Milan

Par Charles-Louis Detournay le 18 janvier 2007                      Lien  
Manga atypique, Jacaranda exhale la bestialité humaine, la destruction et la renaissance. Loin du dessin classique, le style évolutif et torturé de Kotobuki colle parfaitement au scénario simple, mais direct comme un coup de poing. Sonné, on tente de retrouver ses esprits, chacun à sa manière …

Tokyo, mégapole tentaculaire qui catalyse les travers de l’homme urbanisé : égoïsme, relations sociales futiles, culture de l’apparence et de l’indispensable inutile. Après une violente altercation dans le métro, un bourgeon apparaît dans un quartier résidentiel. Grandissant à une vitesse fulgurante, cette pousse rompt les canalisations de gaz, premier élément d’une réaction en chaîne qui provoque l’incendie de la ville. Au cours d’une nuit d’apocalypse, les habitants de Tokyo, dominés par leurs instincts, deviennent malgré eux les meurtriers de leurs concitoyens. A l’aube, les survivants contemplent l’arbre qui culmine à des centaines de mètres au-dessus des ruines fumantes de leur cité. Sous les rayons du soleil, ce Jacaranda géant fleurit, et à ce signe évident de renaissance, les rescapés se prosternent pour le vénérer.

Si le sujet rappelle l’inondation dévastatrice de Hokabune, Kotobuki souhaite traduire avec Jacaranda une renaissance : «  Le monde revivra après la défaite de l’humanité et de la civilisation, au prix d’un énorme sacrifice, impliquant une accouchement douloureux et un avenir à éviter à tout prix. » Pensé comme un strip de quatre cases développé en 300 pages,
Jacaranda suit l’évolution de l’arbre, en parallèle avec la destruction de la ville. Les habitants ne sont présents que pour démontrer leur abjection, et leur extermination dans d’atroces souffrances (unique rédemption ?). Le scénario est donc volontairement basique, afin de provoquer la réflexion sur le thème principal, voire unique du récit, sans se perdre dans des intrigues secondaires.

Aux antipodes du graphisme stylisé qui caractérise une grande partie de la bande dessinée japonaise, les planches sont saturées de hachures, peuplées de personnages aux contours simples, comme griffonnés dans l’urgence. Kotibuki destructure son trait pour refléter la violence de son propos. Au fur et à mesure que les cataclysmes s’enchaînent, le graphisme évolue : les visages se simplifient pour figurer leur angoisse, les spectacles de dévastation perdent en netteté, comme perturbé par l’air chaud des incendies. On peut regretter que la traduction ne nous fasse pas profiter de l’alternance des bruits sourds de destruction, et des cris stridents de la foule paniquée. Quoiqu’il en soit, le récit provoque son horrible effet, la nausée s’accentue graduellement, certaines scènes étant d’ailleurs à la limite du soutenable. Jacaranda reste donc adressé à un public à l’estomac bien accroché, et à jeun.

Jacaranda - par Shiriagari Kotobuki – Milan
Pour Shiriagari Kotobuki , "Jacaranda" est "une matière amère, copieuse et brute, qui reste longtemps en travers de la gorge".
Photo : D. Pasamonik.

Exposé au festival d’Angoulême 2006 pour son lien avec l’art contemporain, Kotobuki sera donc présent cette année en tant nominé. Avec ce récit, qu’il présente lui-même comme une matière amère, copieuse et brute, qui reste longtemps en travers de la gorge, il amène des réflexions diverses sur l’éphémère, la société contemporaine, l’absolutisme et l’anarchisme. L’absence de personnage central, excepté l’arbre, empêche de se raccrocher aux branches afin de nous plonger plus profondément dans les racines de l’horreur. Il faut alors entamer la longue remontée, répondre aux questions soulevées par le récit, pour revoir la lumière, mais à court sûr, on n’en ressort pas indemne.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Les passages cités sont tirés de la postface de l’auteur, et de son interview par Julien Bastide, toutes deux complétant l’ouvrage.

 
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