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Jean Van Hamme (1/2) : « Le Télescope est le récit le plus drôle que j’ai écrit »

Par Charles-Louis Detournay le 21 janvier 2010                      Lien  
En marge de ses séries d’action, le papa de Largo Winch, Thorgal, XIII et bien d’autres, nous conte comment une bande de vieux ratés parviennent à entretenir ensemble une petite jeunette, afin de s’improviser arnaqueurs pour les beaux yeux de la belle.

Avant d’être adapté pour la bande dessinée, le Télescope avait été publié en roman, comme Largo Winch

À la base, il s’agissait d’un téléfilm acheté par une société de production française qui n’existe plus. Mais dans les années 1980, mettre en scène cinq vieux n’était pas très vendeur et le téléfilm ne s’est jamais tourné. Je l’ai donc adapté une première fois pour en faire un roman. Malheureusement, ce dernier, sorti en 1993, n’a pas eu de diffusion en France, ce qui peut expliquer son faible succès : neuf cents exemplaires vendus. Mais comme je persistais à trouver que cette histoire était bonne et qu’elle n’avait pas connu le succès qu’elle méritait, je me suis dit que j’allais profiter du petit nom que j’ai dans le milieu de la bande dessinée. Bien entendu, mon espoir secret est qu’un producteur s’y intéresse maintenant pour me demander d’en faire un téléfilm. Le troisième âge est devenu plus à la mode. De plus, rien de plus facile pour moi : le script est déjà écrit (rires) !

Jean Van Hamme (1/2) : « Le Télescope est le récit le plus drôle que j'ai écrit »Pour cette adaptation, est-ce le format des quatre-vingts pages qui vous a attiré chez Casterman ?

Je m’entends bien avec la plupart des directeurs éditoriaux, mais si chaque maison a ses qualités, il faut avouer que Casterman gère mieux les one-shots que les autres. A contrario des Long courrier et autres Signé, Casterman a bâti une bonne partie de sa renommée dans ce registre. Puis, depuis le Grand pouvoir du Chninkel, cela fait des années que Casterman me demande de faire un album chez eux, j’essaye donc de faire plaisir à tout le monde. Pour info, nous en sommes à 350.000 exemplaires francophones vendus du Chninkel, ce qui est assez appréciable.

Avez-vous dû modifier encore beaucoup votre seconde mouture pour l’adapter en album ?

Non, je n’ai pas du modifier grand-chose. Mais je l’ai écrit sans savoir qui le dessinerait. En réalité, la seule difficulté résidait dans le fait ‘d’illustrer un roman’, tout en parvenant à bien retranscrire les émotions des personnages sur leurs visages. Ce n’est pas une qualité courante.

© CL Detournay

Jusque là, Paul Teng a surtout œuvré dans les récits historiques. On sent pourtant qu’il a plus travaillé l’expression des personnages, forçant un peu plus le trait.

Il y a effectivement un petit peu de caricatures dans ses illustrations. C’est ce qui m’a donc attiré chez lui. Au départ, j’avais imaginé qu’Alain Dodier aurait pu s’en charger. Je trouve qu’il rend fort bien les ambiances urbaines. Mais les quatre-vingts pages l’auraient tenu deux années éloigné de Jérôme K. Jérôme Bloche. Et puis Arnaud De La Croix m’a présenté le travail de Paul Teng et j’ai surtout été frappé par sa capacité à faire passer les émotions : le rire, la surprise, etc. Et en plus, c’est un garçon charmant. Donc, après avoir travaillé ensemble les visages des principaux personnages, l’album s’est fait assez naturellement. Je pense d’ailleurs que deux points forts de cet album sont la distinction et la caractérisation des divers protagonistes, renforcée par cette légère pointe caricaturale. Ce que n’auraient pas pu faire d’excellents dessinateurs, comme Denayer ou Vance.

Parlons un instant de vos personnages assez atypiques en bande dessinée : une équipe de quinquagénaires, à deux doigts de la retraite !

La première séquence est la mise en place des personnages, qui est cruciale pour l’album : il fallait rendre cette amertume d’être arrivé professionnellement au bout d’une carrière qui n’avait pas correspondu aux rêves qu’ils avaient étant jeunes, comme la majorité des gens. Je voulais aussi évoquer leur désert sentimental : ils sont seuls majoritairement.

Voyez-vous votre récit comme une ode à l’espoir : quand on veut, on peut ?

