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Japan Expo sera-t-elle visée à son tour par l’extrême-droite japonaise ?

Par Laurent Melikian le 1er juillet 2014                      Lien  
Alors que Japan Expo capte l’intérêt de la bédésphère, il n'est pas inutile de revenir sur la polémique qui a illustré le dernier Festival d'Angoulême où des ultra-nationalistes japonais ont tenté de torpiller une exposition dédiée aux « femmes de réconfort » coréennes. Après une vaste campagne de cyber-propagande, ils avaient loué un stand où ils proposaient aux visiteurs un manga négationniste... en français. Ils furent expulsés par le FIBD dès avant l'ouverture du festival. L’incident se rangeant déjà au rayon des souvenirs, les mêmes profiteront-ils de Japan Expo pour répandre un certain déni japonais à propos de la Seconde Guerre mondiale? Enquête.

Jeudi 30 janvier 2014 au théâtre d’Angoulême, la tension est palpable. Pour la première fois un ministre étranger venant d’Asie est officiellement présent au FIBD. Mme ChooYoon Sun, ministre sud-coréenne de l’Égalité entre les hommes et les femmes, vient inaugurer une exposition financée par son ministère Fleurs qui ne fanent pas.

Une vingtaine d’auteurs coréens ont participé à cet événement. Chacun livre sa vision des « femmes de réconfort » à partir de témoignages de rescapées coréennes de ce drame de la Seconde Guerre mondiale.

Ce vocable, les « femmes de réconfort », est un euphémisme pour désigner des victimes de l’armée impériale japonaise qui, pendant l’occupation de la Corée par le Japon, furent enlevées et réduites à l’état d’esclaves sexuelles dans les bordels à soldats.

Les quelques œuvres exposées sont signées par de grands auteurs de manwhas : Park Kun-woong (Fleur, Éd. Casterman) ou Jisue Shin (3 Grammes, Éd. Cambourakis). Elles illustrent le martyre de ces femmes coréennes, mais aussi chinoises, philippines, indonésiennes,… Cette triste réalité historique a été révélée par des milliers de témoignages. Elle est aujourd’hui soutenue par la communauté internationale des historiens.

Japan Expo sera-t-elle visée à son tour par l'extrême-droite japonaise ?
Mme Choo YoonSun, ministre coréenne, objet de toutes les attentions médiatiques.
© L Melikian


Émouvantes, étonnantes, tant d’un point de vue plastique que narratif, ces pièces ne sont pourtant pas du goût de tout le monde. Dans les semaines qui ont précédé le festival, pétitions et lettres de protestation sont parvenues aux organisateurs du FIBD (voir notre interview de Nicolas Finet) et à la presse locale, comme la Charente libre.

Ces protestations émanent le plus souvent de Japonais contestant le fait que les « femmes de réconfort » étaient des esclaves sexuelles. Selon eux, il s’agissait de prostituées volontaires et rémunérées. Cette thèse est largement répandue dans les milieux nippons d’extrême droite où l’on ne s’embarrasse ni de la mémoire des victimes, ni de leur honneur.

Les pétitionnaires précisent dans un français maladroit : « Le 41e BD d’Angoulême commet bien des erreurs en collaborant avec la campagne malveillante anti-japonaise du gouvernement coréen… On vous demande de ne jamais prendre part aux affaires louches d’un pays en se mêlant le problème contre autre pays. »

Diable, le FIBD provoquerait-il un incident diplomatique ? Pour en revenir à l’inauguration de Fleurs qui ne se fanent pas, on joue des coudes pour assister à cette cérémonie dans le hall devenu exigu du sous-sol du théâtre. Car de nombreuses équipes de télévisions asiatiques sont présentes, certaines coréennes, d’autres japonaises. La scène nationale d’Angoulême devient pour le coup le théâtre d’un affrontement nippo-coréen. Français, coréens et japonais, chacun se surveille d’autant plus que dans l’assistance se sont glissés des indésirables qui ont fait scandale la veille…

L’exposition "Fleurs qui ne fânent pas"
© DR

En effet, mercredi 29 janvier, en fin d’après-midi des exposants ont dû renoncer au stand qu’ils avaient réservé auprès de 9e art +, la société organisatrice du Festival. Sous la bulle Little Asia où exposent des délégations chinoise, coréenne et taïwanaise, un éditeur japonais avait réservé un petit espace au nom de Nextdoor publishing. Sous cette appellation se cache en fait le mouvement RomPa project, initiateur de la fameuse pétition.

