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Jean-Charles Kraehn (Tramp, Bout d’Homme) : « J’avais très envie de dessiner à nouveau Gil Saint-André »

Par Charles-Louis Detournay le 20 juillet 2010               Tramp, Bout d’Homme) : « J’avais très envie de dessiner à nouveau Gil Saint-André »" data-toggle="tooltip" data-placement="top" title="Linkedin">       Lien  
Comme nous l'abordons dans notre [présentation du nouveau cycle de Gil St-André->10567], Kraehn reprend le dessin d'un de ses personnages fétiches. L'occasion d'aborder les ressorts scénaristiques de ce héros 'malgré lui', et de parler de Tramp et de Bout d'Homme.

Gil St André est un héros malgré lui, car il vit des aventures sans l’avoir demandé. Après un premier cycle de cinq albums dans lesquels il recherche son épouse disparue, il aide une "amie" flic dans le second cycle. Comment l’avoir fait rebondir de manière réaliste dans ces nouvelles aventures ?

Jean-Charles Kraehn (<i>Tramp, Bout d'Homme</i>) : « J'avais très envie de dessiner à nouveau <i>Gil Saint-André</i> »Effectivement, Gil n’est pas un policier mais un homme d’affaires, patron d’une petite entreprise. C’était mon problème avec ce héros dont le métier n’est pas de mener des enquêtes. Difficile, dans ces conditions, de continuer à lui faire vivre des aventures crédibles sans utiliser de grosses ficelles ! La solution était donc de le faire changer de monde. Dans ce nouveau récit, il va côtoyer la grande entreprise, la haute finance, la politique, et la jet-set qui sont intimement liés. Milieux plus porteurs de fantasmes... et aussi d’aventures.

Vous n’allez tout de même lorgner vers Largo Winch ?

Le polar politico-financier est devenu un genre en BD (IR$, Secrets bancaires, etc) qui existait pourtant depuis longtemps en roman. Je ne vois pas pourquoi je me l’interdirais. Largo Winch, même s’il a défriché le terrain dans le petit monde des bulles, n’en a pas pour autant l’apanage. De plus, à la différence de ce personnage, mon héros est français de même que l’univers dans lequel il continuera d’évoluer, même s’il sera amené à voyager bien sûr. Mes intrigues auront obligatoirement une autre odeur, une autre ambiance que celles de Largo Winch. Voyages, dépaysement, et rêves sont d’ailleurs des raisons qui m’ont aussi poussé à internationaliser Gil Saint-André. Ca me permettra de varier les décors par rapport aux huit premiers tomes. Graphiquement c’est plus riche.

Croquis inédit, présentant la scène de l’explosion par la famille et les amis de Gil St-André. Finalement, Kraehn préféra donner un autre cadrage à cette scène.
Crayonné préparatoire à la planche 4.

Les premières intrigues étaient tout de même liées à des sentiments forts : la disparition de sa femme, puis l’entraide. L’aspect de la haute finance ne va-t-elle pas bousculer tout cela ?

Je ne veux pas changer le côté humain de mes intrigues, ni enlever la dimension psychologique de mes personnages. C’est, je crois, ma marque de fabrique dans ce genre-là, au détriment parfois de l’efficacité pure de l’intrigue, je le reconnais. Donc, pas d’inquiétude ! Humour et sentiments seront au rendez-vous des albums à venir, même dans le monde glacé du pouvoir. D’ailleurs avec tous les scandales financiers et ‘people’ qui sont régulièrement révélés par la presse, on constate que ce monde n’est pas si glacé que ça. Fric et sexe sont quand même les principaux ressorts de la grande comédie humaine.

Vous évoquiez la genèse de la série sur le modèle du Fugitif, mais en réalité, le premier cycle est bien composé d’une succession de fausses pistes et de petits éléments apporté à l’enquête.

Oui, à l’origine, je voulais faire une dizaine d’albums dans lesquels Gil aurait rencontré des personnages différents à chaque fois. Djida, second personnage principal de la série, ne devait apparaître dans mon idée initiale que dans le tome 1. Puis, j’ai changé mon fusil d’épaule, en renommant la série Une étrange disparition en Gil Saint-André. Comme pour Le Fugitif, c’est à cause de cette intrigue originelle que je voulais un homme "ordinaire" au départ. Un presque "Monsieur tout le monde", un type qui recherche sa femme parce que la police, qui a d’autres chats à fouetter, s’en occupe trop mollement à son goût.

