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Jean-François Bergeron & Thierry Gloris : « Saint-Germain est issu d’une amitié franco-québécoise. »

Par Marianne St-Jacques le 11 juillet 2009                      Lien  
« Alchimie, aventure et marivaudage... » C'est ce que nous promettaient Gloris et Bergeron avec {Le Comte des Lumières}, premier tome de la nouvelle série {Saint-Germain} (Glénat). Avec un deuxième album en chantier et plusieurs idées en tête, les auteurs laissent entendre qu'ils n'ont pas fini de nous surprendre...

En quelques mots, comment décririez-vous Saint-Germain ?

JFB : Saint-Germain est un récit d’aventure mélangeant allègrement les genres ; une alchimie entre « cape et épée », ésotérisme et science-fiction et ce, sans trop s’éloigner du cadre historique du XVIIIe siècle. Un tel mariage de styles se trouve lié inévitablement par de l’humour et par beaucoup de légèreté dans le ton du récit. Quant au comte de Saint-Germain en lui-même, nous avons pris des libertés sur le personnage historique en lui donnant le rôle d’une sorte de James Bond du Siècle des Lumières. C’est un personnage aux origines nébuleuses et aux motivations mystérieuses. Ceci étant dit, il est un archétype du héros positif et pragmatique. Jamais pris à court d’humour, il préfère rire de la mort plutôt que de la craindre.

TG : Maximilien Dubet de Mondou, dit « Le comte de Saint Germain » est un personnage ambigu, qui travaille en tant qu’agent secret pour Louis XV mais poursuit simultanément ses propres objectifs. Nous verrons au fur et à mesure des épisodes qu’un tel tempérament n’est pas inné mais s’est construit sur de nombreux drames personnels. Travailler sur un personnage de cape et d’épée n’était pas chose aisée, car il en existe pléthore. J’ai donc voulu lui donner un ton particulier qui soit assez proche de celui des films de Hunebelle, tout en y rajoutant une gouaille iconoclaste à la limite du paillard. J’aime bien cette vision de l’aristocratie qui se roulait dans la débauche et le crime durant sa jeunesse et finissait volontairement cloîtrée pour expier ses péchés à la fin de sa vie. Il y a une dualité de l’existence et une philosophie de vie sous-tendue qui m’interpelle en tant que scénariste.

Jean-François Bergeron & Thierry Gloris : « Saint-Germain est issu d'une amitié franco-québécoise. »
© Bergeron/Gloris/Glénat

Comment votre collaboration est-elle née ?

JFB : Thierry a découvert mon travail de dessinateur au hasard du tournant d’une page Internet en 2003 et voyant que je désirais devenir dessinateur de bande dessinée et qu’il cherchait lui aussi à percer le métier, il m’a proposé que nous collaborions. Notre échange professionnel s’est vite mué en amitié malgré les distances et plusieurs tentatives de projets plus tard, nous avons pu signer Saint-Germain chez Glénat. Donc, on peut dire que Saint-Germain est issu d’une amitié franco-québécoise et d’une volonté de travailler ensemble, Thierry et moi.

TG : Là, il n’y a pas eu de choix ! Avec Jean-François, cela fait près de cinq ans que nous voulons travailler tout de go. Nous avions monté de nombreux projets ensemble avant Saint-Germain. La vie a fait que nous avons commencé nos carrières professionnelles chacun de notre côté sans jamais perdre de vue que l’on ferait un jour une BD commune.Outre le fait que j’admire son travail, son sens du rythme, son graphisme qui progresse constamment, notre collaboration est avant tout une histoire d’amitié… et je pense que notre jubilation à bosser ensemble se ressent sur les planches !

J.F. Bergeron et Thierry Gloris au Festival de la bande dessinée francophone du Québec, en avril 2009.

La création de cet album s’est échelonnée sur plusieurs années. Entre temps, vous avez chacun œuvré sur d’autres séries (Tokyo Ghost et Le crépuscule des dieux pour Jean-François, Le codex Angélique, Souvenirs d’un Elficologue et Waterloo 1911 pour Thierry). Comment cela a-t-il influencé votre travail ?

JFB : En fait, l’idée d’utiliser le comte de Saint-Germain comme personnage romanesque était dans mes cartons depuis la fin des années 1990. J’avais tout mis ça de côté puis, aux alentours de 2006, je me suis mis en tête que ce pourrait être vraiment sympa de concrétiser ce rêve de jeunesse. C’est pourquoi j’ai demandé à Thierry si l’aventure ne le tenterait pas. Il m’a alors répondu oui, mais à condition qu’il mette tout à plat pour remonter un récit sur les bases que je lui proposais. Entre-temps nous avons signé chacun de notre côté chez des éditeurs différents d’autres projets en court. Ce qui nous a permis de faire mûrir tranquillement le dossier en se relançant les idées et explorant les avenues à prendre pour cette série. Finalement, un dossier a été préparé au début 2007 et le projet a été signé vers la fin de la même année. Une fois signé, j’ai pris un an pour dessiner et mettre en couleur les planches du tome 1. Cela dit, en effet, j’ai travaillé sur les séries Tokyo Ghost et Le crépuscule des dieux avant d’entreprendre Saint-Germain (et même pendant, dans certains cas). Ces deux séries publiées chez Soleil m’ont permis de me faire les dents sur le métier et de me rassurer vis-à-vis ma capacité de livrer dans des délais imposés des planches de bonne qualité. Mais chaque projet mérite une approche graphique qui lui convient. Il est question de bien servir le récit par rapport au ton de l’histoire. C’est pourquoi il y a si peu de parenté graphique entre un Tokyo Ghost et un Saint-Germain par exemple. Ce fut surtout la pratique quotidienne du dessin qui me fut bénéfique, ce qui hélas, n’était pas le cas dans mon ancienne vie de concepteur de jeux vidéo…

