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Jack Lang : « Il faut remettre sur le tapis toutes les questions de création, de production, de diffusion de la bande dessinée. C’est urgent, c’est vital. »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 29 septembre 2016                      Lien  
Il est ici chez lui à la Cité de la bande dessinée dont il a été, comme Ministre de la Culture de François Mitterrand, le bâtisseur. Jack Lang était l’invité d’honneur des Premières Rencontres nationales de la bande dessinée d’Angoulême qui ouvrait ses portes hier. Il a gardé sa passion première pour la bande dessinée et appelle même, alors que ses acteurs s’interrogent sur son avenir, à la constitution d’un « CNC de la bande dessinée ».

« Ce Centre de la bande dessinée, devenue depuis la Cité, était un pari partiellement risqué parce qu’il y avait ici à Angoulême le Festival, une tradition, nous dit-il, apparemment encore étonné par le travail accompli. On avait décidé de le créer très tôt, vers 1982. Ce qui est miraculeux et réjouissant, c’est que dans l’ensemble de ces mesures prises en faveur de la bande dessinée, dans un élan disons juvénile, sont devenues réalités : la Cité, l’ESII : ce n’était pas évident de transformer une école d’art en école vouée à la bande dessinée, c’était choquant même ! Et puis toutes ces mesures que nous avons prises en faveur de l’édition, de la protection des auteurs, de la sauvegarde des planches originales, un musée… Cela constitue un ensemble unique au monde. J’ai vu le musée du manga au Japon ; il n’y a aucune comparaison avec ce qui a pris forme ici. Ce qui m’impressionne, c’est cette pléiade d’auteurs, d’éditeurs, d’auteurs-éditeurs. Vous êtes habitués mais toutes ces personnes qui vivent ici qui créent, c’est très impressionnant. Cela aurait pu être artificiel, mais cela a prix sa propre cinétique. »

Un "plan image"

Il rappelle le contexte de cette création : « Cela faisait partie d’un ensemble de mesures sur les arts plastiques ce « plan image » que nous avions mis en place en 1984 pour relancer film d’animation français qui souffrait énormément. La France était un grand pays d’animation et malheureusement les choses s’étaient un peu délitées. Beaucoup de créateurs étaient partis hors de France, les producteurs s’étaient éloignés du pays. Ce plan image a porté ses fruits très rapidement. Et, sans rentrer dans les détails, nous avions prévu de transposer la bande dessinée à l’écran. Je me souviens de conversations avec Moebius sur les mesures à prendre pour encourager les longs métrages. Aujourd’hui, c’est entré dans les mœurs. »
Interrogé sur l’évolution du Festival, il constate qu’il y a eu « des dérives et des scléroses » : « Le mots sont forts mais le Festival d’Angoulême est un grand festival, connu dans le monde entier. Il y a des infléchissements à apporter
. »

Jack Lang : « Il faut remettre sur le tapis toutes les questions de création, de production, de diffusion de la bande dessinée. C'est urgent, c'est vital. »
Pierre Lungheretti, Directeur Général de la BD, Samuel Cazenave, Président de la Cité et Jack Lang, hier aux 1ères Rencontres nationales de la BD à Angoulême.

Aujourd’hui à la tête de l’Institut du Monde Arabe, il annonce préparer pour 2018, avec la collaboration de la Cité de la BD, un grand événement sur la bande dessinée du monde arabe, « extrêmement brillante », mais aussi sur le regard que portent les auteurs de BD sur le monde arabe. Il sera inauguré à Angoulême, puis repris à l’IMA.

"Les auteurs de BD sont héroïques"

À propos des auteurs de bande dessinée dont l’avenir est interrogé par ces Rencontres aujourd’hui, il fait ce constat : «  Il y a un hiatus entre le temps de la création qui est nécessairement long, pour la bande dessinée peut-être parfois plus que pour d’autres formes d’art, et les possibilités économiques qui s’offrent à nous et qui ne permettent pas d’assurer la vraie rémunération des auteurs. Chaque discipline a sa propre logique économique, ce qui fait que nous avons inventé des mécanismes qui ne sont pas les mêmes pour le théâtre, pour la musique classique, pour les musiques actuelles… et qui prennent en considération la singularité de ces arts. J’en parlais hier à l’éditeur Guy Delcourt auquel je remettais la Croix du mérite, nous avons esquissé l’idée, pour la BD, d’un système de péréquation, de cotisation collective –je parle en pesant mes mots, en mettant des guillemets- comme on le fait pour le cinéma ou la musique, un système qui serait plus solidaire. C’est vrai que les auteurs de BD sont héroïques, ils ont un incroyable dévouement à leur art et leurs rémunérations n’est pas à la hauteur de leur talent ou de leurs besoins. Il y a bien sûr une solution du côté des éditeurs mais ce n’est oas une question que l’on résout en opposant les uns aux autres. J’ai l’habitude de trouver ce type de compromis, d’équilibre. La Loi de 1985 sur les droits d’auteur et les droits voisins était le fruit d’une longue discussion entre les diffuseurs, les producteurs, les auteurs… Il faut s’y atteler. »

Jack Lang à Angoulême : "Les auteurs sont héroïques."

