Le jour où une certaine critique de bande dessinée s’intéressera à ce que les bandes dessinées racontent et un peu moins à leur sémiologie, on s’apercevra peut-être alors du rôle central que certains auteurs, dont Jean Van Hamme, auront joué dans la bande dessinée franco-belge au tournant du XXIe siècle.
Commençant avec Epoxy en 1968, dessiné par Paul Cuvelier, édité par un label qui constitue alors l’avant-garde de son époque : Éric Losfeld (l’éditeur de Barbarella, de Pravda la survireuse, de Jodelle...), Van Hamme fait ses gammes dans l’ombre de Greg, scénariste incontournable et rédacteur en chef triomphant du Journal Tintin entre les années 1960 et 1970. Il en sera le digne successeur, dépassant son mentor en bien des points.
Oublions les jalons traditionnels de l’hagiographie : les débuts de cadre international, les voyages, et sa réputation de "Midas du scénario" et concentrons-nous sur la variété de ses thématiques : mythologie avec Epoxy, Sword and Fantasy mâtinée de SF dans Thorgal, western financier avec Largo Winch, thriller d’espionnage-aventure avec XIII, Lady S et Wayne Shelton, réflexion métaphysique mêlée de tolkiennerie avec Le Grand Pouvoir du Schninkel, saga familiale à la Zola avec Les Maîtres de l’orge, roman graphique conceptuel avec Histoire sans héros, satire politico-sociale avec SOS Bonheur ou Lune de Guerre, reprise à la limite du pastiche avec Blake & Mortimer ou même récit crypto-érotique (Cuvelier oblige...) avec Corentin...
Le tout servi par quelques-uns des meilleurs dessinateurs réalistes de leur temps, de Paul Cuvelier à André Chéret, de William Vance à Grzegorz Rosinski, de Philippe Francq à Hermann... dont les planches se retrouvent aux cimaises du Musée belge de la BD.
On le voit rien que dans cette liste : Jean Van Hamme expérimente, et sérieusement, en s’amusant. Et si son pragmatisme peut passer parfois pour de l’arrogance, c’est plus par souci d’éviter l’équivoque que par seule volonté de paraître. Sa carrière, il le sait, il l’a principalement derrière lui, mais il n’a pas dit son dernier mot et ménage encore ses effets : il se garde encore Largo Winch dont les diptyques ne constituent pas un engagement trop prégnant, contrairement à l’entrelacs d’intrigues de XIII ; il peut y diffuser sa petite philosophie sur la marche du monde, et il pilote les spin-off de XIII Mystery dont il s’est réservé le 13e scénario (dessin d’Olivier Grenson) en fin de cycle.
En aventurier de la bande dessinée grand public, il continue son voyage avec ce ferment que l’on retrouve tout au long de sa carrière prolifique : un évident plaisir.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Jean Van Hamme, Voyageur sans frontière
Jusqu’au 29 novembre 2015
Musée de la Bande Dessinée
20 rue des sables
1000 Bruxelles
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