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TRIBUNE LIBRE À Jacques Langlois : Tintin et Christie’s - Retour sur une « déception »

Par Jacques Langlois le 16 mars 2015                      Lien  
Dès la fin de sa vacation dédiée à Hergé, ce samedi 14 mars, la maison de vente Christie’s s’est dite déçue du résultat au correspondant de l’AFP : alors qu’elle espérait quelque 1,5 million d’euros pour les dix lots proposés, seuls six d’entre eux ont trouvé preneurs pour pas même 800 000 euros. Les quatre autres- et pas les moindres- avaient été « ravalés », le tout en moins d’un quart d’heure…

En vieil amateur de la geste hergéenne, j’étais venu assister à ce qui s’annonçait pourtant comme un événement : les médias chauffés à blanc par les communicants du lieu n’avaient-ils pas dit qu’on allait voir ce qu’on allait voir, à commencer par les Américains, à en croire une pleine page du cahier « Économie » du Monde ? En lieu et place d’Américains, j’ai surtout vu arriver dans la salle les habituels marchands et collectionneurs du Benelux.

Sans doute, pensais-je, les nouveaux investisseurs potentiels de New York ou de Californie préféraient-ils les plus discrets téléphone et Internet. Mieux, ils avaient du déjà passer à l’avance leurs ordres d’achat plutôt que de se lever si tôt pour un samedi puisque, sans grand égard pour les décalages horaires, cette vente, qui se voulait internationale, avait été programmée dès 13 heures avec d’emblée ce qui était censé être le clou de la vente : une affiche publicitaire datant de 1944 à placer par Casterman chez les libraires.

Mais le dit clou a vu s’abattre mollement sur lui le marteau de Madame le commissaire-priseur, visiblement cueillie à froid par l’absence imprévue d’empoignade : la dernière offre n’atteignait que le demi-million d’euros, soit €150 000 en-dessous de l’estimation basse affichée au catalogue.

Et les mêmes médias français et belges qui s’extasiaient quelques semaines auparavant à l’annonce de la vente à Bruxelles d’une couverture originale de L’Étoile mystérieuse pour quelque 2,5 millions, d’en conclure derechef et sans plus de nuances à la « baisse de la cote d’Hergé ».

C’est sans doute aller un peu vite, parce qu’une seule vente ne suffit pas à faire ni à défaire la cote d’un artiste. Celle d’Hergé a « explosé » depuis une bonne dizaine d’années et une stabilisation à haut niveau ne serait pas autrement surprenante. Attendons de voir ce qui se passera fin mai chez Artcurial, qui reste la référence en matière de ventes BD et particulièrement de « ventes Tintin », pour se faire une meilleure idée d’un marché, au demeurant toujours aussi étroit.

C’est surtout méconnaître ce qui s’est réellement joué chez Christie’s samedi. Car ce n’est pas « faute d’enchère », comme l’a prétendu la maison de vente, mais bien parce qu’à 500 000 euros, le prix de réserve n’était pas atteint que le lot n°1 est resté sur les bras du vendeur.

TRIBUNE LIBRE À Jacques Langlois : Tintin et Christie's - Retour sur une « déception »
Avec un prix au marteau à €500 000, ce remarquable dessin d’Hergé n’a pas trouvé preneur.
Photo : Galerie Maghen

Cette somme aurait, et de loin, constitué le record de la journée où quelque 350 lots étaient mis en vente. Elle aurait représenté plus de 10% du total de la vente. Seulement voilà, ce n’était pas assez aux yeux –plus grands que le ventre ?- du vendeur, malgré la vraisemblable coquette plus-value sur le prix qu’il avait acquitté – jadis ou naguère - pour ce dessin emblématique, depuis longtemps sorti on ne sait comment (… ou on ne le sait que trop) des archives de Casterman.

Comment ne pas s’étonner également que le magnifique crayonné de Coke en Stock (lot n°3) adjugé à 180 000 euros au marteau ne soit en fait pas vendu, quand un dessin du même type et de qualité comparable pour Les Bijoux de la Castafiore était parti à 183 000 (frais inclus) une semaine auparavant chez Sotheby’s, un prix tout à fait en ligne avec l’estimation de la rivale de Christie’s et avec les dernières ventes de crayonnés !

Si la vente de samedi est une déception pour ses organisateurs, ce n’est pas donc parce que la cote d’Hergé baisserait – comme le prouve a contrario le prix atteint par la couverture du Lotus bleu pour le journal « Tintin » (lot n°2) - mais bien parce que certains vendeurs et leurs experts, rendus euphoriques par les résultats obtenus depuis quelques années par certaines œuvres d’Hergé, s’accrochent à des prix de réserve absurdes. Ils oublient le vieil adage boursier, qui dit que « les arbres ne grimpent pas jusqu’au ciel ».

Le propriétaire-vendeur du lot n°1 eût été avisé de s’attarder sur le dessin qui, dans la perspective d’une cession prochaine, trône actuellement en vitrine à côté de la porte d’entrée de Christie’s. Il s’agit d’une gouache et encre de Chine sur papier, une œuvre datée de 1946 faisant 66 cm sur 50,5.
Une pièce, comme on le voit, qui n’est pas très éloignée de l’affiche d’Hergé, par sa taille, son époque et sa technique.
L’estimation de Christie’s ? Entre 500 000 et 700 000 euros.
Son auteur ? Un certain Pablo Picasso !
À bon entendeur…

Alors que cette couverture pour le Journal Tintin est partie à 577 500€ (frais inclus, hors TVA).
Dessin de Hergé. (c) Moulinsart SA

(par Jacques Langlois)

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