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Jean-Michel Javaux : « La bande dessinée est salutaire pour ma santé mentale ! »

Par Charles-Louis Detournay le 1er juin 2009                      Lien  
le Co-président du parti écologique francophone belge nous fait part de sa passion pour la BD, et de la façon dont il voudrait la promouvoir dans le futur.

Co-Président du parti Ecolo, Jean-Michel Javaux nous accueille dans la maison communale d’Amay. C’est une faste semaine pour lui, car entre le triomphe de son club de football préféré (le Standard) qui vient de remporter pour la seconde fois consécutive le championnat de Belgique, et les sondages qui ne cessent de monter, le temps est au beau fixe. Si nous l’interrogeons d’abord sur ses goûts en matière de bande dessinée, une fois n’est pas coutume, nous avons déjà pu nous faire une idée (un peu floue) de sa bibliothèque grâce à une photo publié dans l’édition belge de Paris-Match. Montre-moi ta bibliothèque, et je te dirais qui tu es ! Et pourtant d’agréables surprises nous attendent, de la part de ce leader politique doublé d’un lecteur fort sympathique…

Jean-Michel Javaux : « La bande dessinée est salutaire pour ma santé mentale ! »

« Pour diverses raisons, nous avons voulu faire le tour des têtes de listes des différents partis politiques pour évoquer leur passion pour la BD.

En guise d’introduction, je peux déjà vous dire que la bande dessinée est salutaire pour ma santé mentale ! Lorsque je suis stressé ou pris dans un débat, c’est une méthode de relaxation que de se plonger dans des horizons positifs et optimistes. J’avais en tête le titre du Standard, et bien entendu l’envie de retrouver ma famille et mes enfants, mais je pense aussi assez souvent à ma demi-heure de BD par jour ! Bien entendu, ce sont souvent des albums que j’ai déjà lus dix fois, mais j’y prends toujours autant de plaisir ! D’ailleurs, lorsque je fais le tour de mes albums, je me sens souvent triste car je ne suis plus dans une histoire, et c’est souvent à ce moment-là que je fonce chez mon libraire. La BD donc une de mes grandes passions avec, dans le désordre, l’écologie, la famille, l’Italie et le vin.

Comment vous est venu ce goût pour le neuvième art ?

Avant ma naissance, ma famille était déjà abonnée à Spirou et j’ai été accompagné par les BD de Spirou pendant de longues et belles années. Très jeune, je collectionnais déjà tous les Lucky Luke et les Astérix, j’en connais d’ailleurs une bonne part par cœur. Si le magazine Tintin représentait l’ennemi, comme l’opposition Standart-Anderlecht [1], Pif Gadget a également bercé mon enfance, et c’est sans doute de là que provient mon goût des séries historiques tels que Rahan et surtout Masquerouge, que j’ai suivi chez Glénat avec bien entendu les Sept Vies de l’Épervier. Par après, j’ai bien entendu évolué avec mon âge, mais si je lis une dizaine de bouquins par an, et surtout en vacances lorsque j’ai du temps, j’achète bien plus d’albums, sans compter ceux que je relis !

Ce que vous évoquez rejoint sans doute une bonne part du public, qui, dans la vie de plus en plus active que nous vivons pénètre plus rapidement dans un album pour se délasser aux dépends de livres et de romans plus imposants...

Tout d’abord, le format permet d’accorder un temps plus court pour une histoire complète, sans pour autant faire un gros effort intellectuel pour replonger dedans. Je le dis sans connotation péjorative, car pour moi, la bande dessinée est plus qu’un art noble. D’un autre côté, je fais souvent un parallèle avec les séries télévisées, mon autre dérivatif : alors que j’ai plus de deux cents films enregistrés que je dois voir, je me plonge plus volontiers dans une série de cinquante minutes qui parvient à me délasser sans trop me fatiguer. Et donc avant de dormir, je repars dans mes albums. Je suis donc très fier d’être un lecteur de bande dessinée, et je m’en cache pas car elles se trouvent dans mon bureau !

Concernant justement vos lectures, on a cru reconnaître Blueberry, les Femmes en Blanc, Chevalier Ardent, Murena, Djinn, Thorgal, le Grand Pouvoir du Chninkel, ainsi qu’une impressionnante série Vécu de Glénat !

Les bandes dessinées étaient chez mes parents, et à leur décès, ma sœur et moi nous sommes partagés très amicalement ces albums, chacun reprenant ceux qu’il préférait. Nos enfants vont les lire, chez les uns et les autres. A ce titre, les collections divisées, c’est très sympathique. Ma sœur a les Michel Vaillant, j’ai les Astérix, et il n’y avait que trois Blueberry. Le goût de cette formidable série ne m’est donc venu que très tard, et cela a été dix ans de recherches pour réunir les anciennes versions, si possible en première édition originale, parce que j’apprécie le papier jauni, le look visuel dans la bibliothèque, et puis il y a un sentiment indéfinissable d’avoir quelque chose d’inaccompli. Comme mes XIII dont j’avais le premier tome en broché, vendu lors d’une opération commerciale : j’avais même l’impression que le dessin était différent, alors que ce n’était pas le cas. Par contre, aucun remord pour les Tintin, c’est ma sœur qui les a, et cela ne me manque pas !