Dans la matinée du mercredi, le petit stand blotti à l’abri des regards extérieurs, s’affiche avec des bannières tapageuses : « L’histoire fabriquée sur les femmes de réconfort ». Qu’ont-ils à proposer en dehors de quelques tracts ? Un seul livre intitulé Les Faits. L’ouvrage d’une centaine de pages grossièrement traduites en français a pour but de porter la thèse déjà exposée par la pétition. ActuaBD s’est procuré l’ouvrage en question. Nous en reparlerons plus loin.

L’équipe de Nextdoor Publishing une heure avant son expulsion de la bulle Litlle Asia
Aux côtés d’une jeune femme dont nous ne connaîtrons pas le nom, de gauche à droite : M. Tony Marano, venu du Texas, Fuji Mitsuhiko, membre de la secte Kofoku no Kagaku et l’étrange colonel Fujiki Shun-Ichi.
© L Mélikian

Alerté de cette fâcheuse présence, Nicolas Finet, programmateur de 9e art+ et responsable de la bulle Little Asia arrive sur place dans l’après-midi. Il fait le constat que l’équipe de Nextdoor diffuse ouvertement des idées négationnistes qui contreviennent par conséquent à la Loi Gayssot en contestant l’existence de crimes contre l’humanité : « Ces gens niaient des crimes de guerre, c’est grave notamment à l’égard des autorités japonaises qu’ils faisaient mine de représenter » explique Nicolas Finet.

Leur stand est immédiatement fermé par l’organisateur et le matériel est saisi, confié à un huissier de justice. L’incident fait grand bruit sur la toile. Nicolas Finet devient la tête de Turc de nombreux internautes japonais. Pourtant celui-ci était beaucoup plus à l’écoute de la partie japonaise qu’on ne veut bien le faire croire : « Puisque nous travaillons sur la bande dessinée japonaise depuis fort longtemps, confie Nicolas Finet, nos relations avec l’ambassade du Japon sont anciennes. Ses services étaient au courant de la polémique en cours et nous leur avions proposé une prise de parole, mais ils ont préféré s’abstenir pour ne pas l’amplifier. Le dialogue est cependant resté permanent. Leurs observateurs étaient présents pendant le festival, ceux-ci nous ont demandé de bien vouloir diffuser leur communiqué en salle de presse. J’ai validé et autorisé la diffusion de ce texte de nature diplomatique sur le fait que l’état japonais ne nie pas ces faits, qu’il s’en est excusé et que des indemnisations ont été versées. Actuellement, on sent le Japon irrité par une escalade de demandes d’excuses de la part de la Corée du Sud. Et nous avons d’ailleurs nous-mêmes connu des tentatives d’instrumentalisation en ce sens. Ainsi préalablement à mon intervention pour l’interdiction du stand de Nextdoor, j’ai dû menacer d’annuler l’exposition sur les « femmes de réconfort » parce que certains de nos interlocuteurs coréens voulaient lui accoler un complément de titre « militant » - « Je suis la preuve », en anglais « I am the evidence » - qui aurait dénaturé la démarche de cette exposition, fondamentalement artistique. Ces mêmes interlocuteurs coréens avaient d’ailleurs, à notre insu, organisé sur ce thème une conférence de presse à Paris, la veille de l’inauguration de l’exposition. Nous avons demandé et obtenu que celle-ci soit annulée. Alors, quand on m’a taxé de ne donner la parole qu’aux Coréens et de maltraiter les malheureux Japonais… j’ai plutôt l’impression d’avoir fait preuve d’équanimité, puisqu’on cherchait de part et d’autre à nous déborder.  »



