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Jacques Toubon : "La bande dessinée a incontestablement une vertu humaine éclatante"

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 17 octobre 2013                      Lien  
L'ancien ministre de la culture de Jacques Chirac est président du Conseil d'Orientation de l'établissement public du Palais de la Porte dorée. Il accueille aujourd'hui la plus grande exposition de bande dessinée jamais consacrée à l'immigration.

Que signifie pour vous d’exposer de la bande dessinée dans ce lieu ?

On s’est rendu compte que la bande dessinée -qui est maintenant reconnue comme un art majeur- avait pour auteurs un très grand nombre de personnes, en France mais aussi dans les autres pays, qui étaient d’origine étrangère, qui étaient d’origine immigrée, au premier rang desquels figurent René Goscinny et Albert Uderzo, le premier d’origine polonaise, l’autre italienne. Ils ont inventé le personnage qui est peut-être le plus franco-français qui puisse exister : Astérix.

C’est à partir de ce point de départ que nous nous sommes dit que ce serait intéressant de les exposer, à la fois pour mettre en valeur l’art de la bande dessinée comme un art majeur, de montrer sa réalité mais aussi l’art, la beauté du geste, du dessin, des gouaches et des encres,... et, en même temps, de porter à travers la bande dessinée l’histoire de l’immigration -ce qui est notre rôle- de la faire connaître et reconnaître. Nous nous sommes adressés à des commissaires experts car la bande dessinée, comme l’histoire de l’immigration, ne supportent pas l’approximation. Et Vincent Bernière, Vincent Marie et Gilles Olivier ont fait un travail extrêmement sérieux. Il faut aussi prendre cela en considération : nous avons avec la BD un instrument qui inspire des sentiments de manière extrêmement rapide. En deux cases, trois bulles, vous êtes dedans ! Cette immédiateté correspond tout-à-fait à notre volonté pédagogique de raconter l’histoire de l’immigration. Les deux vont bien ensemble.

Jacques Toubon : "La bande dessinée a incontestablement une vertu humaine éclatante"
Jacques Toubon et la commissaire de l’exposition Hélène Bouillon
Photo : ©Arnaud Robin

Quelles sont les œuvres qui vous ont le plus marqué ?

Il y a trois grandes périodes, à mon avis. Il y a d’abord la période où les Américains ont inventé le genre. Chez George McManus, l’auteur de Bringing Up Father (La Famille Illico en français) est l’histoire de cet Irlandais immigré qui termine milliardaire dont la femme est une parvenue. C’est une histoire d’immigration comme il y en a eu des milliers, en particulier aux États-Unis avec les Juifs de Brooklyn.

L’autre pôle, à mon avis, est toute cette bande dessinée qui raconte l’histoire de l’immigration à travers des autobiographies. On y retrouve des Portugais, des Africains, des Yougoslaves... Toute cette humanité qui fait la France d’aujourd’hui.

Il y a enfin un troisième pôle, c’est la bande dessinée de reportage, qui relate l’histoire immédiate. On y retrouve des récits que l’on peut voir au 20 heures ces jours-ci à la télévision : des bateaux pleins d’émigrants qui vont couler et des dizaines de morts...

Des pages choc de Lorenzo Mattotti
Photo : D. Pasamonik

La bande dessinée ne dispose-t-elle pas de moyens dérisoires face à cela ?

Non, je ne crois pas car j’ai observé que, quel que soit le mode de dessin, la façon dont l’artiste s’empare du sujet, que ce soit un Enki Bilal qui, même s’il n’avait pas fait de bande dessinée serait un peintre de l’importance de Soulages, à des créateurs au dessin plus simpliste, tous ont une grande sincérité.

Immédiateté, sincérité... Pour décrire des événements tels qu’on peut les voir aujourd’hui, moins on élabore, moins on y réfléchit, moins on y introduit de données politiques, philosophiques, juridiques, mieux on raconte les hommes. La bande dessinée a incontestablement une vertu humaine éclatante : il n’y a pas besoin de passer des heures à l’apprendre ; en trente secondes, on sait de quoi il s’agit, on éprouve les sentiments de l’immigration. L’amour finit par trouver quelqu’un qui le recueille, comme un étranger finit par s’intégrer là où il s’est installé, après beaucoup de difficultés.

Propos recueillis par Didier Pasamonik

Des storyboards de Marjane Satrapi pour Persepolis
Photo : D. Pasamonik

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Les photos, sauf indication contraire, sont ©Arnaud Robin

 
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4 Messages :
  • "Enki Bilal qui, même s’il n’avait pas fait de bande dessinée serait un peintre de l’importance de Soulages". Le mépris.

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    • Répondu le 18 octobre 2013 à  11:37 :

      Le mépris pour quoi ? Pour qui ?
      Il est vrai que cette phrase est ambigüe et que j’ai dû la relire pour bien la comprendre. Mais Jacques Toubon ne dit pas "S’il n’avait pas fait de BD, Bilal serait un peintre important", ce qui serait méprisant pour le média BD, il dit au contraire que Bilal est un peintre important indépendamment du fait qu’il soit aussi un auteur de BD.

      Ca détendrait tout le monde si les habitués du forum de ce site arrêtaient de s’énerver systématiquement et de façon épidermique contre tout et n’importe quoi, et notamment contre la moindre déclaration de toute personne extérieure au milieu de la BD. Personnellement, et bien que je ne vote pas pour le parti de M. Toubon, je trouve son interview assez pertinente. Il fut un ministre de la culture assez mauvais, mais ici, il connaît son sujet et s’y intéresse. C’est la moindre des choses, certes, ce n’est pas le cas de tous les politiques (remember les déclarations de l’actuelle ministre de la culture à Angoulême).

      Et une expo sur ce thème et dans ce lieu tombe particulièrement à pic en ces temps de xénophobie et de racisme. Alors bravo et merci M. Toubon et crotte aux sepiternels aigris et grincheux !

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    • Répondu par Manu le 18 octobre 2013 à  15:26 :

      En même temps Soulages c’est nul, niveau zéro de la peinture, alors c’est salaud pour Bilal.

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      • Répondu par Alex le 20 octobre 2013 à  21:22 :

        Comparer, accoler dans une même phrase Bilai et Soulages n’est pas méprisant. C’est tout simplement idiot. Et tant pis pour les tièdes, les mous, ceux qui se contentent du peu que l’élite nous offre par leur accès unique aux médias d’hier. Soulages c’est l’abstraction, le conceptuel. Bilal c’est toute l’école classique de la représentation figurative : plus précisément le Symbolisme, les décadents, la fin du 19e. Comme quoi n’importe qui peut être Ministre de la Culture, y passer plusieurs années et ne jamais rien apprendre de l’histoire de l’Art et des grands courants esthétiques occidentaux. C’est grave...mais ça donne une image assez précise de la compétence de nos dirigeants. Y’aurait une crise ? Ben tiens, quelle surprise !!

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