Voici quelques jours, ActuaBD relayait l’information d’une nouvelle réorganisation à la tête du Lombard, Gauthier Van Meerbeeck se trouvant nommé à la direction éditoriale de la maison, tandis qu’un nouvel éditeur, Antoine Maurel, faisait son apparition. On peut s’étonner d’un remaniement faisant la part belle à des éditeurs juniors, Pôl Scorteccia semblant relégué à ses pénates parisiens.
En réalité, depuis le moment où Yves Sente choisit de quitter ses fonctions éditoriales au Lombard pour mieux se consacrer au scénario (Blake & Mortimer, Le Comte Scharbek, Le Janitor, enfin Thorgal…), il y avait du jeu dans le management de l’éditeur bruxellois. Pôl Scorteccia succéda à Sente et, se retrouvant à gérer les univers de Thorgal, trouva face à lui son ancien patron.
La disponibilité d’Yves Sente arrange Grzegorz Rosinski qui a l’ambition d’assurer l’avenir de son personnage, et son avenir tout court. Pour cela, il compte sur son fils Piotr et se réjouit de pouvoir s’appuyer sur un scénariste d’avenir avec qui il avait entamé une collaboration plaisante sur La Vengeance du Comte Skarbeek.
Un programme ambitieux
Entre la série principale et les séries secondaires, Kriss de Valnor et Louve, la première étant scénarisée par Sente, la seconde par Yann, les projets ne manquent pas, pas forcément dessiné par Rosinski d’ailleurs, mais toujours sous sa direction. Ainsi, Valnor est dessiné par l’excellent dessinateur italien Giulio De Vita et Louve par un artiste, russe celui-là, non moins solide : Roman Surzhenko. Le scénariste Didier Alcante travaille sur le script d’un troisième personnage, Alinoé. Une équipe de scénaristes de talent avec des dessinateurs de talent. Que rêver de mieux pour l’avenir du Fils des étoiles ?
Mais, en ces temps de « surproduction », la mise en place de trois scénaristes en ligne, autant de dessinateurs et de séries, en plus de la série principale, pose au moins cette question : ne risque-t-on, en publiant trop et trop vite, une surchauffe, une sollicitation trop abondante des fans qui pourraient être déçus à terme ? À cette interrogation, s’ajoute celle-ci sur la stratégie générale de la maison d’édition : le destin entier du Lombard peut-il reposer sur un seul segment du catalogue ?
Pôl Scorteccia, peut-être pour mieux temporiser, a validé chacune des étapes de ce développement et, faisant son travail d’éditeur, a semble-t-il tenté d’intervenir sur les scénarios de Sente dont l’influence auprès de la direction du Lombard reste entière, non seulement parce qu’il intervient en véritable directeur d’écriture sur les différents développements de l’univers Thorgal, mais aussi parce que, ce faisant, il en pilote le principal best-seller.
Soutenu par Grzegorz Rosinski qui vise à terme de prendre aussi sa retraite, laissant son fils Piotr et Yves Sente le soin de diriger la suite, la mise à l’écart de l’éditeur français a finalement été obtenue au profit d’Arnaud de la Croix.
Turbulences au sommet
Pourquoi, quelques mois plus tard, celui-ci est-il écarté à son tour ? Rien ne transpire du côté du côté du Building Tintin où l’on s’en tient à une langue de bois proprement soviétique. Mais on sent bien que Jean Van Hamme –qui n’en fait aucun mystère- tient à prendre de la distance face à ces circonvolutions qui ne l’intéressent plus guère. À 72 ans, il a d’autres choses à faire que de résoudre des questions de conflits personnels.
Or, fin 2009, à la suite de l’annonce du scénariste de ne pas continuer cette série, le Lombard lui avait proposé, ainsi qu’à Rosinski, de racheter le personnage de Thorgal. La chose est plus ordinaire qu’il n’y paraît. Cette pratique était fréquente dans les années 1940 à 1960 : Spirou, Tif & Tondu, Chlorophylle, Modeste & Pompon, ou Clifton avaient été cédés par leurs auteurs à leur éditeur. Récemment, Blake & Mortimer, Boule & Bill, Achille Talon étaient également tombés dans l’escarcelle de la holding belge. En broker avisé, Van Hamme avait entamé la négociation, sous le regard intéressé de Rosinski qui pouvait ainsi « évaluer » concrètement la valeur de son personnage.
Or, il semble bien que les conflits récents aient décidé Jean Van Hamme et précipité les choses, mettant le Lombard face à ses responsabilités : le scénariste de Largo Winch vient de conclure la cession des droits de son personnage à Média-Participations (et non pas au Lombard, il y a là une nuance tout à fait appréciable) pour un montant équivalent à sept années de droits d’auteur (hors droits dérivés et audiovisuels).
Ce faisant, il laisse le groupe comme seul interlocuteur face à son co-auteur. Il appartient maintenant au patron du Lombard, François Pernot de pacifier définitivement le dossier et de le mettre sur une voie profitable.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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