TG : Les séries que j’ai écrites précédemment m’ont permis d’apprendre les bases de mon métier. Je suis complètement autodidacte du point de vue de la narration, même si j’ai de bonnes bases universitaires concernant l’Histoire avec un grand H. Ceci dit, j’écris comme je vis. Mes thématiques sont instinctives. Mon approche de la BD est donc « polymorphe » et j’essaie de rendre mon médium le plus vivant possible. C’est pour cela que je ne me ferme aucune porte, le tout est que la série ait sa propre identité même si elle est métissée de plusieurs genres. L’important est de bien définir le « cahier des charges » au début, de savoir ce que l’on veut faire et où l’on veut aller. Pour Saint-Germain, nous sommes clairement dans du grand spectacle « à l’américaine » mais qui veut être porté par de « vrais » personnages avec une psychologie complexe.

Vous avez affirmé avoir eu de la difficulté à vous trouver l’appui d’un éditeur pour ce projet. Comment y êtes-vous finalement parvenus ?

JFB : La vraie difficulté s’est retrouvée au début de notre collaboration, bien avant Saint-Germain. Il était alors très difficile de trouver un éditeur qui nous ferait confiance, car ni Thierry ni moi n’avions de publication professionnelle en main. À partir du moment où nous avons eu le statut d’auteur, les choses se sont déroulées de façon plutôt fluide. Des portes se sont ouvertes et des gens intéressés à Saint-Germain se sont manifestés. Mais peut-être aussi avions-nous tout simplement un projet mature. Une chose est certaine : ce n’est jamais gagné d’avance, même après une signature chez un éditeur.

TG : Jean-François est, en fait, un de mes tous premiers collaborateurs, bien avant le Codex Angélique qui est ma première parution professionnelle. Nous avons beaucoup œuvré ensemble avant de pouvoir décrocher la timbale magique de la première signature. Donc, ce n’est pas vraiment Saint-Germain qui a eu des difficultés à s’imposer, mais nous en tant que « jeunes auteurs » ! Pour Saint-Germain en tant que tel, lors de la soumission du dossier, plusieurs éditeurs étaient intéressés et c’est Glénat qui a été, à l’époque, le plus enthousiaste.

Qui est le véritable comte de Saint-Germain ? Comment vous est venue l’idée de lui consacrer une série ? Comment vous en êtes-vous inspiré, quelles libertés historiques avez-vous prises ?

JFB : Le véritable comte de Saint-Germain était un très grand escroc sans nul doute, mais aussi un produit de son époque. Il comblait la curiosité des cours d’Europe et devait désennuyer les princes de ce monde. On dit qu’il a peut-être été un agent secret à la solde de Louis XV. Personnellement, je l’ai découvert par pur hasard en feuilletant une encyclopédie ! Et comme à la même époque j’avais vu le film Les aventures baron de Munchausen de Terry Gilliam, j’y ai perçu des similitudes et j’ai été totalement attiré. J’avais alors préparé un récit sur ce personnage et réalisé quelques pages, mais comme j’étais loin d’être professionnellement mûr à cette époque, j’ai vite remisé le projet dans mes tiroirs. Près de vingt ans plus tard, j’ai proposé à Thierry de le reprendre en lui apportant toute la richesse de son talent de scénariste !

TG : Je ne connaissais quasiment rien de Saint-Germain hormis la vision de Jean-François qu’il m’avait fait lire dans son synopsis original et celle d’Umberto Eco dans le Pendule de Foucault. J’ai donc entrepris, dans un premier temps, une sévère remise à niveau historique personnelle afin de pouvoir imprégner la psychologie de mes personnages de « l’air du temps ». J’ai également visionné quelques films de cape et d’épée notamment avec Jean Marais (la plupart réalisés par André Hunebelle) … et j’ai cherché à écrire une série qui reprenne le côté épique de ces vieux films tout en renouvelant complètement l’approche thématique… D’où l’irruption du fantastique !

© Bergeron/Gloris/Glénat

Pourquoi avoir choisi d’ajouter une dimension cosmique (les Céruléens) à une intrigue déjà serrée (une histoire d’alchimie et de cambriolage qui se juxtapose à une affaire d’espionnage) ?