En voyant ce que vous lisez, vous vous éloignez effectivement de la ligne claire …

Au-delà d’Hergé, le dessin dépouillé ne me transporte pas. Normalement, c’est effectivement plus le scénario auquel je dois accrocher, mais il faudra que le dessin me plaise. Ainsi, j’ai eu du mal à transcender le style graphique pour accrocher à Calvin & Hobbes. Auparavant, j’étais fort attaché aux récits historiques, et tout-à-fait opposé au fantastique, et c’est Thorgal qui est parvenu à me faire entrer dans ce monde ! J’ai ainsi pu apprécier Star Wars, après avoir lu la série de Van Hamme et Rosinski. Mon goût de l’Histoire et du Moyen-âge m’a bien entendu entraîné dans les Vécu : les Aigles décapitées, Dampierre, Timon des Blés, Giacomo C., les Pionniers du Nouveau Monde, etc. D’un autre côté, ma passion du football m’a poussé à collectionner les Éric Castel ! J’aime également beaucoup Djinn, pour l’évocation du sensualisme : je suis vraiment fan de Jean Dufaux.

Vous pourriez alors bien vous entendre avec Didier Reynders [2] !

Ah oui ! (Rires) Alors, je suis très inquiet parce que c’est la même chose en musique !

Tout de même, vous avez aussi une orientation plus humoristique avec Les femmes en blanc ?

C’est mon amoureuse, infirmière, qui les dévore car elle aime aussi la bande dessinée ! Dans mes séries préférées, je ne pourrais pas passer à côté de XIII qui m’a accompagné pendant mes études, et même si les albums finaux ont souffert de leur succès, les deux derniers m’ont bien plu. J’ai trouvé incroyable l’idée de reprendre le personnage de la Mangouste. En tant qu’étudiant, après mon baptême et avant d’être comitard [3], je lisais quatre heure par jour, assis à la FNAC ! Outre l’Histoire, ce sont donc les séries réalistes qui me plaisent, comme l’Ordre de Cicéron dont j’attends impatiemment la suite. J’adore également le dessin de Bourgeon dans le Cycle de Cyann ; je voudrais l’accrocher au mur, mais je n’adhère pas au récit, malgré l’évocation d’une société plus écologique. L’exception est Lanfeust de Troy, dont l’humour a une fois de plus été la clé pour m’ouvrir à un autre univers. Mais de nouveau, le cycle des étoiles m’a déplu, je l’ai trouvé bien moins drôle. Appréciant Thorgal, on m’a offert le Grand Pouvoir du Chninkel, mais je n’ai pas été convaincu.

Vous devriez essayer la version originale en noir et blanc, le déclic se produira peut-être. Murena reprend votre passion pour Rome et pour l’Histoire, mais je suis étonné de ne pas retrouver Alix !

Je les ai lus chez un ami, mais cela ne m’a pas passionné. Par contre, ma BD culte, c’est le Troisième Testament, avec la période des Templiers qui me fascine. J’ai aussi d’autres rapports à la BD, en faisant connaissance avec Jean Van Hamme, mais j’ai aussi de grandes amitiés avec des caricaturistes comme Kroll qui a fait mes faire-part de naissance. J’ai aussi retrouvé l’ancien rédacteur-en-chef des Spirou que je dévorais, Thierry Tinlot [4], avec qui j’ai fait de l’improvisation et qui s’est d’ailleurs présenté sur nos listes. C’est assez anachronique de me figurer ce que Spirou avait représenté pour moi, alors que je suis maintenant devenu le président de Thierry et qu’il anime nos congrès.

Un Fluide Glacial spécial vert est d’ailleurs paru récemment. Vous lisez plus spécifiquement ce qui a rapport à l’écologie ?

Spirou a aussi fait depuis très longtemps de la sensibilisation à l’environnement. Avec d’autres influences apolitiques que j’aimais comme REM et U2, c’est aussi Spirou qui m’a sans doute poussé vers l’écologie. Plus que le JT qu’on ne regarde d’ailleurs pas toujours, je garde une image forte de l’encart de Spirou qui présentait le naufrage de l’Amoco Cadiz. La BD peut donc être une très bonne façon d’être sensibilisé par le respect de la planète. Je devais d’ailleurs remettre le prix Tournesol [5] il y a deux ans au festival d’Angoulême, mais empêché, c’est une de mes collègues qui m’a remplacé.

