Mortagne, c’est mille deux cent dix-neuf habitants. Mortagne, c’est du bois et de la vigne, les deux seules ressources qui alimentent les deux seules entreprises de la commune : Le Château Clément et la Scierie Listrac. Travailler pour Monsieur Clément revient à haïr ceux qui travaillent pour Monsieur Listrac, et inversement. La haine fouette les murs de Mortagne et c’est comme ça depuis toujours. Martial a préféré fuir ces querelles de clochers. Jusqu’à son geste sans retour...
Parti avec un stylo bic et du mauvais papier, Alfred a trouvé le ton juste pour raconter ce drame social. Cette descente aux enfers de la violence d’un adolescent n’est jamais illustrée de manière complaisante. Bien au contraire, Alfred donne dans le subtil et n’a pas son pareil pour mettre en scène graphiquement les scènes clés : lorsque Martial enlace Térence (le trait s’estompe en trois cases), lorsqu’il découvre le corps de Térence (les images tranquilles du village et ses habitants endormis s’opposent à la violence du texte) ou lors de la tuerie (le visage de Martial n’est jamais montré en pleine lumière). La violence est suggérée plus que montrée. Le savoir-faire des meilleurs…
Avec une montée en puissance, basée sur une introduction livrant l’issue fatale de l’histoire puis une remontée temporelle pour expliquer le pourquoi du comment, Je mourrai pas gibier ne vous épargnera pas. Le récit comme le dessin est brut, poignant. Il écorche, effare, tranche. Et ne laisse aucun répit au lecteur qu’il happe tout au long des 112 pages.
Après Pourquoi j’ai tué Pierre, Alfred réussit là un deuxième petit chef-d’œuvre dans la collection Mirages aux éditions Delcourt.
(par Laurent Boileau)
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