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Jenny ("Sara et les contes perdus") : "Réaliser un manga, c’est courir un 100 mètres pendant des mois."

Par Thierry Lemaire le 6 avril 2012                      Lien  
Après le succès de {Pink Diary} et un passage par le style franco-belge avec {Mathilde}, Jenny revient à ses premières amours en lançant {Sara et les contes perdus}, une nouvelle série manga où monde contemporain et personnages imaginaires se télescopent. Un shojo très réussi.

Sara est bien embêtée. Dans le sous-sol caché de la librairie de sa mère, elle a découvert un livre de contes. Et en l’ouvrant, elle a libéré dans le monde réel les personnages de ces histoires qu’on raconte aux enfants. Elle n’a plus désormais qu’à réparer sa maladresse en replaçant par magie les fugitifs dans les pages de l’épais volume. La chasse est ouverte pour retrouver Blanche-Neige, les sept nains, le prince charmant et surtout la méchante reine, furieuse de voir qu’il y a tant de jeunes filles plus belles qu’elle dans la ville. Voila le pitch de ce shojo (manga pour les jeunes filles) qui donne l’occasion à Jenny de renouer ses fans de Pink Diary. Et à ActuaBD.com, de poser à la dessinatrice malgache, rare mangaka francophone, quelques questions.

Quelle est votre formation artistique ?

Après des études littéraires, je suis entrée dans une école d’arts plastiques, dans laquelle je pensais apprendre le dessin. En réalité, ça n’a pas été le cas. J’avais juste une petite option bande dessinée chaque semaine. C’est ensuite en entrant à l’école des Gobelins que j’ai pu pratiquer le dessin et apprendre à fabriquer un dessin animé.

Jenny ("Sara et les contes perdus") : "Réaliser un manga, c'est courir un 100 mètres pendant des mois."
Le tome 1
(c) Jenny/Delcourt

Et ce n’était pas des dessins animés japonais.

Non, pas du tout. À l’époque en tout cas, les dessinateurs tournés vers un style japonais n’étaient pas du tout majoritaires.

Et justement, comment c’était perçu aux Gobelins ?

Il y a quand même pas mal d’a priori. Ils ont tout de suite vu mes influences. Certains membres du jury ont tiqué, ceux qui étaient plutôt vieille école, Disney, mais d’autres étaient très curieux. Et aujourd’hui, ça devient complètement incontournable.

Les mangas, c’était votre première lecture de bandes dessinées ?

Non, pas du tout. Le manga, je l’ai découvert à l’adolescence. J’avais grandi avec les dessins animés japonais. Et j’ai découvert par un de mes cousins que ça existait aussi en bande dessinée. Surprise. Avant, je lisais du franco-belge et des comics.

Et par quelle série avez-vous démarré ?

Video Girl Ai, une série de Masakazu Katsura, un auteur que je suis encore, qui a marqué mon adolescence.

Et c’est là que vous avez eu le flash, que vous êtes passé au manga.

Oui. À l’époque, je lisais Gaston, donc je faisais du « Franquin ». Et mes nouvelles influences ont transformé mon dessin. Je me suis tournée vers le manga et j’ai décidé de créer mes propres histoires.

Et le tome 2
(c) Jenny/Delcourt

Il y a quelques années, les éditeurs avaient lancé l’idée d’un manga à la française, on avait appelé ça le « manfra » ou le « franga ». Et puis finalement, le soufflé est retombé. Est-ce qu’il y a beaucoup d’auteurs en Europe qui dessinent du manga ?

J’en connais très peu dans mon entourage. Il y a des dessinateurs de franco-belges qui sont intéressés, mais ils ne se lanceront pas parce que c’est trop compliqué. La quantité de travail est énorme pour réaliser 180 pages. Si on veut en vivre correctement, il faut travailler plus vite pour fournir un tome en 6 mois. C’est compliqué à gérer. Pas de vie sociale, pas de week-end. C’est courir un 100 mètres pendant des mois. Plus encore que pour du franco-belge.

Les deux premiers tomes de Sarah sont sortis en même temps. Donc vous avez dû faire les 360 pages en… ?

Huit mois.

Après Pink Diary, une série manga, vous étiez passé à un style franco-belge avec Mathilde. Vous revenez cette année au manga. Qu’est-ce qui vous avait le plus frustré dans l’expérience Mathilde ?

Là où je n’étais pas à l’aise dans Mathilde, c’est que je n’avais toute la place que je voulais pour raconter ce que j’avais envie de raconter. En passant de 180 à 46 pages, je me suis sentie à l’étroit. Ça m’a frustrée. Et puis il a fallu que j’adapte ma manière de raconter l’histoire au niveau du storyboard, du découpage. J’utilisais plus souvent les ellipses. J’avais moins de place pour sonder les sentiments des personnages. Il y avait vraiment plein de choses sur lesquelles j’étais frustrée. En revenant au manga, il a fallu que je me réadapte à nouveau. Ça a été un petit peu compliqué, mais j’avais l’expérience de Pink Diary, donc c’est revenu assez vite.

Est-ce que les lecteurs de Pink Diary ont enchainé sur Mathilde ou bien ont-ils été déroutés parce que ce n’était plus du manga ?