Plutôt comme une ode à la folie ! À travers les péripéties qui leur arrivent en entretenant cette jeune femme, qu’ils s’en sortent ou pas, ils n’auront aucun regret, car ils vivent des moments qu’ils leur seraient restés à jamais inconnus : des instants de folie en communion parfaite ! Le titre du téléfilm évoquait d’ailleurs bien cette solidarité : Les Amants associés ! Mais cela donnait tout de même une connotation qui ne me plaisait qu’à moitié.

Le petit groupe ainsi formé autour de cette jeune femme, apprend donc beaucoup plus de la vie, que pendant les longues années passées ?

Oui, mais ce qui me plaît particulièrement, c’est que la jeune femme qui sert de catalyseur au récit change aussi de statut : si elle a toujours été un objet, une ‘bimbo’, elle découvre son intelligence, mais aussi sa tendresse et son affection pour ces cinq hommes ! Comme elle a des tuyaux sur cette magouille immobilière qui est un classique du genre, elle décide de leur en faire profiter ! Mais c’est bien une histoire à ne pas prendre trop au sérieux !

Ce qui change un petit peu des autres récits dont vous avez l’habitude !

Je me suis beaucoup amusé en l’écrivant, les premiers échos des lecteurs vont dans le même sens, bref tout le monde est content, comme les personnages de l’histoire, y compris le ‘méchant’ de l’affaire qui ne pâtit pas vraiment de cet arrangement.

Quels ont été les points de départs de ce récit ?

Après la mort d’une personne dont je tairais le nom, j’ai rencontré une jeune femme qu’il entretenait, effectivement hollandaise. Elle avait toute la beauté de mon personnage, sans en avoir l’intellect. J’étais sidéré de voir que cette fille de 23 ans, en relation depuis ses 17 ans et mise à la rue par la veuve, ne savait strictement rien de la vie quotidienne : pas de permis de conduire, jamais acheté quelque chose elle-même, bref larguée ! Elle se demandait juste qui allait la soutenir à ce moment-là, je suppose qu’il y a eu des candidats. Ce souvenir m’est resté : une jeune fille qui n’est pas une call-girl mais qui, dotée de sa sensibilité propre, se retrouve à passer ainsi d’un homme à un autre.

Comment s’est créé le lien avec cette équipe d’amis de longue date ?

Mon père, qui a plus réussi sa vie affective que professionnelle, a été veuf très tôt, et invitait régulièrement une bande de copains, avec qui il échafaudait une série de projets, comme celui de partir vivre en Amérique du sud. Moi, gamin, je les écoutais en parler pendant des soirées entières, écoutant cette bande de ‘vieux’, mon père étant déjà assez âgé, rêver à leurs projets un peu fous. Cela ne m’a pas inspiré directement, mais en y repensant plus tard, ces rêves inaboutis ont ensemencé ce récit.

Il s’agit tout de même d’une parabole de l’amour comme solution au vice, car chacun des protagonistes qui a ses mauvaises habitudes, à envie de les perdre dans les bras de cette belle jeune femme !

Tous les hommes de plus de soixante ans ont des mauvaises habitudes. À cet âge, on n’a plus envie de changer, mais grâce à cette nouvelle envie de plaire, ils font un effort sur eux : ils font du sport, soignent leur apparence, etc. Tomber amoureux est donc une très bonne solution de vie.

Ce récit sans vraiment d’action est un registre dans lequel on ne vous attend pas spécifiquement ?

Je ne suis pas friand de l’action pure : j’évite les poursuites en voiture de plus d’une page car cela devient barbant (je ne suis pas Michel Vaillant). Bien sûr, on va tout de même s’étaler sur quelques pages pour un duel aérien au-dessus d’Hong Kong, sinon j’essaye de limiter. D’ailleurs, l’action en bande dessinée est avant tout un plaisir de dessinateur. Ces moments sont souvent des plaisirs très furtifs pour le lecteur, car je pense que c’est ce fameux espace entre les cases qui les comble avant tout. Pour le Télescope, il s’agit plus d’un roman dessiné, qui comprend moins d’action que de précédents récits. Si cela déconcerte le lecteur, et bien ce n’est pas très grave, il prendra cela pour de l’innovation. De toute façon, dans SOS Bonheur, il n’y avait pas tellement d’action non plus. C’était une série avec plus de tension, mais dans le Télescope, tout le monde est gentil !

A suivre ...

(par Charles-Louis Detournay)

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