ActuaBD était présent une petite heure avant le nettoyage opéré par Nicolas Finet et après quelques recherches, nous avons pu mieux identifier les équipiers de ce stand à la dérive. La troupe est d’abord composé d’un certain Fuji Mitsuhiko, arborant chaussures Richelieu et cravate voyante, il signe le scénario de Les Faits et semble le porte-parole de l’organisation. À ses côtés se tient une jeune femme dont nous ne connaîtrons pas l’identité. On remarque également la présence d’un citoyen américain, Tony Marano surnommé Daddy Texas. Celui-ci est possesseur d’un rapport de l’armée américaine daté d’octobre 1944 concernant l’arrestation d’une quarantaine de « femmes de réconfort » en Birmanie. À partir de ce document fort douteux au vocabulaire curieusement contemporain et dont il distribue des copies, il prétend remettre en cause l’existence d’esclaves sexuelles soumises par l’armée japonaise. Enfin un quatrième larron encadre particulièrement Tony Marano, Fujiki Shun-Ichi. Celui-ci tend une carte de visite aux couleurs d’une mystérieuse armée du Kentucky (Honorable Order of Kentucky Colonels). Après quelques recherches sur Internet, le journaliste japonais Kolin Kobayashi, correspondant en France de la revue Days Japan nous informe qu’il s’agit d’un collaborateur de l’extrémiste-raciste Shuhei Nishimura, connu au Japon comme un meneur aux méthodes parfois violentes.


Le chercheur-narrateur des "Faits" et ses sous entendus sans nuance
© PSS

Qui finance cette équipe capable d’éditer en quelques semaines un manga de cent pages, de louer un stand au FIBD en dissimulant ses intentions, de rameuter plus de 10 000 internautes et de monopoliser plusieurs médias japonais ? Kolin Kobayashi se rend compte que le quotidien Sankei Shimbun -cinquième quotidien japonais- a régulièrement informé ses lecteurs sur les mésaventures de Nextdoor Publishing. «  Sankei Shimbun est également un journal d’extrême droite révisionniste, confie le journaliste. Ils sont probablement complices dans cette affaire. Ils se seraient mis d’accord sur leur action à Angoulême. Ils ont sans doute été financés par la secte religieuse Kofoku no Kagaku qui est aussi un mouvement négationniste, ou par d’autres organisations d’extrême droite. »

Et comme pour confirmer les soupçons de Kolin Kobayashi, Yasuo Naito, chef du bureau de Sankei Shimbun à Londres est présent à Angoulême pendant toute la durée du festival. Ce journaliste anglophone aux manières courtoises, n’a cessé d’interroger les festivaliers sur ce mini-scandale, se faisant au cours de la conversation le discret mais tenace avocat de Nextdoor Publishing.

« Fuji Mitsuhiko a affirmé lui-même devant la presse japonaise, qu’il est membre de la secte, Kofoku no Kagaku  » précise Kolin Kobayashi. Ce mouvement est connu en France depuis bien longtemps où il est présent sous le nom d’Institut pour la recherche du bonheur. En 1995, cet « institut » entre dans la (longue) liste des organisations pointées par le rapport d’enquête parlementaire sur les sectes, dit Rapport Guyard.

Kofuku no Kagaku intervient aujourd’hui dans le débat public au Japon par le biais de son parti politique Kofuko Jitugennto (Le parti de l’avènement du bonheur). En Occident, le mouvement se fait généralement appeler Happy Science. Le traducteur que Fuji Mitsuhiko utilise pour sa dernière conférence de presse portait un badge d’accréditation sous le même nom de Happy Science. Une autre connivence sulfureuse pour Nextdoor...


Parlons des Faits, ce manga dont nous reproduisons ici quelques images et qui était le seul article proposé par Nextdoor.

Le livre frappe d’abord par son parti-pris formel : propager une thèse historique à l’aide d’une mascotte kawaï toute en rondeur -un ourson ombrageux- et de lycéennes affriolantes. La démarche est peut-être courante au Japon, elle aura du mal à convaincre les lecteurs français. Sur le fond, les innocentes lycéennes sont désemparées d’avoir appris en cours à quel point leur pays s’est montré aussi cruel envers les « femmes de réconfort ».

