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Jean-Luc Fromental (Denoël Graphic) : "La bande dessinée est en train de "poldériser" le roman."

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 14 novembre 2014                      Lien  
Jean-Luc Fromental a tour à tour été auteur, scénariste, pour la BD mais aussi et surtout pour le cinéma et la télévision. Mais il est aussi un grand éditeur : ancien rédacteur en chef de "Métal Hurlant Aventure", il a publié les premiers Graphic Novels en France, dont "Un Contrat avec Dieu" de Will Eisner. Aujourd'hui, il est l'éditeur de Denoël Graphic. Rencontre.
Jean-Luc Fromental (Denoël Graphic) : "La bande dessinée est en train de "poldériser" le roman."
Sukkwan Island de David Vann & Ugo Bienvenu
Ed. Denoël Graphic

Nous le connaissons comme scénariste de BD (Les Aventures d’Hergé, avec Stanislas & J-L. Bocquet  ; En pleine guerre froide avec J-L. Floc’h ; Mémoires d’un 38 avec J-L. Bocquet & Franz ; Le Rendez-vous d’Angkor avec Cl. Renard., La Main Coupée avec Yves Chaland (chez Nathan, son dernier livre) ou Le Poulet de Broadway avec Miles Hyman ; bientôt Le Coup de Prague avec le même...), comme auteur à succès de livres pour enfants 365 Pingouins avec Joëlle Jolivet...), comme scénariste de cinéma et de TV (Bleu, l’Enfant de la Terre avec Druillet  ; Starwatcher. avec Moebius ; Les Renés avec Hervé di Rosa ; Loulou et autres loups avec Grégoire Solotareff...) qui a reçu en 2014 le César du meilleur film d’animation pour le film de Grégoire Solotareff, Loulou, l’incroyable secret.

Il se considère comme un éditeur "à l’ancienne", capable d’aider et d’éclairer l’auteur dans sa démarche. Ou plutôt comme un "remorqueur de livres" y compris pour Crumb dont il est l’éditeur. "Il n’y a rien de plus agréable que de travailler avec un auteur de la stature de Crumb, nous dit-il, c’est ce qu’il y a de plus simple au monde. C’est le type le plus professionnel que j’ai jamais rencontré ! S’il te dit oui, c’est oui. S’il te dit non, tu dégages !

Jean-Luc Fromental à Paris en septembre 2014
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
Gemma Bovary de Posy Simmonds
Ed. Denoël Graphic

Comment est né Denoël Graphic ?

C’était une proposition d’Olivier Rubinstein, directeur de Denoël que j’avais connu aux Mille et Une Nuits où je préfaçais et traduisais des petits livres à 10 francs (du Stevenson ou du Kipling), seule manière pour moi à l’époque, complètement plongé dans l’audiovisuel, de garder un contact avec l’édition. *

Cette proposition suivait la publication de Gemma Bovery de Posy Simmonds, un ouvrage qui avait été rapporté de Londres par Héloïse d’Ormesson qui était à l’époque aux éditions Denoël, et qui m’avait été montré parce que personne ne s’y connaissait en bande dessinée dans la maison. J’avais dit tout de suite : "On le prend". Je l’avais traduit avec ma compagne, devenue ma femme entretemps, Lily Sztajn. Le bouquin avait vachement bien marché, cela avait surpris tout le monde, à la fois en termes de vente et en termes de presse. Cela a fait réfléchir Rubinstein qui m’a demandé, dans le bureau d’Antoine Gallimard, si cela m’intéressait de reprendre Futuropolis. Je me suis défilé parce que Robial était un ami et que je ne souhaitais pas « reprendre les pantoufles d’un ami », ce sont les termes que j’avais employés.

En revanche, je voulais créer chez Denoël un label de bande dessinée et de Graphic Novels. C’était en 2003, avec un premier livre de David Rees, Putain, c’est la guerre  ! qui est paru, coup de bol, le jour de l’entrée en guerre de l’Amérique contre l’Irak en mars 2003.

C’est toi ma maman ? d’Alison Bechdel
Ed. Denoël Graphic

Quels sont les moments forts de cette première décennie de Denoël Graphic ?

Le premier moment fort est arrivé lorsqu’on a commencé à me réduire la voilure parce que Denoël commençait à donner des signes de faiblesse. J’étais parti pour faire dix livres par an mais, comme j’étais le dernier arrivé, j’ai été contraint de redescendre à quatre ou cinq livres par an.

