À la fin des années 1980, les responsables éditoriaux de Dupuis, craignaient l’arrivée du Petit Spirou, de peur qu’il nuise à la série phare des éditions Dupuis. Son côté impertinent et décalé dérangeait. Ils ont finalement eu raison de céder : « Fais de Beaux Rêves », le treizième album, est tiré à 412.000 exemplaires.
Depuis quelques années vous vous montrez moins régulier dans la publication de vos nouveautés.
La relation qu’un auteur a avec une série, avec un personnage, est particulière. De temps en temps, l’auteur ne sent pas son personnage, et il est alors difficile de le faire vivre. Surtout lorsque des problèmes extérieurs perturbent ou distraient les créateurs. Plus le temps passe, plus il est difficile de faire redémarrer la machine. La créativité fonctionne un peu comme un moteur Diesel ! On est dans le noir total pendant un certain temps, puis on attrape une idée qui en enclenchera une autre. Un gag en amène un autre.
Vous avez travaillé comme des acharnés durant les années 1980 et 1990. En multipliant les animations pour le journal Spirou, en réalisant les aventures de Spirou et Fantasio, puis les gags du Petit Spirou…
C’est pour cette raison qu’est né le Petit Spirou. Cette série a été une façon de nous ressourcer lorsque nous travaillions sur les aventures de Spirou et Fantasio. Quand on reprend une série comme celle-là, les auteurs sont, à un moment donné, confrontés à différents problèmes. On se sent notamment à l’étroit en animant un personnage dont on n’est pas le créateur. Les auteurs ne peuvent pas forcément suivre toutes leurs idées et options narratives, car certaines, plus personnelles, ne conviennent pas à la ligne du personnage. Il faut alors trouver des solutions pour se ressourcer. C’est qui nous est arrivé. Nous nous sommes alors dit : « Mais, Pourquoi ne pas imaginer des gags autour de sa jeunesse ? ». Nous voulions en profiter pour faire quelque chose de plus décalé…
Quand nous avons arrêté les aventures de Spirou & Fantasio, le Petit Spirou a perdu ce rôle-là. On rentre donc à nouveau dans une certaine routine. Il faut donc faire évoluer la série, créer d’autres personnages, de nouvelles situations, etc. Tout en continuant à poursuivre la logique de la série. On ne peut pas la faire évoluer radicalement. Le lecteur attend des nouveautés, mais aspire également à ce que Le Petit Spirou ressemble à ce qu’il connaît déjà…
Vous avez traité différents sujets, parfois graves, dans les aventures de Spirou et Fantasio. Notamment, le racisme.
Ce n’est pas parce que l’on réalise des bandes dessinées pour enfants, qu’il faut leur raconter des histoires basiques. Ce serait une insulte à leur intelligence. Spirou et Fantasio sont ancrés dans l’actualité, et sont donc proches des gens. Ce serait le mauvais choix de ne pas aborder des problèmes qu’ils rencontrent au quotidien. Ceci dit, nous sommes contre le militantisme. Pour reprendre votre exemple concernant le racisme : nous n’avons jamais écrit dans l’album un texte qui dit clairement que le racisme est quelque chose de mal, de mauvais. Nous trouvons qu’il est plus naturel, plus sain, que le lecteur comprenne à la fin de l’histoire que le racisme est quelque chose d’idiot. On peut y incorporer des éléments drôles car « rire » du racisme est quelque part une forme de déconnexion. Mais bien entendu, cela ne doit pas se faire au détriment du message principal. Le but essentiel est de faire rire, d’apporter une détente, en mettant en filigrane un message que les lecteurs sont libres d’adopter.
Franquin, lui-même, n’a jamais été aussi bon, dans ce domaine, que dans le Dictateur et le Champignon. Il a imaginé le Metomol, une arme qui détruit les armes. C’est un message fort, qui dépasse le discours simpliste qui consiste à dire : « Ce n’est pas bien les armes ! ».
Par contre, Franquin a été parfois un peu pénible en axant de nombreux gags de Gaston sur les parcmètres. On sentait qu’il se servait de Gaston pour régler un problème. Cela devenait un acte militant.
Justement, quel a été votre relation avec Franquin… Vous avez écrit quelques gags pour Gaston.
Nos rapports étaient symboliques. Lorsque nous avons eu la possibilité de reprendre Spirou, nous avons téléphoné à Franquin. Nous voulions nous informer auprès de lui des contraintes de ce personnage. Mais nous nous sommes vite rendus compte que, pour lui, Spirou était de l’histoire ancienne. Nous avons alors parlé de la vie, de notre métier. Nous avons effectivement travaillé un tout petit peu pour lui. C’était étonnant et enthousiasmant de s’immiscer dans le travail d’un maître comme lui.
A sa création, Le Petit Spirou dénotait par rapport au reste du catalogue des éditions Dupuis. Vous avez du vous battre pour imposer ce personnage, plutôt impertinent…
Oui. La direction de l’époque s’interrogeait sur le risque que cela entraînait pour la série mère. Pourquoi tuer la poule aux d’or ? Ce n’était pas quelque chose de facile pour eux. Tome et moi-même, nous ne voulions pas réaliser des BD consensuelles, transparentes, moralisatrices à l’instar de certaines séries qui ont fait les beaux jours de l’Ecole de Marcinelle.
Si le cinéma évoluait, explorait d’autres thématiques, il nous semblait logique que la bande dessinée en fasse de même. Les enfants de la fin des années 1980 n’avaient sûrement pas envie de lire le même style de bandes dessinées que celles des années 1950. Ce fut notre bataille, et nous sommes parvenus à imposer nos idées. Ce fut un passage un peu difficile, mais en rien révolutionnaire. Nous n’étions pas les seuls. Yann et Conrad avaient commencé à incarner ce type d’esprit décalé dans le journal. Nous avons simplement franchi une étape supplémentaire.
N’avez-vous pas envie d’explorer d’autres voies graphiques, de vous remettre totalement en question, comme vous l’aviez fait pour « Machine qui Rêve » ?
La bande dessinée est une remise en question constante. Les auteurs ont envie d’évoluer, de chercher d’autres voies, plus ou moins régulièrement. Pour le moment [1], cette envie ne se manifeste pas. Mais je sais qu’un jour, je voudrais faire un pied de nez à Janry ! Je redoute le moment où j’aurai fait la planche parfaite. Je n’aurai alors aucune raison d’en dessiner une autre. Les déceptions que je nourris en regardant mes dernières planches me donnent envie d’avancer !
(par Nicolas Anspach)
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Images (c) Janry, Tome & Dupuis.
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[1] L’interview de Janry a été réalisée en janvier 2006
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