Un très gentil chercheur-double moral de Fuji Mitsuhiko- va réconforter les jeunes femmes. Selon lui ce que colporte leur professeur d’histoire –une femme revêche- n’est qu’inventions. Le Japon serait victime de « lobbies anti-japonais » qui ont corrompu des politiciens à travers le monde. Il se fait fort de les confondre en dénonçant au cours de sa diatribe la presse japonaise « de gauche » et les syndicats d’enseignants « anti-japonais ». Enfin, M Daddy Texas est un des personnages de l’ouvrage, il intervient pour appuyer la sempiternelle thèse selon laquelle les femmes de réconfort étaient des prostituées rémunérées et bien payées. L’historien de service reprend la parole pour ajouter que si certaines femmes ont été trompées, c’est par le fait de souteneurs coréens. Mais il ne s’arrête pas là sur le chemin de la déformation de l’histoire.

Extrait des "Faits"
Les nationalistes japonais déploient des arguments choc pour induire leur propagande. Pas sûr qu’ils gagnent en crédibilité auprès du public européen.
© PSS

Le récit est introduit par quelques scènes situées sur un îlot de l’archipel Senkaku, fruit d’une vive discorde actuelle entre la République populaire de Chine et le Japon.

Plus loin, les Faits soutient que la colonisation de la Corée par le Japon qui a commencé en 1905 était une œuvre de civilisation et que contrairement à «  la majorité des politiques coloniales venant de l’Occident (…) le Japon va encourager l’éducation en construisant des écoles et avait investi dans les secteurs de développement.  »

Le propos fait fi des atrocités coloniales qui ont culminé pendant la guerre, rejetant leur dénonciation sur une « vision autodestructrice de l’histoire » qui a conduit le Japon à verser des indemnités de guerre aux deux Corées. Non seulement le « chercheur » déplore le versement des indemnités, mais il rajoute : « Le Japon aurait pu légalement réclamer la somme qu’ont coûté les infrastructures qui ont été bâties sur la péninsule coréenne, un somme qui monterait à 14 milliards de yens aujourd’hui. » La traduction hasardeuse décline le milliard en billion, résumant le haut degré de cynisme des propos, quand l’ancien colonisateur se pique de réclamer des indemnités à un pays dont il a pillé les richesses et asservi sa population pendant cinq décennies.

Extrait des "Faits"
Une enseignante japonaises telle que la représente les auteurs militants de Rum-Pa Project. Suggérerions-nous à l’éducation nationale japonaise de protester contre cette image ?

Avec les Faits, Fuji Mitsuhiko s’inscrit dans la ligne tracée par Yoshinori Kobayashi (qui n’a aucun lien avec le journaliste précité Kolin Kobayashi). Ce mangaka d’extrême droite a connu un grand succès au Japon dans les années 2000 avant de passer de mode. À travers sa revue Wascism ses bandes dessinées ont porté la parole négationniste. Lui aussi conteste l’esclavagisme des « femmes de réconfort », mais aussi l’ampleur du massacre de Nankin et d’autres crimes de la Seconde Guerre mondiale que l’historien français Jean-Louis Margolin qualifie de « centaines et milliers d’Oradour » [1]

Quel but cherchent réellement ces fossoyeurs de la mémoire, si ce n’est réhabiliter le régime impérial japonais, celui-là même qui prônait une suprématie raciale catastrophique ?

Yoshinori Kobayashi, nationaliste et mangaka a largement diffusé les idéaux nationalistes à travers l’archipel
© Yoshinori Kobayashi

La tendance négationniste des Kobayashi et Mitsuhiko ne représente-t-elle qu’un frange minoritaire de la population japonaise ? On le souhaite. Mais à l’image du Premier Ministre japonais Shinzo Abe priant au sanctuaire Yasukuni pour rendre hommage aux militaires décédés, criminels de guerre compris, les officiels du Soleil Levant soufflent plus souvent le froid que le chaud sur la question.