Mais comment dans un monde ouvert à la concurrence étrangère, aux mangas notamment, peut-on protéger durablement nos auteurs ? Faut-il un "CNC de la BD" ? « Le problème se pose pour le cinéma ou la littérature. Je dirais que, oui, il faut un CNC de la bande dessinée comme nous l’avons fait pour les variétés, avec le Centre National des Variétés, car le Jazz, par exemple n’est pas non plus un secteur très facile, il a fallu le protéger. Il faut essayer par des aides publiques, par des mécanismes divers, de redonner de la vitalité comme cela a été le cas pour le Jazz en France. Il faut remettre sur le tapis toutes les questions de création, de production, de diffusion. C’est urgent, c’est vital. Ce qui a été réalisé donne confiance. Il n’y a pas de raison de ne pas passer à une autre étape. Cela ne doit pas être imposé comme un diktat qui tombe du ciel, mais dans la concertation, avec finesse. Des solutions existent, j’en suis certain... »

On ne peut que l’espérer...

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Premières Rencontres nationales de la bande dessinée à la Cité de la BD et à la médiathèque Alpha à Angoulême, du 28 au 30 septembre 2016.

 
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17 Messages :
  • "J’en parlais hier à l’éditeur Guy Delcourt auquel je remettais la Croix du mérite, nous avons esquissé l’idée, pour la BD, d’un système de péréquation, de cotisation collective"

    Vaut mieux en rire !

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    • Répondu par Zot ! le 29 septembre 2016 à  16:27 :

      Le même système de transfert de richesse des communes aisées vers les dévorisées, appliqué aux auteurs. Pourquoi pas ?

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    • Répondu par simon brauman le 30 septembre 2016 à  07:24 :

      En 1982, J.Lang avait constaté la détresse des acteurs qui font le monde de la BD et à présent qu’il a bien réfléchi, il va agir.
      Bon, je vais me recoucher.

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      • Répondu le 30 septembre 2016 à  08:55 :

        En politique, il suffit de parler pour avoir l’impression d’agir.

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  • Il faut surtout que les éditeurs payent enfin le prix de la création, qu’enfin ils soient clairs sur les droits d’auteurs, qu’enfin les auteurs aient accès aux vrais chiffres de ventes auprès des diffuseurs, qu’enfin des auteurs qui n’enchainent pas deux contrats puissent quand même vivre avec un régime proche de celui des intermittents.

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    • Répondu le 30 septembre 2016 à  10:30 :

      "des auteurs qui n’enchainent pas deux contrats puissent quand même vivre avec un régime proche de celui des intermittents"

      Un auteur n’étant pas salarié. il serait très facile de profiter d’un tel système parce qu’il n’y aurait aucun moyen de contrôle cohérent possible.

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      • Répondu le 30 septembre 2016 à  12:28 :

        Si on veut coller à ce qui se passe dans l’animation. On pourrait, comme pour les réalisateurs : salariat + droit d’auteur. Salaire pour le travail à exécuter et droits pour l’œuvre réalisée. C’est-sût, ça coûterait plus cher aux éditeurs et la surproduction baisserait immédiatement ! Ce serait rémunérer le travail à sa juste valeur mais radical !

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        • Répondu par Zot ! le 30 septembre 2016 à  19:56 :

          Une sorte d’écrêmage en quelque sorte. Ok, mais vous faites quoi des centaines d’auteurs qui ne pourront pas suivre, faute d’albums et d’éditeurs, vous les envoyer bosser chez MacDo ?

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          • Répondu le 1er octobre 2016 à  09:45 :

            Quand on veut vraiment réformer un système, il y a toujours de l’écrémage.
            Un éditeur ne rémunère pas le temps de travail d’un auteur, il achète les droits d’une œuvre. L’avance correspond au bénéfice que l’éditeur espère tirer d’un ouvrage, pas au temps de travail de son auteur pour le créer. Le temps de travail n’est jamais comptabilisé. Donc, si on sépare d’un côté le temps de travail pour produire une œuvre et de l’autre la valeur intellectuelle et patrimoniale de cette œuvre produite. La première partie doit-être payée en salaire et la seconde en droit d’auteur.
            À partir de cette base, on peut construire de nouvelles règles plus saines et plus justes. Et il y aura forcément de l’écrémage parce que le crédit des éditeurs n’est pas illimités.
            Il y a des auteurs qui passent des jours sur une page pour un ouvrage qui ne se vendra que trop peu. D’autres, qui ne passent que quelques heures sur une page pour un ouvrage qui se vendra très bien. Entre les deux, toutes les variations son possibles. Mais ce qui est évident, c’est qu’une heure travaillée est une heure travaillée. Et que pour produire de la qualité, le temps est plus souvent nécessaire que l’idée de génie. Et cette qualité d’exécution a n’est pas toujours proportionnelle au succès qu’elle rencontre. Actuellement, seul le succès est la base de rémunération des auteurs. Et le succès ressemble souvent au hasard. Si le succès n’était pas du hasard, les éditeurs ne publieraient que des succès et les auteurs ne s’embêteraient pas à produire le contraire.