JFB : Tout l’intérêt de Saint-Germain réside dans le faux-semblant et la comédie. Ce n’est pas pour rien que notre héros arbore un masque et une autre identité en introduction. Les aventures de Saint-Germain seront développées en diptyques, mais avec la « grande histoire » qui chapeautera ces récits, les lecteurs ne seront pas au bout de leurs surprises. Le bal masqué ne vient que de débuter.

TG : Je ne me voyais pas écrire une biographie, même romancée de Saint-Germain, il me fallait plus de territoire à explorer. Passer en BD historique sur le XVIIIe après Bourgeon ou Pellerin est quasi impossible tellement ils ont placé la barre haut. Nous avons donc fait le choix du divertissement, du grand spectacle. Nous sommes dans l’environnement historique « proche de la réalité », mais où la Lune est peut-être bien habitée par d’étranges personnages qui s’amusent avec la destinée des Hommes. En cela, nous ne sommes guère éloignés de la vision des anciens grecs qui voyaient leurs dieux siéger tranquillement sur le Mont Olympe et parfois balancer une épreuve ou deux à l’Humanité.

Thierry, avec Saint-Germain, tout comme avec vos séries précédentes (Codex Angélique, Waterloo 1911, Souvenirs d’un Elficologue), vous affichez un certain parti pris, à la fois pour l’Histoire et pour l’ésotérisme.

TG : L’Histoire a toujours été ma grande passion. J’ai donc fait des études universitaires en ce sens. Il s’avère donc que pour mon métier de scénariste les univers historiques sont ceux dans lesquels je me sens le plus à l’aise. Le fantastique et l’ésotérisme quant à eux me permettent d’amener des situations improbables propres à révéler la nature humaine dans ce qu’elle a de plus sensible. Je vois dans l’extrasensoriel un moyen de mettre à vif mes personnages et ainsi de révéler qui ils sont au plus profond d’eux mêmes.

Jean-François, vous avez signé vos deux séries précédentes (Tokyo Ghost, Le crépuscule de dieux) sous le pseudonyme Djief. Ce changement de nom reflète-t-il une certaine transformation artistique ?

JFB : Disons que Djief va rester chez Soleil et que j’ai signé avec Saint-Germain une série plus personnelle. De plus, je sais pertinemment que les amateurs du style Crépuscule des dieux ne trouveront pas tous satisfaction avec ce que je fais sous Bergeron et vice versa. Pour le moment, c’est une sorte de schizophrénie artistique contrôlée. J’espère qu’elle ne me coûtera pas trop cher en consultations psychiatriques plus tard…

François Houle du Soleil de Québec a laissé entendre, dans un article, que l’intrigue de Saint-Germain pourrait éventuellement se poursuivre en Nouvelle-France. Peut-on avoir plus de détails ?

JFB : C’est une possibilité, car il est question pour Thierry et moi de faire bouger Saint-Germain. Mais ce voyage en Amérique ne se concrétisera pas avant bien des albums si cela se trouve.

TG : Saint-Germain est conçu dès l’origine sous forme d’une suite de diptyques auto-conclusifs pouvant avoir des ramifications les uns par rapport aux autres. J’aimerais beaucoup en situer un au Québec, cela me permettra de faire de chouettes repérages en Nouvelle-France !

À quoi peut-on s’attendre pour le prochain tome ? Quand aurons-nous la chance de le lire ?

JFB : Le tome 2 sortira en janvier prochain. Il possèdera les mêmes ingrédients que le tome 1, et clôturera la mission de notre héros, soit trouver un remède au mystérieux mal du maréchal de Saxe. Il sera aussi question d’un séjour dans la Sérénissime… Les canaux de Venise et sa lagune réserveront à nos héros autre chose que de paisibles escapades en gondole sur des airs de mandoline.

TG : Nous avons essayé de reproduire la même alchimie que sur le tome 1 : Du panache et de la folie !

© Bergeron/Gloris/Glénat

En terminant, quels sont vos projets en cours ?

JFB : De mon côté, je continue, en parallèle de Saint-Germain, ma saga chez Soleil Celtic, Le crépuscule des dieux, qui comptera 6 tomes au total (j’en suis à travailler sur le quatrième). Il est aussi question de quelques projets en préparation qu’il serait prématuré de révéler ici. Mais pour garder mes lecteurs au courant, je poste régulièrement sur mon blog des images en production.

TG : En septembre sortiront deux nouveaux albums sur lesquels je suis à la plume :

Missi Dominici, aux éditions Vents d’ouest avec B. Delac. Il s’agira d’une épopée médiévale-fantastique où une nouvelle fois, je mélangerai histoire et fantastique sans aucune vergogne !

Malgré nous, aux éditions Quadrants avec M. Terray. Il s’agira d’une fresque romancée sur le drame des Malgré-nous alsaciens durant la Seconde Guerre mondiale. Ici, il n’y aura pas de fantastique, la réalité historique étant une trame dramaturgique suffisamment forte.

(par Marianne St-Jacques)

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