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Jean-David Morvan : "Pour Reality Show, il faut montrer les choses en face, surtout en raison de la caméra."

Par Laurent Boileau le 26 avril 2005                      Lien  
"Final cut" clôt le premier cycle de Reality Show. A travers cette série, le prolifique scénariste Jean-David Morvan s'interroge sur la télé-realité et le cynisme des êtres humains.

Dans ce troisième tome, vous éclairez le lecteur sur le personnage de « Triangle Rouge »...

Le lecteur sait sûrement très bien que ce personnage n’est pas tout à fait comme les autres et que si on le cache, c’est qu’on a quelque chose à cacher... En même temps, je pense que le lecteur s’en accommode parce que c’est là aussi un lieu commun de la bande dessinée ou de toute fiction de cacher finalement ce que l’on veux montrer. Ça donne au lecteur l’envie d’en savoir plus. Dans les deux premiers tomes, nous avons essayé de le traiter comme une ombre parce que (on le découvre dans le troisième tome) il est entre deux modes, il est entre l’humain et le robot. C’est donc un personnage compliqué qui est un reflet ou une ombre des humains et des robots à la fois.

Jean-David Morvan : "Pour Reality Show, il faut montrer les choses en face, surtout en raison de la caméra."

Quelle est la place des robots dans Reality Show ?

C’est vraiment un des concepts de ce premier cycle de Reality Show. En fait, d’habitude dans la SF, les robots ressemblent aux humains parce qu’on pense que c’est plus pratique et finalement, ils finissent par s’identifier et par devenir des humains. Dans Reality Show, j’ai essayé de prendre le contre-pied. Je me suis dis : « comme les scientifique de demain ont dû lire les romans de SF d’hier, ils ont dû se rendre compte que s’ils fabriquaient des robots capables de s’identifier aux humains, ça allait poser des problèmes. » Donc, ils ont décidé qu’aucun robot n’aurait le droit de ressembler à un humain afin d’éviter tout souci et donc à partir de là on essaye de traiter le problème différemment ; c’est-à-dire comment un robot qui n’a pas accès finalement à l’émotion, ce qui pour moi caractérise l’humain ; l’intelligence caractérise le robot et l’humain, mais l’émotion caractérise l’humain. Donc comment un robot qui n’a pas accès à l’intelligence va essayer de grimper à ce niveau là et finalement se transformer tout doucement en humain même si il n’en a pas le corps ? Cette démarche, c’est vraiment partir d’une voie de la science fiction classique, la faire dévier finalement, la prendre à contre sens pour arriver finalement au même endroit mais par des chemins dérivés.

Votre description du monde est sans complaisance...

Reality show, c’est une BD violente, c’est une BD assez gore. Ça rejoint les problèmes d’image que se posent les chaînes de télé : est-ce que on doit montrer un meurtre en direct ? Est-ce qu’on ne doit pas le montrer ? Faut-il dire que c’est mal de le montrer, mais le montrer quand même ? Dans Reality show, la question se pose telle qu’elle est, c’est-à-dire qu’il y a un meurtre, et on le montre. S’il n’y en a pas, on ne le montre pas. En tout cas, pour moi, une scène violente doit être montrée de manière violente parce que c’est le principe même d’une scène violente, sinon on passe à côté du concept. Mais ça peut dépendre des séries. Pour Reality show, je pense qu’il faut montrer les choses en face, surtout face à la caméra.

Par pur cynisme ?

Les chaînes de TV qui font de la télé-réalité sont cyniques. Gulic à la tête de Mediacop l’est aussi ou même Oshii, l’héroïne, même si c’est involontairement. Elle profite d’un système et elle a du mal à le vivre. On peut la voir comme quelqu’un de normal qui a des problèmes, et la plaindre. On peut aussi la voir comme quelqu’un de cynique qui veut les avantages et pas les inconvénients. De toute façon, j’ai l’impression qu’on vit dans un monde de cynisme. Moi j’aimerais bien qu’on rentre dans un monde de naïveté. Je trouve que c’est possible mais je sais pas comment faire, je suis pas formaté pour ça...

Les références graphiques à Barcelone continuent dans ce troisième tome ?