Globalement, je prends la BD pour un divertissement lié à la culture. Je ne pense pas que je vais mourir en ayant des regrets, car grâce à mes séries, je vais pouvoir me renseigner sur des parties de l’Histoire que je connais moins bien. Et c’est justement la richesse de pouvoir apprendre aux jeunes sans les plonger dans de lourds manuels d’Histoire. Pédagogiquement parlant, j’essayerai que mes enfants puissent profiter tôt de la BD, bien que pour ma fille de 6 ans, le virus est déjà passé. C’est aussi une façon de les sortir de la télévision, très addictive. En tant que président de Patro [6], les petits journaux et informations diverses qu’on envoyait vers les parents et les enfants étaient illustrés par des cases de BD connues comme le Petit Spirou et autres. Ce moyen de communication plaisait d’ailleurs beaucoup, et nous avons gardé chez Ecolo l’esprit de placer des dessins, qui disent parfois plus que de longs discours.

Votre avis sur Bruxelles BD 2009 et le Centre Belge de la Bande Dessinée ?

Comme ma collègue Evelyne Huytebroeck chapeaute cela pour Bruxelles, j’ai une vision très en retrait sur ces manifestations, mais je suis enclin à promouvoir tout ce qui peut améliorer l’attrait de Bruxelles. Le CBBD est une bonne approche qui pourrait être plus moderne et plus active. Ayant quatre enfants, mon regard se porte souvent de ce côté. S’ils peuvent être acteurs, ils vont passer une heure à apprendre et à découvrir. S’ils sont uniquement spectateurs, ils vont rapidement passer outre.

Est-ce que vous avez pu développer des programmes particuliers pour la bande dessinée ?

Nous avons reçu pas mal de demandes de personnes réalisant des recueils pour les professeurs et enfants, abordant des thématiques pédagogiques précises : la drogue, le décès d’un proche, etc. Dans la commune où je suis bourgmestre [7], pendant les heures de bibliothèque, nous avons créé des ateliers d’écritures et de dessin pour les candidats à la réalisation de ces petits albums.

Est-ce que la noria des caisses d’albums qui entrent et qui sortent des librairies vous pose question, écologiquement parlant ?

J’ai effectivement souvent remarqué ces caisses qui allaient et venaient, mais je me demandais surtout s’il fallait toujours mettre autant d’albums à la nouveauté, car on voit parfois des piles impressionnantes et peu de vendus. Mais c’est compliqué de poser un avis sur ces transports car ils font partie intégrante du système des éditeurs. Ce n’est sans doute pas une bonne chose du point de vue écologique, mais je préfère alors revoir l’ensemble des techniques de transports plutôt d’attaquer seulement les libraires.

D’un autre côté, même s’il n’y a presque plus de petites librairies de bandes dessinées, je sais que leur combat face aux hypermarchés n’est pas toujours évident, et nous avions réfléchi, en son temps, à une politique de prix unique du livre, comme en France. Nous avons plutôt statué sur un écart maximal, de manière à maintenir les différentes remises possibles chez les libraires.

Enfin, je voulais aborder la reconnaissance des auteurs, comme la France vient de le faire il y a peu en les élevant à la dignité de Chevaliers des Artes et des Lettres. Est-ce qu’il ne faudrait y penser pour la Belgique ?

L’équivalent des Légions d’Honneur en Belgique, ce sont les titres de baron. En Communauté française, il y a différents prix, mais je pense que dans cent ans, la bande dessinée sera aussi renommée, si pas plus, que les peintures que l’on expose dans nos musées. Il faut effectivement un soutien des pouvoirs publics pour accompagner cette ascension naturelle, et dans cette voie, beaucoup de moyens peuvent être mis en œuvre. Il faut donc travailler sur la reconnaissance de l’art, la commission d’aide à la bande dessinée est un premier pas, et on peut aller beaucoup plus loin. Je pense que cette reconnaissance vient toujours de l’organisation de grands évènements. Dans le futur, cela permettrait de prolonger l’aide à la création, par une meilleure diffusion, un soutien à l’enseignement et une gestion du patrimoine. »

Sans utilité directe pour le lecteur, à part les propos rapportés, Jean-Michel Javaux a avoué sa méconnaissance des statuts actuels des auteurs, de la gestion du patrimoine belge du neuvième art et de la commission d’aide à la bande dessinée. Pourtant, il y a manifesté un grand intérêt, et souhaite pouvoir s’y plonger dans le futur.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Photos : © CL Detournay

[1Les deux grands clubs de football wallon et bruxellois.

[2Président de la droite francophone belge

[3La Belgique tolère toujours les "baptêmes étudiants", autrement dit bizutages, les "comitards" encadrant les "bleus".

[4Aujourd’hui éditeur de Fluide Glacial. NDLR.

[5Prix pour un album encourageant l’aspect écologique.

[6Mouvement de jeunesse.

[7NDLR : L’équivalent de maire en Belgique.

 
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