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Jacques Laudy, le centenaire oublié

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 6 avril 2007                      Lien  
Il y a exactement cent ans, le 7 avril 1907, naissait le dessinateur belge Jacques Laudy (1907-1993), un auteur peu connu du grand public, mais que les connaisseurs apprécient, d’abord pour avoir été le modèle du Capitaine Blake dessiné par son ami Jacobs, ensuite par son apport original et singulier à la bande dessinée belge.

1907 est l’année de la naissance d’Hergé, on nous l’a assez répété. Mais un peu avant lui naissait dans la même ville un dessinateur au destin très différent, compagnon de route d’Edgar P. Jacobs et de Jacques Van Melkebeke, qui fit partie, avec Hergé, Jacobs et Cuvelier, des quatre fondateurs du journal Tintin en 1946.

Jacques Laudy, le centenaire oublié
1946 - "Les 4 Fils Aymon" dans Tintin

Jacques Laudy est fils de peintres. Son père, Jean Laudy, né à Venlo en Hollande, est un dessinateur vigoureux et un peintre reconnu, l’un des portraitistes officiels d’Albert 1er et de la Cour royale de Belgique. Sa mère, Hélène Demoulin est également peintre et aquarelliste. Dans l’atelier de son père, rue du Tomberg, face à l’église Saint-Lambert, défilent quelques-unes des meilleures signatures de la peinture belge d’avant-guerre : Jean Delville, Anto Carte, Jean Dratz, Louis Buisseret, Alfred Moitroux, ces deux derniers contribuant à sa jeune formation artistique. Il apprend à lire dans les livres illustrés par Arthur Rackham [1], grâce auxquels il se forge un univers de chevaliers et de légendes fantastiques. Passionné par le travail du « dessinateur-sorcier », il entretient avec lui une correspondance dès son plus jeune âge. Puis vinrent les années de l’Académie où il fut l’élève du peintre symboliste Constand Montald, comme après lui Paul Delvaux et René Magritte. Sur les bancs de l’académie, en mars 1923, il rencontre un personnage aussi cultivé que fantasque : Jacques Van Melkebeke. Celui-ci lui fait rencontrer son meilleur ami, un voisin de la rue des Alexiens où son père tenait un troquet, un certain Edgar P. Jacobs.

1948 - Hassan & Kaddour

Alors qu’il entre dans la vie active, la Deuxième Guerre mondiale éclate, qui va notablement marquer le destin de nos trois complices. Ne pouvant continuer sa carrière de peintre dans une période aussi troublée, Laudy se lance dans une carrière d’illustrateur. Coup de pot, l’illustrateur Jean Dratz, l’ami de son père surnommé « le Dubout belge » tant la filiation avec le dessinateur français est évidente, se voit confier la direction de Bravo, un illustré pour la jeunesse lancé en 1936 en langue néerlandaise par le magnat hollandais de la presse Jean Meeuwissen. La guerre lui fermant le marché hollandais, Meeuwissen confie à Dratz une édition francophone de ce journal qui publie à ce moment les plus grands classiques de la bande dessinée américaine comme Flash Gordon, Félix le Chat ou encore Pim, Pam, Poum. Dratz engage aussitôt le jeune Laudy qui illustre la couverture du premier numéro. À peine dans les murs, Jacques Laudy coopte son ami Jacobs, alors baryton au chômage, qui remplace au pied levé Alex Raymond sur Flash Gordon dont la fourniture était interrompue à cause de la guerre. Ce sera le début de la carrière qu’on connaît.

