"Les plus grands méfaits du Clown Prince du Crime" : tel est le sous-titre de cette volumineuse anthologie concoctée par l’équipe d’Urban, sous la houlette d’un Yann Graf en charge des textes de présentation, toujours éclairants, non seulement des trois sections qui découpent chronologiquement l’ouvrage, mais aussi de chacun des dix-sept épisodes ici rassemblés.
Et le moins que l’on puisse dire c’est que l’ensemble tient ses promesses au fil des 368 pages qui composent ce véritable pavé dévolu à la gloire du Joker. Au-delà de cette succession de récits le lecteur est invité à saisir l’évolution du personnage, tant narrative et psychologique que graphique.
Mais c’est aussi l’histoire de Batman en tant que franchise, ainsi que celle du comics en général qui se laissent entrevoir. Car derrière la figure du Joker, ce sont celles des grands scénaristes et dessinateurs qui l’ont fait vivre que l’on distingue [1].
Pour autant, toute sélection effectue des choix, impose des sacrifices. Nul doute que d’aucuns regretteront telle histoire ici absente et qui leur semble pourtant essentielle dans la construction du Joker. C’est la dure loi de l’échantillon et, pour nous, par exemple, si nous avons été ravis de retrouver un récit de Paul Dini, et comprenant parfaitement l’intérêt à l’associer au travail de Bruce Timm sur le dessin animé des années 1990, nous avions un souvenir plus fort du travail de l’auteur sur les enquêtes classiques de Detective Comics.
Toutefois ce type de réaction, inévitable, n’est que de peu d’importance face à la somme collectée, à chaque fois parfaitement expliquée et justifiée. C’est dès lors un bonheur de parcourir ces décennies en compagnie du Joker, comme c’est un bonheur de retrouver le rythme des récit courts, bouclés sur un chapitre, nerveux et allant à l’essentiel, se dispensant de se déployer en maxi-séries et cross-over tortueux.
Cette anthologie rend ainsi aussi justice et hommage à ce format du one-shot si précieux et un peu minoré dans la période récente du comics. D’ailleurs, si certains des chapitres de l’anthologie convainquent moins, malgré leur intérêt quant à la caractérisation du Clown Prince du Crime, c’est précisément parce qu’ils sont un peu douloureusement extraits de récits plus longs.
Bien évidemment, ce type d’offre laisse de côté les grands récits qui ont aussi - surtout ? - contribué à façonner l’imaginaire moderne du Joker. On pense ici notamment aux romans graphiques de Frank Miller (The Dark Knight Returns, 1986), Alan Moore (Killing Joke, 1988), Grant Morrison (Arkham Asylum, 1989) ou Jim Starlin (Un Deuil dans la famille, 1989) de la deuxième moitié des années 1980.
Mais cette approche du patrimonial, construite autour d’un échantillonnage chronologique et thématique, appuyée par des textes de présentation de qualité ouvrant l’univers du personnage au lecteur, s’avère une solution éditoriale pertinente par sa dimension historique même et par la diversité qui la caractérise. Une approche à même de compléter idéalement ces grands récits clefs et de mieux faire comprendre le mouvement du comics depuis ses origines jusqu’à nos jours.
(par Aurélien Pigeat)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Joker Anthologie. Collectif. Traduction Philippe Touboul. Textes de présentation Yann Graf. Urban comics, collection "DC Anthologie". Sortie le 20 mars 2014. 368 pages. 25 euros.
Commander ce livre chez Amazon ou à la FNAC
Lire également la chronique du Batman Anthologie chez le même éditeur et selon le même principe
Lire aussi les chroniques de deux volumes faisant la part belle au Joker : Empereur Joker d’une part et Batman T3 d’autre part.
[1] Citons, à titre d’exemples, et de manière non exhaustive, outre les créateurs Bill Finger, Bob Kane et Jerry Robinson, Dick Sprang, Carmine Infantino, Dennis O’Neil, Neal Adams, Len Wein, Alan Davis, Alan Grant, Paul Dini, John Byrne, Chuck Dixon, Ed Brubaker ou encore Mark Waid
Participez à la discussion