Sylvain Vallée qui a réalisé six albums de Gil St André est fort occupé avec Il était une fois en France, mais vous auriez pu confier le dessin à un autre auteur. Pourquoi vouloir reprendre vous-même l’illustration de cette série ?

Ce n’est pas parce que Sylvain était occupé par sa série Il était une fois en France que nous avons cessé notre collaboration. Il aurait pu trouver du temps pour se consacrer à Gil St-André. Il y a de multiples raisons qui nous sont personnelles, mais une des plus importantes est que j’avais très envie de dessiner à nouveau ce personnage. Nous nous sommes donc mis d’accord, et il n’était pas question dans ces conditions de repasser le bébé à quelqu’un d’autre. Pour moi, c’est un simple retour aux sources, puisque j’avais créé cette série seul, il y a quatorze ans. Si par hasard (on ne sait jamais ce que la vie vous réserve), quelqu’un d’autre que moi devait à nouveau la dessiner, ce ne pourrait être que Sylvain bien sûr ! D’abord parce qu’il a fait un travail remarquable sur les six albums qu’il a réalisés, et aussi pour ne pas dérouter le lecteur. Trop de changements graphiques nuiraient à la série ! Mais pour l’instant, ce n’est évidemment pas à l’ordre du jour.

Gil St André est d’ailleurs votre première série réaliste en tant que scénariste et dessinateur. Une réussite à tous points de vue ?

Oui, elle possède un réel potentiel de vente, que nous espérons bien faire fructifier avec mon éditeur. Tant que j’aurai des histoires intéressantes à raconter (et que je ne m’en lasserai pas), je continuerai. J’y trouve beaucoup de plaisir, même si parfois, j’en bave. J’ai connu l’échec avec Myrkos et Le Ruistre, alors maintenant, je ne vais pas me plaindre.

À quoi ces échecs sont-ils dus selon vous ?

Je pense qu’à l’heure actuelle de nouvelles séries réalistes purement historiques, sans une touche de fantastique ou d’ésotérisme, ont peu de chances de s’imposer. Après la grande vague de la collection Vécu, cette thématique est passée de mode. Peut-être le public a-t-il saturé... Et avec l’imposante production actuelle, les lecteurs ne suivent pas systématiquement un scénariste ou un dessinateur sur un nouveau projet, même s’il apprécie son boulot par ailleurs. Rares, très rares même, sont les auteurs qui vendent sur leur nom. Ça rend modeste !

Avec le cinquième tome de Bout d’homme, vous reprenez une série, tout en ajoutant des éléments au cœur de l’intrigue et en soignant le dessin, en couleurs directes. Un défi payant ?

Bout d’Homme est une série à part, car elle n’a jamais fait de score de vente exceptionnel à la nouveauté. En revanche elle s’est vendue très régulièrement pendant quatorze ans. Je crois que le public qui aime ce personnage est heureux de cette reprise. La couleur directe ? Un boulot de fou, surtout à la gouache. C’est gratifiant sur les originaux, mais à l’arrivée, sur les albums, je ne suis pas sûr que ce soit payant. Le ratio, temps passé/qualité, me paraît un peu faible.

Ce dernier tome de Bout d’homme s’installe doucement, avec cette découverte de la solitude et du Nouveau-Monde. Le tempo devrait-il s’accélérer dans la suite ?

Au contraire du dernier Gil St-André, le tempo de l’action et l’intensité de l’intrigue ne sont pas la priorité sur cette série. Pour cette reprise, je devais installer tranquillement le cadre de son challenge. Bout d’homme est une fable sur le Bien et le Mal. Dans la nature, qui vit sur le principe de la loi du plus fort, le personnage doit se positionner entre ces deux choix : l’ours et les chasseurs lui montrent à leur façon, différentes philosophies de vie. Ce sera à Bout d’homme de se positionner pour l’une ou l’autre. C’est sans doute pour cela que l’album a été récompensé par le prix de la bande dessinée chrétienne, pour ces valeurs humanistes auxquelles je suis fort attaché. La série développait le fantastique avec le fait que le héros ne grandissait pas. Je devais l’expliquer d’une façon ou l’autre, et j’ai préféré opter pour une résolution spirituelle plutôt que magique. Cela me parlait plus. Le rythme s’accélère dès son arrivée en ville et continuera sur ce tempo dans la suite, normalement une trilogie.

Pourquoi avez-vous choisi de mettre en couleurs directes ce nouveau cycle de Bout d’Homme ?