            Ou bien on ne touche à rien et on se réjouit de la surproduction parce qu’ainsi, plus de monde à le droit de s’exprimer.

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            • Répondu par Riverside le 1er octobre 2016 à  14:12 :

              Tout le monde a le droit de s’exprimer, mais pour les éditeurs ce sont surtout ceux qui ne réclament pas d’avances sur droits, voire par de droits d’auteur tout court (voir Carrot et Peppers).

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              • Répondu le 1er octobre 2016 à  19:09 :

                Tout le monde a le droit de s’exprimer et internet le permet désormais. Mais éditer est-ce que les éditeurs doivent tout publier ? Le devoir d’un éditeur est de sélectionner. Et ce n’est pas aller contre la liberté d’expression que d’opérer une sélection pour mettre en avant ce qui a vraiment intérêt à être dit et montrer. Ensuite, ne pas réclamer d’avance, c’est de la démence et malsain pour l’ensemble de la profession. C’est du niveau casser les prix.

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                • Répondu par Riverside le 2 octobre 2016 à  02:10 :

                  opérer une sélection pour mettre en avant ce qui a vraiment intérêt à être dit et montrer.

                  Si c’était ça la sélection ce serait bien, mais ce n’est pas le cas, sinon on n’aurait pas vu sortir en bouquins tous ces blogs insipides depuis une dizaine d’années.

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                  • Répondu le 2 octobre 2016 à  16:15 :

                    En France, on confond éditer et publier. Aux USA, il y a editor et publisher. Quand on publie des versions papier de blogs, on n’édite pas grand chose. On prend une commission entre l’ouvrage et l’impression. Aucun boulot d’éditeur ou presque. Résultat, la pente étant toujours plus glissante, on en arrive au fameux cas Pepper & Carrot publié chez Glénat.
                    Quand une maison d’édition cède à l’opportunisme facile, c’est au détriment la création et du respect de ce que la bande dessinée est et doit être : un art. Et je suis d’accord avec vous, j’en veux beaucoup aux éditeurs lorsqu’ils se comportent ainsi. Parce qu’alors, tous les coups sont permis, tout se vaut, à se prétendre libertaire, on ne se contente que d’un libéralisme laxiste et la quantité tue forcément la qualité. Et l’artiste qui produit une véritable œuvre est déprécié et avec lui, le neuvième art l’est durablement.

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  • Cela s’appelle « ménager la chèvre et le chou »...

    Sinon, il y a un climat un peu mortifère dans les photographies de cet article, on pense à Bilal...

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    • Répondu par simon brauman le 30 septembre 2016 à  17:57 :

      Jack Lang c’est fait tirer le portrait, mais pas par un dessinateur

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    • Répondu par Zot ! le 30 septembre 2016 à  19:53 :

      Je vois ce que vous voulez dire, on peut en effet penser à Partie de chasse, par exemple. L’absence de salon de maquillage sans doute, les plateaux TV en ont d’excellents !

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  • Il y a aussi un autre problème : Le nombre incroyable de gens qui se prétendent auteurs de bd. C’est un peu comme les peintres du dimanche. Tout le monde n’est pas artiste, scénariste , dessinateur. Je vois beaucoup de livres similaires, beaucoup d’histoires avec un scénario pauvre (en grande majorité des one-shots à fin ouverte) Forcément quand on se retrouve dans une librairie spécialisée, avec 2000 BDs, je vois mal le lecteur s’y retrouver ou un jeune payer environ 20-30 euros le bouquin tout en sachant que l’histoire va ptete le décevoir. Et les éditeurs prennent moins de risque ils n’éditent que les habitués, pistonné, noms reconnu, style déjà-vu, thème récurrent. Ils ne laissent aucune chance aux jeunes auteurs ( souvent inconnu dans le milieu )qui voudraient amener un concept qui permettraient de remettre l’engouement de la bd sur les rails. Pourquoi les auteurs bds sont mal payés ? Parce qu’il y en a trop. Il faut aussi se mettre à la place du public. Ceux qui lisent les bds en général sont des jeunes, des passionnés, des auteurs eux-mêmes. Le public qui a vieillit avec tintin et co sont des gens qui ne restent qu’à cette période. Les jeunes préfèrent passer leur temps sur des jeux-vidéos, réseaux sociaux etc... Il y a aussi le problème de la mentalité. Beaucoup d’auteurs indé crache sur les plus commerciaux. Et vice-versa. On critique l’un parce qu’il se prostitue ou l’autre parce qu’il fait un livre trop arty pour être compréhensible.

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