J’avais un choix à faire : soit un choix de rébellion, de m’énerver contre tout le monde et n’arriver à rien, soit d’accepter et d’espérer que les choses aillent dans le bon sens, ce que j’ai fait. Finalement, l’Histoire m’a donné raison. Le travail patient que j’avais fait jusque là, un peu souterrain : Une Tragédie américaine de Kim Deitch, de même que le Playback de Chandler, Ayroles & Ted Benoît (2004), ou encore Métal Hurlant, la machine à rêver de Marmonnier & Poussin (2005), avaient été très remarqués, mais aucun n’avait fait un "carton". C’est le Tamara Drewe de Posy Simmonds (2008), le premier de ses livres à paraître sous le label de Denoël Graphic, qui a commencé à rencontrer un public considérable qui nous a lancés véritablement.

La Genèse de Crumb
Ed. Denoël Graphic

Vous avez une grande équipe ?

C’est une équipe de free lance qui dépend de Denoël (une nouvelle équipe est en train de se constituer autour de Béatrice Duval depuis deux ans et demi) avec Gérard Lo Monaco au niveau graphique, qui est là depuis le début. Il a donné le "la" esthétique de la collection. C’est "l’anti-Etienne Robial" : Gérard est un "forain" qui s’amuse de l’expérience et de la nouveauté, ce qui me convenait plutôt bien ; et quelqu’un qui est un personnage-clé pour cette collection : Sylvie Chabroux qui est là depuis le début et qui m’a accompagné dans les moment obscurs comme dans les moments de triomphe. Elle m’a remonté le moral quand cela n’allait pas, m’a incité à me mettre en colère quand on n’avait pas sélectionné La Genèse de Robert Crumb dans les livres de l’année à Angoulême, toujours partante pour des opérations de folie.

Vous avez vécu dix ans assez durs, marqués par ce d’aucuns appellent une "surproduction"...

Je ne peux pas universaliser l’expérience de Denoël car nous sommes quand même très à part. J’ai toujours eu conscience que l’on représentait une sorte de "prototype" de quelque chose, et il semble que l’Histoire soit en train de confirmer cela, qui est l’intrusion de la bande dessinée comme une forme de genre littéraire dans des maisons d’édition généralistes. D’une certaine manière, nous n’avons jamais eu les "muscles" des majors, ni la préoccupation de nous inscrire comme eux dans un moment, une sociologie, une typologie, un événement, etc.

Moi, Assassin de Antonio Altaribba et Keko
Ed. Denoël Graphic

Ce qui se passe aujourd’hui à la fois dans le domaine de la bande dessinée, où les majors sont soumises à des questionnements qui sont un peu du même ordre, et dans l’édition en général où l’on travaille de plus en plus, comme nous le faisons depuis le début, « titre à titre, » c’est à dire de moins en moins sur des flux et de plus en plus sur des objets individuels, comme dans le cinéma en réalité, la forme d’édition que je pratique, y compris avec les free lance qui sont autour de moi, une forme "volante" qui me paraît plus adéquate avec l’époque.

Quels sont les titres qui portent le catalogue Denoël en cette fin d’année ?

On a beaucoup fait de livres au contenu, je dirais, "bio-historique" comme C’est toi ma Maman d’Alison Bechdel qui s’intéressait au sujet de l’homosexualité, avec Les Fils d’Octobre de NikoLaï Mazlov sur les particules élémentaires en Union soviétique avant la chute du Mur, avec L’Art de voler de Kim & Antonio Altaribba, où l’on s’intéressait à la Guerre d’Espagne,... Là, j’ai le sentiment que, dans la mesure où la bande dessinée est en train de "poldériser" le roman, c’est à dire de prendre petit à petit sur son territoire, il fallait légèrement infléchir les choses. J’ai donc remis en route un mécanisme qui porte sur plusieurs livres de fiction.

Une Tragédie américaine de Kim Deitch
Ed. Denoël Graphic

Les trois livres que nous publions d’ici janvier, si l’on exclut la réédition de Gemma Bovery qui est opportuniste puisqu’elle se lie à la sortie du film, sont trois purs romans. Deux sont adaptés : Suite française de Nemirovsky, adapté par Emmanuel Moynot (à paraître en janvier 2015) qui est dans le patrimoine de Denoël, l’autre qui vient d’une rencontre avec les éditions Gallmeister autour du très beau roman de David Vann, Sukkwan Island, dessiné par Ugo Bienvenu, enfin un inédit d’un scénariste désormais attaché à nous : Antonio Altaribba, avec Moi, Assassin dessiné par Keko. Nous sommes détenteurs des droits mondiaux de ces romans.

Propos recueillis par Didier Pasamonik

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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