Plus new-yorkais que lui, tu meurs ! Pfeiffer est le pur produit de cette ville dont la majorité des habitants est issue de l’immigration. Ses débuts dans le dessin, il les faits aux côtés des gloires du comic-book, de Lou Fine à Wallace Wood, dans l’atelier de Will Eisner pour lequel il réalisera quelques-uns des scénarios du Spirit parmi les plus inventifs. Dans ce comic-shop qui réunit la plupart des futures gloires de l’industrie des super-héros, presque tous sont originaires d’Europe centrale, fuyant une barbarie nazie qui détruira bientôt leur communauté d’origine. « Reconnaissez que, vu sous cet angle, écrit Feiffer dans le New-York Times en 1996 dans un article en hommage à Jerry Siegel, le scénariste de Superman, vous pouvez mieux comprendre la portée symbolique de la planète Krypton. Ce n’est pas de Krypton dont était originaire Superman, mais bien de la planète Minsk, de Łódz, de Vilna ou de Varsovie ! »
Ce n’est pas un hasard si Feiffer rend dans le premier essai marquant sur la bande dessinée américaine, The Great Comic Book Heroes (1965), un hommage appuyé à Will Eisner qu’il contribue à remettre à la mode au début des années 70, celui-ci devenant même une sorte d’icône du mouvement Underground : il en est un des principaux héritiers, reprenant cette décontraction discursive, rarement cynique et toujours centrée sur l’humain, une manière dont on peut penser qu’elle s’alimente également au Kurtzman de Mad (bien plus féroce, en substance) et dont on retrouve les échos peut-être inconscients, comme une onde qui s’étend comme sur une pièce d’eau, dans les travaux de bon nombre d’artistes contemporains comme Sempé, Daniel Goossens, Joann Sfar ou Blutch..
Je ne suis pas n’importe qui en est un bon exemple. Composé de six petits contes humoristiques aux accents philosophiques, il réunit Passionella, une merveilleuse fable sur les apparences médiatiques écrite pour le magazine Pageant, Harold Swerg, une variation drôlatique sur la contradiction entre le bonheur et l’engagement, étonnamment écrite pour une revue de sport, La lune de Georges, une fine réflexion sur la pluralité des mondes alors que l’Amérique est engagée dans l’aventure spatiale, La machine solitaire, étrange comme un conte d’Hoffman qui bat en brèche le féminisme militant de Playboy, Munro ou l’histoire d’un jeune conscrit appelé à faire son service militaire à l’âge de quatre ans et qui a fait l’objet d’une adaptation en court-métrage de dessin animé ; enfin, La relation, un pantomime qui dit tout sur la vie de couple vue par l’auteur.
Si l’on a aimé, on pourra aussi se reporter à son roman, Harry, salaud avec les femmes (Éditions Joëlle Losfeld, en librairie également ces jours-ci, précisément le 4 octobre), sorte de biographie du séducteur idéal, tel que fabriqué par notre société toujours à l’affût de l’homme providentiel –vieille antienne messianique- qui lui permettra d’absoudre les difficultés du quotidien. Un fantasme évidemment.
Bravo aux éditions Futuropolis et à Alain David pour ce magnifique travail éditorial [1], d’autant que la traduction de l’ouvrage est réalisée par Cavanna, le créateur de Charlie Hebdo, l’un de nos maîtres à penser avec humour depuis plusieurs décennies.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Jules Feiffer sera aux cimaises de l’exposition "De Superman au Chat du Rabbin" qui démarre le 16 octobre prochain.
En médaillon : Jules Feiffer. (c) DR
[1] Qui doit également à Fantagraphics, l’éditeur d’origine.
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