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Jérémie Dres : « Je voulais retrouver la vie d’avant la Shoah et la vie d’aujourd’hui. »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 5 octobre 2011                      Lien  
Proche de sa grand-mère, Jérémie Dres décide après son décès de se rendre dans le pays dont elle était originaire et dont elle parlait souvent dans ses souvenirs d’enfance : La Pologne. Pour un juif, l’histoire de la Pologne se résume souvent à Auschwitz. Ce n’est pourtant pas cela que Jérémie Dres est allé voir là-bas.
Jérémie Dres : « Je voulais retrouver la vie d'avant la Shoah et la vie d'aujourd'hui. »
Nous n’irons pas voir Auschwitz – Jérémie Dres
Ed. Cambourakis

Quelle est la genèse de cet album ?

Il y a deux raisons qui m’ont amené à réaliser ce projet : la première, c’est le décès de ma grand-mère et la volonté de retrouver son univers, sa culture dont elle me parlait tant, là où elle a grandi ; la deuxième, c’est un article d’Olivier Guez que j’ai lu dans Le Monde Magazine sur la renaissance des juifs de Pologne.

Quand j’ai vu cet article j’ai été très surpris, parce que ma famille m’avait toujours dit qu’il n’y avait plus de juif en Pologne, que tout le monde était mort ou parti. Ça m’a donné envie d’aller voir là-bas.

C’est votre première bande dessinée. Vous avez étudié pour cela ?

Oui, mais cela part avant tout d’une passion, puisque je dessinais depuis l’âge de 10 ans. J’étais féru de BD de style plus classique comme Thorgal ou Blueberry...

Puis, j’ai fait des études avec ce projet en tête de sortir une BD un jour ou l’autre. Des études d’art, un bref passage à Duperré puis trois ans aux arts déco de Strasbourg. Mais finalement, mes études m’ont plus orienté vers l’art numérique, les installations, un domaine que j’explore depuis trois ans avec, en parallèle, toujours cette volonté de faire de la BD.

À Duperré, j’avais commencé à développer une écriture autour de l’autofiction et du quotidien. Aujourd’hui, il y a tout un domaine en BD réservé à ça, en particulier chez les auteures. J’avais commencé dans ce registre, puis j’ai laissé tomber. Cela m’a repris lorsque j’ai eu l’idée d’associer mes deux domaines de prédilection : l’autofiction et la géopolitique. Cela ajoutait une certaine richesse au récit.

Jérémie Dres en octobre 2011
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Car vous êtes allé enquêter en Pologne. Vous y étiez préparé ?

J’ai contacté Olivier Guez pour qu’il me donne quelques contacts sur place. J’avais prévu que la fin de notre voyage coïnciderait avec le Festival de culture juive de Cracovie. J’imaginais que le début serait fait de rencontres, de recherches et, qu’à la fin, nous pourrions mesurer le renouveau de cette culture grâce au festival. Les contacts sur place nous ont amené vers d’autres contacts, et nous avions à peu près deux ou trois rendez-vous par jour pendant une semaine avec des gens plus ou moins disponibles.

Quels gens ?

Nous avons réussi à rencontrer des gens tout à fait différents les uns des autres qui ont permis de constituer un véritable kaléidoscope de la vie juive en Pologne : des jeunes juifs branchés, des gens qui ont connu et souffert du communisme,… ceci à travers l’association socio-culturelle TSKZ créée à la fin de la guerre (une association laïque) pour mettre les choses en perspective, mais également des religieux, orthodoxes et progressistes, des archivistes également. Tout un tas de gens, illuminés ou non, qui cultivent et préservent à leur manière le riche héritage des juifs de Pologne.

Il y a des moments de vraie parano. Les Polonais sont-ils antisémites, finalement ?

Ah,ah, je ne vais pas tomber dans le panneau ! C’est une question délicate. Nous avons mon frère et moi été positivement surpris puisque nous partions avec de gros clichés, le fameux "méfie- toi des Polacks" pour toutes les raisons liées aux pogroms d’après-guerre [1], de restitution de biens, etc.