Nous avons fait attention, dans l’album en lui-même, de ne jamais dire qu’on est à Barcelone. Il n’y a pas le mot Barcelone marqué. On voit la Sagrada Familia dans le tome 2, et dans le tome 3, la maison de Gaudi. Mais on le dit simplement dans le making off du premier tome mais pas dans le récit lui-même et je trouve que ça crédibilise l’endroit où ça se passe.

Nous voulions donner l’impression aux lecteurs que cette ville était habitée par des gens et par des robots. C’est très important pour Reality show qui se veut être une BD placée dans un futur relativement proche. Et d’autre part, Francis Porcel, le dessinateur de la série, a fait ses études à Barcelone. Il connaît bien la ville, il peut aller faire des photos facilement et rajouter des autoroutes, toutes sortes de choses pour faire de cette ville une ville de SF. Je pense que le dessin réaliste de Francis colle parfaitement à Reality Show. En plus, c’est vraiment un très bon narrateur de bande dessinée. Il sait prendre des options narratives évidentes qui font tout de suite ressentir quelque chose aux lecteurs. Je trouve qu’il réussit à faire passer l’émotion dans ses cadrages, et tout doucement il commence à rendre ses personnages beaucoup plus émotifs au niveau des visages.

Parmi vos nombreuses séries, quelle place a "Reality show" dans votre production ?

C’est vraiment une série qui m’importe parce que, assez bizarrement, c’est facile pour moi d’écrire. C’est-à-dire que je me sens naturel dans Reality show, cela se fait sans torture, je ne vais pas contre ma nature. Des fois, je me force à aller contre ma nature dans certains albums parce que je sens que c’est important de faire cet exercice. Pour Reality show, j’ai mon concept, je tiens mes personnages. En ce moment, je suis en train de travailler sur le tome 4 qui à mon avis va se passer à Grenade où on aura une inversion du système politique. C’est une idée qui m’a été donnée par José-Luis Munura. Je la trouve intéressante et je suis en train de travailler dessus.

Je pense, en tout cas j’espère, que Reality show est subtil par rapport à ce qui se passe dans la tête des personnages. Mes personnages expliquent très peu souvent ce qu’ils sont en train de penser. Je donne au lecteur le soin d’imaginer ce qu’ils pensent quand ils agissent de telle ou telle manière. J’essaye que mes lecteurs soient en empathie avec mes personnages pour justement pas faire des tartines de dialogues, en expliquant leurs pensées.

Pour moi, il est important, dans une BD, de raconter des choses très complexes d’une manière simple pour le lecteur. J’essaye toujours de simplifier, non pas la situation, mais la manière de la montrer. C’est-à-dire que ça doit couler très naturellement. Je pense qu’on doit répondre à la question du lecteur, juste avant qu’il se la pose.

Vous avez scénarisé une quinzaine d’albums l’année dernière, cela ne vous incite pas à trop simplifier vos histoires ?

Il y a effectivement le fait de se dire que je fais beaucoup de séries de bande dessinée et qu’à la fin, je ne m’intéresse pas vraiment à chacune d’entre elles, que je fais ça à la va-vite etc. Moi je pense que ce n’est pas vrai, évidemment, puisque je suis le premier concerné !
Additionner les séries les unes aux autres, il faut vraiment avoir envie de le faire... Je gagne suffisamment bien ma vie aujourd’hui, pour pouvoir me contenter de faire Sillage, Spirou, Nävis et l’univers dérivé de Sillage.

Donc toutes les séries en plus, elles sont vraiment basées sur une envie très forte de les faire. Quand je rentre dans une série, j’ai quelque chose de très personnel à dire, peut-être pas quelque chose que le lecteur pourra voir, mais moi je me fixe quelque chose d’émotionnel. Alors des fois, ça va vite à écrire, des fois ça va moins vite. Le temps passé sur une bande dessinée n’a rien à voir avec la qualité de l’œuvre et la manière dont les gens vont la recevoir.

Quelles sont les sorties prévues prochainement ?

Chez Soleil, le tome 3 de Zorn et Dirna et chez Delcourt, le tome 3 de la Mandiguerre. Puis en juin, chez Glénat, une nouvelle série de science-fiction intitulée « T.O.O. The Only One ».

(par Laurent Boileau)

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