Je pense qu’il y a eu une sorte de trou entre Pink Diary et Mathilde. Beaucoup de lecteurs de Pink Diary n’étaient pas au courant que j’avais commencé une autre série. Récemment, dans la rue, des lectrices m’ont dit « Alors, vous avez arrêté après Pink Diary ? ». Mais certains ont suivi. D’autres m’ont découverte avec Mathilde parce qu’ils ne lisent que du franco-belge.

Même publiées chez le même éditeur, les séries mangas et franco-belges ont un public très séparés.

Oui, il n’y a pas eu vraiment de liens entre les deux univers.

Avec cette nouvelle série, pourquoi être revenue à du Shojo ?

Le Shojo, c’est un genre que j’adore, qui m’inspire énormément. C’est là où je me sens le plus à l’aise, où je m’éclate le plus. Ceci dit, Sarah n’est pas un shojo à proprement parler. Ce n’est pas focalisé sur les histoires d’amour de mon personnage. Alors que Pink Diary, ça traitait vraiment des sentiments. Je suis plus dans une histoire où il y a un peu plus d’aventure, de mystère, de magie... J’avais envie d’apporter cette touche magique.

Si j’en crois votre bio en fin d’album, c’est un scénario que vous aviez en tête depuis un certain temps.

Oui, j’avais commencé à faire cette BD à l’adolescence, à 14 ans. J’en avais réalisé un bon nombre de pages. C’est resté dans un coin de ma tête et quand j’ai décidé de revenir au manga, j’ai remanié le scénario pour le présenter à mon éditeur.

Et cette idée de faire apparaître des personnages de contes dans la vraie vie, c’est parce que vous avez été marquée par ces histoires dans votre enfance ?

Non, pas particulièrement. J’avais envie de dessiner des personnages un peu fantastiques et je trouvais que les contes étaient appropriés pour être mêlés au genre « magical girl ».

Pour démarrer, vous avez choisi Blanche-Neige. Pour quelle raison ?

Parce que c’est un conte extrêmement connu, que j’apprécie beaucoup. J’avais envie de les mettre en avant en premier.

C’est sûr que ça permet d’aborder des thématiques qui peuvent intéresser des jeunes filles. La beauté, l’apparence, c’est pas mal pour ça, Blanche-Neige.

Oui, j’avais envie de me replonger dans les contes pour voir ce que je pourrais faire comme parallèles avec la vie contemporaine. M’amuser avec les contes. Après, je prends la liberté d’interpréter à ma manière certains personnages qui ne sont pas forcément très détaillés ou qui ont des zones d’ombre.

Et après avoir réglé son compte à Blanche-Neige, quel conte sera abordé ?

En ce moment, je suis dans la réalisation du tome 3, qui va clore le cycle Blanche-Neige, et j’ai déjà anticipé sur le prochain. Mais je ne vais pas révéler le nom du prochain conte, pour laisser le suspense...

Il y a un nombre total de tomes prévu pour cette série ?

Pour l’instant non, ça dépendra de mon enthousiasme et du retour du public.

Alors, j’ai peut-être l’esprit mal placé, mais il me semble qu’il y a un érotisme latent dans ces deux albums. Outre le physique très avenant des personnages principaux, quelques sous-vêtements qui passent par ci par là, des cases assez ambiguës… C’est un petit jeu courant dans le shojo ?

Dans la plupart de ceux que j’ai lu, non. Pour ma part, c’est l’influence de Video Girl Ai, qui parlait d’histoires d’amour adolescentes en montrant par ci par là quelques détails suggestifs. Allez savoir pourquoi, moi ça m’a tout de suite interpellée. J’ai beaucoup de plaisir à dessiner des personnages féminins. La rondeur du corps féminin me fascine. De ce côté là, je me fais assez plaisir.

Passons à un tout autre sujet, c’était important de garder le sens de lecture français ?

Important non, mais dans ce sens là que je lis, donc je n’avais pas envie de me triturer le cerveau pour tout refaire dans l’autre sens.

Il n’y a pas derrière ça la volonté de dire, c’est un manga, mais attention, pas dessiné par une Japonaise ?

Non non, c’est juste pour mon confort personnel.

Pour en revenir à la charge de travail, en six ans, vous avez réalisé huit Pink Diary, cinq Mathilde et deux Sarah. Vous pouvez nous le dire maintenant, on est entre nous, que vous avez un studio derrière vous ? À la japonaise, avec un assistant pour les décors, un pour l’encrage, etc. Finalement, vous ne faites que les crayonnés ? (rires)

J’aurais aimé bénéficier d’un studio, mais malheureusement, je n’ai que mon mari pour m’aider. (rires) Ce qui n’est déjà pas si mal parce que ce n’est pas donné à tous les auteurs. La grosse partie du dessin, c’est moi qui le fais. Lui, il va revenir derrière, surtout au niveau de l’encrage. Il n’intervient ni sur la création, ni sur le storyboard. Pour moi, c’est une bénédiction de l’avoir à portée de main. Et comme je le connais, il y a une relation de confiance qui s’est installée. Je ne pourrais pas confier mon travail à quelqu’un que je ne connais pas. Il y aurait ce pas là à franchir dans l’idée d’un studio.

Propos recueillis par Thierry Lemaire

(par Thierry Lemaire)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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