L’histoire des relations entre Juifs et Polonais est assez compliquée. En tout cas, nos clichés sont tombés après le voyage. En effet, il nous est arrivé d’avoir peur et même très peur dans la campagne polonaise, mais il s’est avéré que cette peur n’était pas justifiée. Nous n’avons pas été confrontés à l’antisémitisme. Nous avons découvert cet épisode méconnu de mars 68 en Pologne avec cet antisémitisme d’état dont je parle dans le livre. Après la Guerre des six jours où les Égyptiens avaient été défaits par les israéliens, l’Égypte, alliée de l’U.R.S.S. à laquelle était inféodée le gouvernement communiste polonais, une violente campagne antisémite a été menée suite à l’agitation provenant de la jeunesse polonaise. Le gouvernement a joué la carte de l’antisionisme, les juifs présents sur le sol polonais étaient considérés comme des espions d’Israël. C’est ainsi que la majorité des juifs ont été déchus de leur nationalité et ont perdu leur boulot. Certains sont revenus après la chute du Mur pour différentes raisons. Ce sont ces gens que j’ai rencontrés notamment dans cette association TSKZ, mais aussi à Paris : Anna Rabczynska, par exemple.

Nous n’irons pas voir Auschwitz – Jérémie Dres
(C) Éditions Cambourakis

Le gouvernement polonais entretient-il une ambigüité à ce sujet ?

C’est fini aujourd’hui. Le défunt président Kazcinsky a pris des initiatives pour permettre aux juifs de mars 68 de récupérer leur nationalité plus facilement. Ces juifs n’ont en général pas envie de retourner en Pologne, j’imagine, mais il y en a aujourd’hui d’après les institutions juives de Varsovie. Le gouvernement subsidie l’association TSKZ et la communauté juive locale.

Une question à la Madame Sarfati : vous êtes juif ?

Bien sûr ! Juif de Pologne par mon père, c’est pour ça que j’ai souhaité aller là bas, sur les lieux de nos origines. C’est le retour aux sources, comme pour ces écrivains juifs new-yorkais que j’aime bien : Jonathan S. Foer et Daniel Mendelsohn. C’est le retour au shtetl !

Le thème juif dans la bande dessinée, présent maintenant avec des auteurs comme Will Eisner, Art Spiegelman, Ben Katchor ou Joann Sfar, vous semble un vrai sujet, suffisamment universel, voulons-nous dire ?

Bien entendu, parce qu’au delà du thème juif, il y a des thématiques universelles utilisées par tous ces auteurs qui permettent de parler à tout le monde. On voit bien que leurs livres rencontrent un succès universel dépassant largement la communauté. L’exotisme, l’histoire, l’extermination,… toutes ces thématiques trouvent un écho chez tout le monde.

Comment avez-vous trouvé le chemin des éditions Cambourakis ?

Je leur ai envoyé mon manuscrit car j’aime la qualité de leurs livres de façon générale. Et lorsque j’ai rencontré Frédéric Cambourakis, j’ai été séduit par la manière qu’il avait de concevoir la réalisation de mon livre, alors j’ai été chez lui. Je dois dire qu’après mon voyage, j’ai réalisé une série de pages qui constituent le chapitre central du livre. Puis j’ai démarché des éditeurs, car je souhaitais qu’il y ait un suivi éditorial. Je voulais échanger lors de l’élaboration du livre.

Finalement, pourquoi vous n’êtes pas allé à Auschwitz ?

Je n’y suis pas allé, car c’est la chose la plus naturelle qu’un juif, venant de là bas en plus, aurait faite : aller à Auschwitz. Mais je voulais retrouver de la vie, la vie d’avant la Shoah à travers ses traces : synagogues, immeubles, morceaux de mur, archives familiales, tombes… et voir en même temps la vie d’aujourd’hui. Le passage à Auschwitz aurait dénaturé notre voyage. J’envisage d’y aller un jour, mais, dans ce cas là, peut-être que ce sera la seule destination de mon séjour…

Propos recueillis pas Didier Pasamonik

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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[1Le 4 juillet 1946, 40 juifs survivants de la Shoah et deux chrétiens en transit à Kielce sont massacrés par la population, sur une rumeur de sacrifice rituel, sans que la police n’intervienne. Cet événement a déclenché une vague d’émigration des juifs de Pologne.

 
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