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Jean Harambat : "Tout le monde a quelque chose à dire sur Ulysse."

Par Yohan Radomski le 25 octobre 2014                      Lien  
Jean Harambat se penche sur l'aventure la plus émouvante d'Ulysse, parce que profondément humaine, celle de son retour à Ithaque. Avec {Ulysse, les chants du retour} (Actes Sud), collant au plus près du rythme de l'{Odyssée}, il mêle à son récit le témoignage de spécialistes et d'amoureux de cette œuvre, et nous offre un album dense et éclairant.

D’où vient l’idée de ce livre ?

Une passion pour ce récit depuis l’enfance, la rencontre de la pensée de Jean-Pierre Vernant et de Jacqueline de Romilly quand j’étais étudiant, et l’envie de passer du temps, -longtemps- en cette si bonne compagnie.

Jean Harambat : "Tout le monde a quelque chose à dire sur Ulysse."
Ithaque dans la brume
(c) Jean Harambat & Actes Sud BD

Vous entrecoupez le récit du retour d’Ulysse à Ithaque de commentaires sur le récit par divers spécialistes. C’est une structure originale. Pourquoi ce choix ?

Je voulais au tout début faire une adaptation la plus fidèle possible aux derniers chants de l’Odyssée, quelque chose de lent et pasolinien. Mais je n’étais pas sûr d’aller dans une voie originale, ni d’avoir les qualités graphiques nécessaires.

Il m’a semblé que ce que je pouvais apporter c’était au contraire une composition qui allait éclairer le texte d’Homère, en dévoiler les mystères. J’avais de bons alliés mais il fallait rendre ça vivant et plaisant.

Vous convoquez donc François Hartog, Jean-Paul Kauffmann, et bien d’autres... A-t-il été facile de les convaincre de participer à cet ouvrage ? Quels ont été leurs apports ?

Tout le monde a quelque chose à dire sur Ulysse.

François Hartog m’a donné des documents mais le rencontrer, l’écouter parler avec humour de l’épopée, avec affection de Vernant, est en soi une récompense. Julien Blanc, le petit-fils de Vernant que je présente enfant et adulte dans le livre (il est aujourd’hui historien) me racontait des choses plus personnelles et m’autorisait à les retranscrire.

Jean-Paul Kauffmann m’a aussi donné quelques recettes dans la façon d’aborder ce livre qui m’ont été très profitables.

Jean-Pierre Vernant commente l’épisode du Cyclope
(c) Jean Harambat & Actes Sud BD

Pourquoi ne pas commenter vous-même le récit ?

Je le fais à ma manière : citer, c’est commenter ; faire des analogies, c’est commenter.

Toutefois la parole de personnes qui ont travaillé leur vie durant sur ce thème me paraît plus intéressante que la mienne. Là où j’interviens, c’est plutôt dans la répétition du motif. C’est ce que fait Ulysse : se faire autre en restant le même.

Vous êtes allé à Ithaque pour préparer ce livre ?

Oui, j’ai bénéficié d’une bourse de l’Institut français qui m’a permis d’y passer plusieurs mois. Il est facile d’être heureux en Grèce.

Je voulais travailler l’aquarelle, me plonger dans le paysage mais ce sont en réalité des habitants de l’île qui m’ont été utiles, plus que la peinture d’après nature. Je les fais parler dans le livre : Othonas le bibliothécaire, Bruno l’architecte, Anastasia, Andronikos...

Ruines du palais mycénien à Ithaque
(c) Jean Harambat

Quelles sont les sources graphiques de ce livre ?

Il y a bien sûr les vases grecs eux-mêmes, dont j’ai fait parfois la copie, l’imagerie de l’époque mycénienne, différente de celle de la Grèce classique.

Hugo Pratt avait fait pour Corriere dei Piccoli une version de l’Odyssée assez sèche et belle, qui me plaît beaucoup. Il y aussi le travail merveilleux d’illustrateurs des années 1950, comme Sasek ou le couple Provensen qui fit une version illustrée de L’Iliade et de L’Odyssée.

Tout le monde essaie de s’approprier l’esthétique des vases grecs, mais personne n’y est parvenu de plus belle manière que Martin et Alice Provensen.