Ainsi alors que la polémique enfle à Angoulême, le Ministère des Affaires étrangères du Japon fait circuler le communiqué à l’attention des visiteurs que Nicolas Finet évoque ci-dessus. Extrait : « Le Premier ministre Shinzo Abe est profondément affligé à la pensée des femmes qui ont vécu ces moments douloureux et difficilement descriptibles. Il réaffirme qu’il partage ce sentiment avec tous les précédents gouvernements. »

Le texte déplore cependant que l’exposition voudrait induire que les « femmes de réconfort » n’ont pas été indemnisées par le Japon alors qu’un accord a été signé entre les deux pays en 1965. Ce communiqué très diplomatique évite d’utiliser le mot "crime", mais dément tout de même les allégations de Fuji Mitsuhiko et de ses amis. Las, il a du mal à faire oublier les propos tenus le mercredi 29 janvier par l’Ambassadeur du Japon en France, M Yoichi Sukuki. Cité par la journaliste Sarah Diffalah sur le site du Nouvel observateur, celui-ci "regrette vivement que cette exposition ait lieu", estimant qu’il s’agit d’un "point de vue erroné" qui "complique davantage les relations entre le Japon et la Corée du Sud". Et il ajoute : "Je ne suis pas sûr que ce soit dans l’intérêt du festival d’Angoulême de promouvoir une vision particulière". Les katanas sont décidément tirés !


Le sujet colle à l’époque. Anne Frank au Pays du Manga [2] a été publié quelques semaines avant la polémique d’Angoulême. Cette bande dessinée de reportage diffusée à la fois en ligne et en album, dresse un portrait inquiétant du Japon contemporain.

Le documentariste Alain Lewkowicz et le dessinateur Vincent Bourgeau parcourent un pays où le passé est revisité de manière troublante. Anne Franck, dont le Journal connaît plusieurs adaptations en manga est quasiment sanctifiée comme une icône kawaï et le public japonais de se considérer victime de la Seconde Guerre mondiale au même titre que les victimes de la Shoah.

En revanche, aucune place ne semble accordée dans l’archipel nippon à d’autres victimes, celles de l’armée impériale dans toute l’Extrême-Orient. Les auteurs décrivent une société japonaise soumise au dictat nationaliste.

Ainsi, Mme Kimiko Nezu, enseignante, est condamnée à la rééducation pour avoir refusé de faire allégeance au drapeau japonais. Anne Frank au pays du Manga présente également Motomiya Hiroshi, mangaka travaillant pour l’éditeur Shueisha et connu en France pour Je ne suis pas mort, deux volumes publiés par Delcourt/Akata en 2009.

Dans son feuilleton le Pays qui brûle l’auteur évoque les massacres de Nankin, mais les quarante pages consacrées à cette autre tâche sanglante de l’histoire ont été finalement expurgées de l’édition en album. « Les Japonais ne refusent pas la vérité historique, commente Motomiya Hiroshi, ils sont juste flemmards (…) Les gens sont devenus laxistes. Et pour exprimer des positions fortes, cela demande un vrai effort. »

Le sanctuaire Yasukuni dans "Anne Frank au Pays du Manga"
© Bougeau, Lewkowicz, les Arènes, Arte

Sombre constat, pour les premiers lecteurs de mangas en France. Ceux qui ont découvert cette bande dessinée avec Gen d’Hiroshima de Keiji Nakazawa publié par les Humanoïdes Associés dès 1983 et aujourd’hui disponible en dix volumes chez Vertige Graphic.

Dans ce témoignage capital pour l’histoire de l’humanité, l’auteur rescapé d’Hiroshima et décédé en 2012, ne fait aucun mystère des responsabilités impériales dans l’engrenage qui mena au feu nucléaire. Ces mêmes lecteurs ont ensuite connu l’humanisme d’un Osamu Tezuka notamment à travers l’Histoire des trois Adolf qui décrypte l’embrigadement par le racisme. Ils sont souvent devenus de fervents défenseurs du genre contre les attaques ridicules dont il a fait l’objet jusque dans les années 2000.

