Le procès le plus retentissant de l’après-guerre débute à Paris le 23 juillet 1945. Au beau milieu de l’été, un an après la libération de la capitale, c’est sous une chaleur harassante que la foule s’agglutine devant les portes du Palais de Justice. Et pour cause, c’est aujourd’hui qu’à lieu le procès du maréchal Pétain. Le procès d’un vieux monsieur de 89 ans, que l’on dit sénile et dont on a du mal à croire qu’il fut tour à tour le sauveur de la République puis le meneur de l’ignoble période de la collaboration. Seulement trois mois après la capitulation de l’Allemagne nazie, s’ouvre le procès d’un personnage qui, aujourd’hui encore, reste énigmatique.
Philippe Saada avait raconté le déroulement du procès Pétain dans un passionnant documentaire diffusé sur Planète et France 5 (le DVD sera d’ailleurs en vente à partir de novembre prochain). Le dessinateur a choisi de travailler avec l’un des piliers de La Revue Dessinée, Sébastien Vassant, pour adapter son documentaire en bande dessinée.
Les documentaires sur Pétain ne manquaient pas, mais le propos de Juger Pétain ne passe pas par la case classique de la biographie chronologique pour brosser le tableau du Maréchal. Au contraire, suivant scrupuleusement les minutes du procès, il transpose son déroulement, permettant d’entrevoir tous les tenants et aboutissants de cet épisode crucial de l’après-guerre, avec ses personnages influents qui expliquent les rouages de la politique de l’avant-guerre, cette IIIe République défunte, et sa valse de représentants de tous ordres. Pour renforcer l’authenticité de l’ambiance de l’époque, le récit profite également du point de vue de spectateurs privilégiés que sont Joseph Kessel, Albert Camus, François Maurias et Madeleine Jacob.
Que les amateurs d’Histoire soient prévenus : ils n’apprendront certainement pas de nouveaux éléments sur la période de la collaboration en elle-même. Mais la place occupée par chacune de ces figures historiques permet de mieux comprendre la difficulté du procès qui s’est tenu dans l’esprit particulier de l’après-guerre.
Les minutes du procès auraient très bien pu donner le sentiment de durer des heures si les deux auteurs n’avaient imaginé casser très fréquemment son déroulement par des digressions. Les auteurs osent un léger humour sur le fond et sur la forme. Ce léger décalage, et les incursions diverses cassent le rythme hypnotique du duel entre l’accusé et ses juges, ce qui maintient l’attention du lecteur.
En dépit d’une introduction un peu lente, Saada & Vassant multiplient les points de vue et les explications pour proposer sans doute un des plus passionnants et pertinents ouvrages sur la période. Un outil de médiation instructif et passionnant pour raconter la guerre aux plus jeunes.
(par Charles-Louis Detournay)
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