Pour le plaisir et pour essayer cette technique dans l’espoir de me renouveler. Sur les planches, comme je vous l’ai dit, le résultat est très gratifiant. Et puis 14 ans après, c’est un nouveau départ pour Bout d’homme. Je voulais que ce cycle soit très différent des quatre premiers tomes.

Pour Tramp, vous avez ajouté une couche à votre personnage en jouant des liens paternels.

C’était nouveau par rapport au premières aventures de ce personnage, essentiellement maritimes. Je désirais aussi changer un peu de registre après le polar et le périple africain. Avec Patrick (Jusseaume), il nous a semblé opportun de donner un passé au héros, Yann Calec. Il se retrouve donc sur les traces de son père qui, lui, n’était pas marin. Moi ça m’a permis de parler un peu de la guerre d’Indochine. Ce fut un récit complexe à écrire, car il fallait enchâsser divers éléments (politiques, familiaux et maritimes) tout en maintenant la fluidité de lecture. J’avais aussi une excellente documentation, très originale, qui m’a permis de sortir des sentiers battus, et a fort enrichi ce cycle.

Revenons à Gil St-André, dans ce neuvième tome, on retrouve certains traits caractéristiques de votre personnage : les locutions latines mais surtout de l’humour, même à certains moments assez noirs. Est-ce important pour dédramatiser le récit, et lui apporter une touche complémentaire ?

Jeux de regards
Crayonné préparatoire à la planche 18.

Tout comme dans la vie, où il est une soupape de sécurité, l’humour est un ingrédient essentiel du récit. Il permet effectivement de dédramatiser une situation. Il offre des respirations dans la tension d’un récit basé essentiellement sur le suspense et le drame. Et puis, il fait prendre du recul. La dérision évite de se prendre trop au sérieux. Les gens qui n’en ont pas, finissent généralement vieux grincheux, limite asocial, ou pètent carrément les plombs.

De la même manière, vous jouez sur des éléments de surprise, que vous ’résolvez’ parfois dès la page suivante.

Ce sont des petits suspenses qui permettent effectivement d’entretenir l’attention du lecteur d’une page à l’autre. J’ai été nourri aux scénarios de Charlier et de Greg en bande dessinée, et aux romans d’Alexandre Dumas et de Jules Verne, quand j’étais môme. Forcément, ça laisse des traces. Pour ce genre de récit, ça me paraît indispensable, même si on n’a plus besoin de tenir le lecteur autant en haleine qu’à l’époque des hebdomadaires BD, où on attendait la suite d’une semaine sur l’autre.

Vous jouez également du charme dans cette série réaliste. Votre nouvelle héroïne étant plus prompte à s’afficher que vos personnages précédents. Est-ce qu’un brin de sensualité est nécessaire pour un album réaliste ou cela va-t-il de pair avec l’argent et la haute finance ?

Comme l’humour, le charme et la sensualité font partie de la vie, je dirais même des bons moments de la vie. Pourquoi voulez-vous que je m’en prive dans une histoire qui se veut réaliste, qu’elle soit contemporaine ou pas d’ailleurs ?

Média & Jet-set
Crayonné préparatoire à la planche 14.

Ce premier récit est fort charpenté pour un quarante-six pages : dans la conjoncture actuelle, est-il maintenant nécessaire d’avancer vite pour ne pas lasser le lecteur ?

Totalement ! Au contraire de Bout d’homme, Gil Saint-André s’inscrit dans la veine polar ou aventure, dont les ingrédients essentiels sont le rythme et le suspense. Regardez le cinéma d’action moderne. Il faut jouer cette carte à fond.

Comment va s’articuler ce nouveau cycle de Gil St André ?

Sans doute deux tomes, peut-être trois, mais pas plus. Pour les raisons citées précédemment, je ne veux plus de cycle trop long. Avant de reprendre la suite, j’ai dû écrire le scénario du prochain Tramp, un polar en un seul tome qui tournera autour de l’achat d’un cargo à Rouen. Je viens donc de remettre à l’écriture de Gil, qui sera ma prochaine sortie. Pour Bout d’homme, il n’y aura plus que deux albums avant que la série ne soit définitivement terminée. Je ne suis donc pas pressé.

(par Charles-Louis Detournay)

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Lire nos chroniques de :
- Gil St-André : tomes 6, 7 et 8.
- Tramp : tomes 6, 7 et 9, ainsi que la seconde intégrale .
- Myrkos : tomes 2 et 3.
- Le Ruistre T2.
- Bout d’Homme T5.

Crayonnés : © Kraehn. Photo : © CL Detournay.
Aucune utilisation sans autorisation préalable.

 
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