Illustration inédite pour le Major Redstone
(c) Jacques Laudy

Laudy se singularise d’entrée par une fantaisie débridée faite de situations fantastiques et de jeux de mots improbables. Après trois récits des Aventures de Bimelabom (1944-1946), il livre une œuvre d’une modernité confondante : Gust le flibustier (1946-1948), un récit auto-parodique où l’auteur se met en scène comme le narrateur de son histoire. Il y crée les aventures incroyables de Gust le Hollandais, racontées au narrateur dans un pub d’Edimbourg en 1745 contre moultes tournées de punch chaud. En la relisant, on pense à des histoires plus récentes, comme Isaac le pirate de Blain, ou à la décontraction naïve et ironique d’un Joann Sfar, mais avec une touche surréaliste en plus, comme dans cette séquence où le pirate, prisonnier dans un donjon, « laisse tomber le fil de la conversation » et s’en sert pour s’évader de sa geôle. La conclusion du récit est, si l’on peut dire du même tonneau. En référence sans doute aux Contes du Whisky de Jean Ray [2], les aventures du pirate devenant au cours du récit de plus en plus pittoresques s’achèvent sur ce qui apparaît être le résultat d’une formidable saoulographie. Quand le narrateur se réveille, ses comparses ont bien évidemment disparu et il se retrouve contraint à vendre des bouts de chandelles pour payer ses dettes de boisson, d’autant que Bravo, un journal sérieux, lui refuse de publier cette histoire.

Laudy par Jacobs

En 1946, Jacques Laudy est cette fois embarqué par Jacques Van Melkebeke dans l’aventure du Journal Tintin. Hergé mis à part, Tintin est alors un journal fait par des peintres : Laudy, Cuvelier, Van Melkebeke, Jacobs. Laudy entame l’adaptation d’une légende moyenâgeuse, Les Quatre Fils Aymon, puis celle d’un roman de Walter Scott, Rob Roy. Dessinées à la mine de plomb, comme les premières planches de Blake & Mortimer, ces planches donnent au journal une touche « artistique » qu’il perdra ensuite.

En 1948, Laudy, aidé en cela par Jacques Van Melkebeke, lance la série Hassan & Kaddour, inspirée des Mille et Une Nuits, un petit chef-d’œuvre de drôlerie qui s’achève au milieu des années soixante, après six épisodes dans Tintin et un autre dans Petits-Belges. Entre-temps, le journal Tintin avait évolué et ne pouvait plus continuer à publier ce genre de bande dessinée à la facture classique, considérée comme « vieillotte ». Mal à l’aise dans la technique moderne de la « Ligne Claire » avec ses mises en couleurs sur des bleus de coloriage, cet «  homme du Moyen-âge égaré à l’époque moderne » (Hergé) s’est retrouvé déclassé et s’en est retourné à la peinture jusqu’à sa redécouverte dans les années 80 avec la publication d’albums chez Bédéscope, Jonas, Distri-BD et Magic-Strip.

Jacques Laudy dans son atelier en 1993
Photo : Didier Pasamonik

Dans son ouvrage-testament, Le royaume d’Edgar J. (1993, Himalaya), une autobiographie un peu cryptique où il livre bien des clés de sa carrière, il décrit sur le mode humoristique ses relations avec « Van Melk » et Edgar Jacobs, alias « le rossignol de Maelbeek ». La plupart de ses ouvrages sont aujourd’hui malheureusement épuisés [3], mais les amateurs reconnaîtront le visage de l’artiste dans les traits au très british Capitaine Blake, un hommage que lui rendit son ami Jacobs, et ce pour l’éternité !

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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0n peut consulter avec profit l’excellent site sur Jacques Laudy, réalisé par Joël du Quesne, où l’on trouvera de nombreux exemples de son travail.

En médaillon : Jacques Laudy en 1993. Photo (c) D. Pasamonik.

[1Il suggéra sûrement à Van Melkebeke le patronyme de l’ennemi du Chevalier de Hadocque, un personnage dont Laudy fit le portrait, à la demande d’Hergé.

[2Lequel collabore également à Bravo sous le pseudonyme de John Flanders.

[3Dans sa collection « Millésime », le Lombard n’a même pas daigné publier un album de Laudy.

 
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