« Ce Centre de la bande dessinée, devenue depuis la Cité, était un pari partiellement risqué parce qu’il y avait ici à Angoulême le Festival, une tradition, nous dit-il, apparemment encore étonné par le travail accompli. On avait décidé de le créer très tôt, vers 1982. Ce qui est miraculeux et réjouissant, c’est que dans l’ensemble de ces mesures prises en faveur de la bande dessinée, dans un élan disons juvénile, sont devenues réalités : la Cité, l’ESII : ce n’était pas évident de transformer une école d’art en école vouée à la bande dessinée, c’était choquant même ! Et puis toutes ces mesures que nous avons prises en faveur de l’édition, de la protection des auteurs, de la sauvegarde des planches originales, un musée… Cela constitue un ensemble unique au monde. J’ai vu le musée du manga au Japon ; il n’y a aucune comparaison avec ce qui a pris forme ici. Ce qui m’impressionne, c’est cette pléiade d’auteurs, d’éditeurs, d’auteurs-éditeurs. Vous êtes habitués mais toutes ces personnes qui vivent ici qui créent, c’est très impressionnant. Cela aurait pu être artificiel, mais cela a prix sa propre cinétique. »
Un "plan image"
Il rappelle le contexte de cette création : « Cela faisait partie d’un ensemble de mesures sur les arts plastiques ce « plan image » que nous avions mis en place en 1984 pour relancer film d’animation français qui souffrait énormément. La France était un grand pays d’animation et malheureusement les choses s’étaient un peu délitées. Beaucoup de créateurs étaient partis hors de France, les producteurs s’étaient éloignés du pays. Ce plan image a porté ses fruits très rapidement. Et, sans rentrer dans les détails, nous avions prévu de transposer la bande dessinée à l’écran. Je me souviens de conversations avec Moebius sur les mesures à prendre pour encourager les longs métrages. Aujourd’hui, c’est entré dans les mœurs. »
Interrogé sur l’évolution du Festival, il constate qu’il y a eu « des dérives et des scléroses » : « Le mots sont forts mais le Festival d’Angoulême est un grand festival, connu dans le monde entier. Il y a des infléchissements à apporter. »
Aujourd’hui à la tête de l’Institut du Monde Arabe, il annonce préparer pour 2018, avec la collaboration de la Cité de la BD, un grand événement sur la bande dessinée du monde arabe, « extrêmement brillante », mais aussi sur le regard que portent les auteurs de BD sur le monde arabe. Il sera inauguré à Angoulême, puis repris à l’IMA.
"Les auteurs de BD sont héroïques"
À propos des auteurs de bande dessinée dont l’avenir est interrogé par ces Rencontres aujourd’hui, il fait ce constat : « Il y a un hiatus entre le temps de la création qui est nécessairement long, pour la bande dessinée peut-être parfois plus que pour d’autres formes d’art, et les possibilités économiques qui s’offrent à nous et qui ne permettent pas d’assurer la vraie rémunération des auteurs. Chaque discipline a sa propre logique économique, ce qui fait que nous avons inventé des mécanismes qui ne sont pas les mêmes pour le théâtre, pour la musique classique, pour les musiques actuelles… et qui prennent en considération la singularité de ces arts. J’en parlais hier à l’éditeur Guy Delcourt auquel je remettais la Croix du mérite, nous avons esquissé l’idée, pour la BD, d’un système de péréquation, de cotisation collective –je parle en pesant mes mots, en mettant des guillemets- comme on le fait pour le cinéma ou la musique, un système qui serait plus solidaire. C’est vrai que les auteurs de BD sont héroïques, ils ont un incroyable dévouement à leur art et leurs rémunérations n’est pas à la hauteur de leur talent ou de leurs besoins. Il y a bien sûr une solution du côté des éditeurs mais ce n’est oas une question que l’on résout en opposant les uns aux autres. J’ai l’habitude de trouver ce type de compromis, d’équilibre. La Loi de 1985 sur les droits d’auteur et les droits voisins était le fruit d’une longue discussion entre les diffuseurs, les producteurs, les auteurs… Il faut s’y atteler. »
Mais comment dans un monde ouvert à la concurrence étrangère, aux mangas notamment, peut-on protéger durablement nos auteurs ? Faut-il un "CNC de la BD" ? « Le problème se pose pour le cinéma ou la littérature. Je dirais que, oui, il faut un CNC de la bande dessinée comme nous l’avons fait pour les variétés, avec le Centre National des Variétés, car le Jazz, par exemple n’est pas non plus un secteur très facile, il a fallu le protéger. Il faut essayer par des aides publiques, par des mécanismes divers, de redonner de la vitalité comme cela a été le cas pour le Jazz en France. Il faut remettre sur le tapis toutes les questions de création, de production, de diffusion. C’est urgent, c’est vital. Ce qui a été réalisé donne confiance. Il n’y a pas de raison de ne pas passer à une autre étape. Cela ne doit pas être imposé comme un diktat qui tombe du ciel, mais dans la concertation, avec finesse. Des solutions existent, j’en suis certain... »
On ne peut que l’espérer...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Premières Rencontres nationales de la bande dessinée à la Cité de la BD et à la médiathèque Alpha à Angoulême, du 28 au 30 septembre 2016.
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