Il a fallu du temps à cette première génération mangaphile pour réaliser l’énorme perte de mémoire qui habite la bande dessinée japonaise. Sur les centaines de titres japonais concernant la Seconde Guerre mondiale aucun à notre connaissance n’ose aborder les crimes de guerre de l’armée impériale. Le forum qui suit ces lignes sera d’ailleurs bien heureux de citer des exemples contraires. Ce silence assourdissant laisse perplexes. D’autant plus que le traumatisme des exactions transpire dans les œuvres des voisins du Japon récemment publiées en français. Citons pour les ravages de la colonisation Seediq Bale du Taïwanais LowRong Chiu (Éditions Akata), Fleur et pour les crimes de guerre en Chine Nankin de Zong Kai et Nicolas Meylander (Editions Fei)

"Femmes de réconfort" publié par 6 pieds sous terre et Au diable Vauvert en 2007.
On trouvera ici d’autres faits plus étayés.

Retour à Angoulême 2014 et aux activistes de Nextdoor publishing. Ceux-ci finissent leur épopée par une conférence de presse en plein air dans les jardins de l’hôtel de Ville par un dimanche 2 février ensoleillé. Ils comptent s’offrir un baroud d’honneur devant une foule acquise à leur cause. Las, seule une demi-douzaine de journalistes écoute l’imperturbable Fuiji Mitsuhiko et son traducteur hagard. Le nationaliste reprend sa logorrhée habituelle, accusant le Festival de présenter une « vision unilatérale » et à se livrer à « une propagande pure et simple ». Avant de s’en retourner vers le Soleil levant, l’activiste conclue par un vibrant : «  Nous reviendrons ! » [3]

Dernière conférence Outdoor pour Nextdoor Publishing.
A l’arrière plan, le journaliste Yasuo Naito, correspondant à Londres du quotidien conservateur Sankei Shimbun.
© L Mélikian

On accordera à Nextdoor Publishing, le titre de premier groupe japonais ouvertement négationniste à tenter de se produire dans un festival de bande dessinée en France.

Vont-ils revenir, comme ils le promettent, dans un événement comme Japan Expo ? Ce n’est pas à l’ordre du jour, les dirigeants de Japan Expo nous le confirment : « Jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons pas eu affaire à des activistes d’extrême droite désirant participer à notre manifestation, confie Thomas Sirdey, Vice-Président de Japan Expo. Ils n’ont d’ailleurs pas vocation à s’exprimer chez nous. Nous désirons partager ce que nous aimons du Japon. Au-delà de la politique, nous sommes toujours soucieux de l’identité et des intentions de nos exposants. À deux reprises nous avons par le passé refusé d’accorder des stands à des organisations de type sectaire. Et pour en revenir aux militants d’extrême droite, ces gens génèrent un malaise pour tout le monde. Ils donnent au final une mauvaise image de leur pays, ils ne sont pas plus représentatifs du Japon que les Lepénistes ne le sont de la France  ».

C’est donc dit, l’extrême droite japonaise ne passera pas non plus par Japan Expo. Espérons que les organisateurs d’autres événements, moins importants et moins entourés juridiquement, restent vigilants à ces questions.

(par Laurent Melikian)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

[1Jean-Louis Margolin, L’Armée de l’Empereur : Violences et crimes du Japon en guerre 1937-1945, Armand Colin.
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[2Anne Franck au pays du manga par Alain Lewkowicz, Vincent Bourgeau, Marc Sainsauve et Herminien Ogawa, les Arènes et Arte éditions
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[3Allusion ironique à un discours du général américain Douglas MacArthur du 20 mars 1942 aux Philippines alors qu’il en est chassé par l’armée japonaise. Il finit par diriger le Japon pendant l’occupation américaine de 1945 à 1951. NDLR.

 
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9 Messages :
  • Le négationnisme est sévèrement puni par la loi française. Ils auraient dû se faire embarquer.

