Variant dans la technique narrative d’une histoire à l’autre, passant du classique à la recherche formelle, Je n’ai rien oublié nous propose quatre récits questionnant de diverse manière le rapport au temps écoulé. Du plus fantastique, avec une boucle temporelle opérée dans le huis-clos d’une salle de bain, au banal souvenir de jeunesse...
Mais toutes ces nouvelles ne convainquent pas pleinement et, paradoxalement, ce sont les récits les moins originaux sur la forme, ceux qui adoptent la structure la plus courante qui s’en sortent finalement le mieux. Ceux, plus radicaux, entièrement muets, semblent un peu vains et se contenter d’un statut d’exercice de style. Plus malins que sensibles, ils peinent à susciter une réelle émotion à la différence de ceux ouvrant et refermant.
Ainsi, dans le versant réussi du volume, cet inquiétant épisode dans lequel des oies viennent mourir sur le toit de la maison familiale, laissant la marque indélébile d’un sang que les enfants tenteront, des années durant, en vain d’effacer. Ou ce couple de vieillards dont la femme tombe finalement enceinte pour accoucher d’une graine dont elle attendra et couvera tendrement les fruits.
Il y a dans ces nouvelles un joli imaginaire dont l’inspiration apparaît parfois clairement "miyazakienne" : des racines d’un arbre émerge ainsi un étrange esprit de la nature, portant parapluie comme Totoro, et dont la forme évoque les créatures de Princesse Mononoke. Ce qui n’est guère étonnant quand on sait que Ryan Andrews a quitté les États-Unis pour s’installer au Japon...
Si la collection "Contrebande" de Delcourt propose des comics mainstream, comme le renommé The Walking Dead, la collection "Outsider" offre elle au lecteur des œuvres américaines indépendantes, dans une veine auctoriale qui peut nous rappeler une certaine bande dessinée franco-belge des dernière décennies.
Mêlant images poétiques et réflexions sur la vie et le temps qui passe, il manque cependant à Je n’ai rien oublié ce petit « quelque-chose » qui distingue ce type de réalisation, qui transforme le galop d’essai en œuvre aboutie. Ce « quelque-chose » qui permet à une lecture, justement, de s’inscrire dans le temps et d’échapper à l’oubli, ce qui est loin d’être le cas ici.
(par Aurélien Pigeat)
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Je n’ai rien oublié. Par Ryan Andrews. Traduction Nicolas Bertrand. Delcourt, collection "Outsider". Sortie le 25 mars. 128 pages. 16.95 euros.