Quant à moi, j’ai cuisiné toutes ces influences comme j’ai pu, à la plume et au pinceau, en intégrant la force du trait propre à la BD...

Ulysse et Pénélope ne trouvent pas le sommeil
(c) Jean Harambat & Actes Sud BD

Vous aviez adapté et terminé un récit inachevé de Stevenson, Hermiston, le juge pendeur. Le travail d’adaptation a-t-il été différent ici ?

Pour Stevenson, je m’étais plongé dans un type d’illustration plus « anglais », à la fois ancien avec Rowlandson et moderne avec Quentin Blake. Je voulais privilégier le récit en gardant sa couleur écossaise, aventureuse...

Pour Ulysse, il y a ce va-et-vient entre récit et commentaires qui offre, je l’espère, un autre plaisir au lecteur.

Je songe qu’il y a dans ces deux adaptations un certain goût de la lenteur et une tentative pour lier BD et poésie (les poèmes de Stevenson traduits par Patrick Hersant dans Hermiston et celui d’Homère dans Ulysse).

Il y a chez vous une exploration de thèmes qui vous ont sans doute marqué dans l’enfance et l’adolescence : Homère, Stevenson, les histoires de bandits, et puis le monde paysan, les Landes, votre région, les agriculteurs, le rugby… Vous êtes nostalgique ?

(c) Jean Harambat

Quand il s’agit de bonnes choses, qui ne l’est pas ?

Au moment où Ulysse réalise l’exploit du tir à l’arc, accédant ainsi à sa pleine identité, il y a un petit garçon qui apparaît dans le récit, un petit rugbyman émerveillé devant une immense bibliothèque où il découvre l’Odyssée, et c’est vous, évidemment. C’est le seul moment dans le livre où sont écrit un « je » et un « moi » qui viennent clairement de vous, l’auteur. C’est conscient ? Vous vous êtes trouvé en réalisant cette BD ?

Jean-Paul Kauffmann m’avait encouragé à faire une enquête, un jeu de piste, avec un narrateur plus présent. J’ai essayé mais j’ai finalement abandonné cette voie.

L’universalité de l’Odyssée n’a pas besoin du je. J’ai gardé cette vision de mon enfance dans la bibliothèque car j’imagine justement que tout le monde s’y retrouve : le livre dans lequel est déposé un trésor.

Qu’est-ce qui vous a guidé dans le choix des couleurs ?

(c) Jean Harambat

Je dirais « qui m’a guidé ? » : Isabelle Merlet et Jean-Jacques Rouger, tous deux illustrateurs et coloristes de grand talent, m’ont aidé à trouver des solutions techniques et esthétiques pour le livre.

Puis j’ai repris une palette « mycénienne », des verts antiques, des rouges de fresques, des bleus, des bruns. J’ai fait rythmer tout ça avec les gris, associé des couleurs aux personnages. Elle bougent comme eux...

Un épisode emblématique du récit, c’est quand Ulysse réalise l’exploit de tirer une flèche dans un couloir formé de douze haches liées, épreuve que Pénélope assigne à ses prétendants. J’ai contacté Gérard Depreux à ce sujet, un maître d’armes spécialisé en tir à l’arc traditionnel. Voici ce qu’il en dit :

« Quant à l’alignement des haches, je pense que le couloir qu’elles forment, oblige à une trajectoire parfaite (ni dauphin, ni anguille) pour le franchir... S’agissant de vécu intérieur et de représentation de son être, le tir à l’arc est une véritable saloperie faite à l’ego. En effet, dans la pratique classique et pis encore dans la "Voie", l’individu est totalement confronté à lui-même, la cible est "neutre", elle s’en fout des états d’âme ! L’archer est donc dans l’absolue vérité de ce qu’il est. »

C’est très intéressant ... C’est amusant parce que j’ai offert il y a peu "Le Zen dans l’arc chevaleresque du tir à l’arc", de Herrigel. C’est une livre tout à fait fascinant.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Je travaille sur un projet bien différent et plus léger : un comédie d’espionnage à Londres en 1944, liée au cinéma et impliquant les comédiens David Niven et Peter Ustinov...

(par Yohan Radomski)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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