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  • Malheureusement dans toutes les armées en guerre il y avait les bmc (bordel militaire de campagne) où rares étaient les prostituées volontaires. Il est bon de rappeler que faire l’amour doit être un échange entre deux personnes consentantes, et que si les hommes ont besoin de se soulager il y a la masturbation.

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    • Répondu par mmarvinbear le 1er juillet 2014 à  18:27 :

      C’est exagéré de dire cela.

      En réalité, le BMC, originaire d’ Afrique, a été institué par les autorités militaires françaises lors de la première guerre mondiale.

      Le but était double : contrôler la bonne santé des femmes afin qu’elles ne mettent pas les troupes hors de combat à coup de blennorragies et autres joyeusetés pré-HIV, et surtout pour éviter que les femmes françaises n’aient de rapports avec les troupes coloniales, ce qui à l’époque était encore plus mal vu que de fricoter avec une fille d’outre-Rhin.

      Même lorsque les maisons closes seront fermées en 47, les BMC de Métropole garderont une dérogation.

      Le dernier BMC de métropole, en Corse, ferme en 1978. Le dernier en France ferme à Kourou en 1995 ( suite à la plainte d’un maquereau pour concurrence déloyale ! ).

      Il existe un dernier BMC géré par la Légion Etrangère à Djibouti, toujours actif semble t-il.

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      • Répondu par Aurélie le 1er juillet 2014 à  20:53 :

        Le but était double : contrôler la bonne santé des femmes afin qu’elles ne mettent pas les troupes hors de combat à coup de blennorragies et autres joyeusetés pré-HIV, et surtout pour éviter que les femmes françaises n’aient de rapports avec les troupes coloniales

        Mais bien-sûr, CQFD, si on transforme les femmes en putains c’est pour leur bien. Dans le but de les protéger, de les soigner. Vous êtes un bon vous ! Je ne pensais pas que ça existait encore des hommes comme vous.

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        • Répondu par mmarvinbear le 2 juillet 2014 à  01:42 :

          Si vous relisez correctement ma phrase, vous comprendrez que le bien-être des soldats ( tant physique que sexuel ) constituait la priorité des officiers. Ce qui par ricochet passait par la bonne santé des prostituées.

          Pour l’histoire, leurs efforts furent vains sur ce point là.

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  • Japan Expo sera-t-elle visée à son tour par l’extrême-droite japonaise ?
    1er juillet 2014 14:21, par Xavier « Da Scritch  » Mouton-Dubosc

    Le témoignage de Laurent Mélikian sur les incidents au Festival d’Angoulême
    http://dascritch.net/post/2014/02/01/Suppl%C3%A9ment-Week-End%2C-samedi-2-F%C3%A9vrier-2014#@13m50s

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  • "Sur les centaines de titres japonais concernant la Seconde Guerre mondiale aucun à notre connaissance n’ose aborder les crimes de guerre de l’armée impériale." Il me semble qu’on oublie ici l’oeuvre de Shigeru Mizuki, en particulier sa fresque historique "Showa".

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    • Répondu par Laurent Melikian le 5 juillet 2014 à  12:42 :

      Merci de signaler Shigeru Mizuki, auteur qui mérite bien des égards. Dans "Opération Mort" (Ed Cornélius), tiré de ses propres souvenirs de soldat de l’Empereur, il dénonce le fanatisme des officiers japonais qui poussaient les jeunes recrues à sacrifier leur vie afin de "préserver" l’honneur du pays quand tout était perdu. Cela dit, la population de l’île de Rabaul -dans l’actuelle Papouasie Nouvelle Guinée où se déroule l’action est absente du récit-. A-t-elle été prisonnière des combats ? Déportée ? Eliminée par les troupes d’invasion ? On ne le saura pas dans "Opération mort".
      Quant à "Showa", qui est sans doute une des pièces maîtresses de l’oeuvre de Mizuki, elle n’a pas encore été publié en français. Et je regrette de ne pas savoir si le tabou des exactions militaires impériales contre les populations envahies est abordé. On espère que Cornelius, éditeur de référence de Mizuki, ne tardera à le traduire.

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