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Julie Birmant & Catherine Meurisse : "C’est quelque chose de très difficile de montrer ses failles, de dégager des émotions et d’en faire rire"

Par Laurent Boileau le 20 février 2010                      Lien  
L'aventure, au départ radiophonique, de ces immersions dans l'intimité de femmes connues, a débouché sur un livre grâce à la rencontre de Julie Birmant et Catherine Meurisse. Pas de démarches féministes derrière ce livre, juste la beauté et la sincérité de rencontres humaines touchantes.

Qu’est-ce qui vous a motivé à réaliser un livre alors que votre parcours est éloigné de la bande dessinée ?

Julie Birmant : Quand j’ai vu l’humanité qui se dégageait de Quand La mer monte, le film de Yolande Moreau, je me suis dit qu’il y avait dedans la vraie beauté humaine et qu’il y avait des femmes qui osaient le montrer. C’est quelque chose de très difficile de montrer ses failles, de dégager des émotions et d’en faire rire aussi parce que c’est sur cette ligne fragile qu’elles se placent comme une sorte de funambule qui à la fois émeut et fait rire. Je me suis dit que je devais rencontrer Yolande Moreau et donc je lui ai écrit une lettre. Ça c’est un premier point de départ de Drôles de Femmes.
Et puis il y avait en même temps, une réflexion qui était de me dire : "moi je me sens mal à l’aise dans les cases, je me sens seule mais peut-être qu’il y a des femmes qui sont comme moi et qui ont eu plus d’audace, qui ont osé faire le pas : montrer leurs failles, faire rire et monter sur scène". Et après une longue enquête, j’ai commencé à avoir de l’admiration pour ces femmes qui, comme Sylvie Jolie, Maria Pacôme, Tsilla Chelton, ont osé faire rire en montrant leur failles. Le rire qui me touchait moi, c’est le rire émouvant et drôle à la fois, une sorte de Woody Allen féminin. Tout ça, c’était une enquête personnelle et radiophonique au départ.

Julie Birmant & Catherine Meurisse : "C'est quelque chose de très difficile de montrer ses failles, de dégager des émotions et d'en faire rire"
"Drôles de femmes" par Julie Birmant et Catherine Meurisse
Éditions Dargaud

L’origine du livre est donc ces documentaires de création diffusés sur France Culture ?

J.B. : J’avais fait cette rencontre avec Yolande Moreau pour la radio et Catherine, en dessinant tard le soir, a entendu ce documentaire.

Catherine Meurisse : Grâce à la magie de la radio, j’avais aimé cette intimité, ces bruits et ces silences lors de l’interview de Yolande Moreau, mais je n’avais pas du tout imaginé qu’on ferait quelque chose de dessiné ensemble. C’est un ou deux ans après que j’ai reçu un manuscrit de Julie : elle avait retranscrit ses interviews en se mettant en scène dedans. J’ai trouvé son manuscrit génial et son écriture très belle. C’était presque un roman, toute cette série de rencontres était touchante, drôle. Nous nous sommes demandées s’il fallait que j’illustre juste son livre pour faire un livre illustré… Et puis en réfléchissant, je me suis dis que non. Comme Julie est très observatrice, son écriture était très visuelle et donc il fallait le faire en bande dessinée. J’ai alors créé un personnage qui est Julie et qui est le fil directeur de l’histoire.

Comment s’est déroulé le casting ? Il y a eu beaucoup de rencontres ?

J.B. : Oui, c’était comme une vaste enquête. Je suis aussi une jeune femme et je voulais comprendre le secret de ces femmes. Puisqu’on ne pouvait pas dépasser un certain nombre de pages (100 pages), nous avons dû faire un choix et sélectionner les dix femmes qui nous paraissaient avoir un univers assez différent. On a essayé d’éviter les redites et de rester dans les limites du lisible parce que si on avait raconté l’histoire de toutes les femmes que nous avions rencontrées, nous aurions fait 1000 pages !

Ce n’était pas trop douloureux de laisser de côté certaines rencontres ?

J.B. : J’ai rencontré des femmes qui m’ont beaucoup touchée humainement mais qui peut- être étaient moins connues et donc moins intéressantes pour le grand public. Un exemple : Caroline Simonds est une Américaine qui a fondé « le rire médecin », elle travaille dans les hôpitaux et elle est toujours en train de faire rire les enfants ; moi c’est une femme qui m’a bouleversée : elle a fait des foires, du théâtre de rue, qui a eu une histoire incroyable… Il y en a d’autres aussi comme une Israélienne qui a aussi fait du théâtre de rue, des mimes… Mais voilà ce n’étaient pas des femmes connues et nous avons décidé de ne choisir que des femmes que le grand public connaissait. Il y avait aussi une image médiatique que nous voulions fissurer, montrer ce qu’il y avait en dessous. Nous avons aussi "éliminé" les femmes qui n’avaient pas assez vécu parce qu’elles étaient trop jeunes.

Julie, qu’est ce qui vous a surpris dans l’adaptation de Catherine ?

J.B. : En fait, c’est assez apparenté la façon de traiter le texte en BD et en radio : on est dans un endroit et on part dans d’autres endroits, dans des replis de la mémoire. Et c’est ça qu’il y a de beau dans l’immédiateté du dessin. C’est-à-dire que nous sommes, par exemple, avec Anémone, son chat et un verre de champagne, et la case d’après, nous partons dans son enfance. C’est ça que je trouve magique dans la BD : cette capacité à voyager dans le temps, dans les univers et dans les décors.

En même temps, ce que l’on retrouve dans la BD et qu’il n’y a pas dans la radio c’est le point de vue un personnel, les petites réflexions de Julie…

C.M. : La plupart de ces réflexions étaient déjà écrites. Il y en avait même beaucoup plus que ça mais j’en ai transformées plusieurs dans l’image sans avoir recours au texte : c’est dans le comportement du personnage, dans ses attitudes… C’est son corps qui fait des remarques.

J.B. : C’est d’ailleurs là qu’on voit qu’on se connaît bien parce que certaines personnes m’ont dit « mais, attend là ! C’est tout à fait toi ! ». Ce personnage, c’est moi bien sûr, mais c’est aussi Catherine qui s’est totalement identifiée au texte et qui en a fait l’adaptation. C’est-à-dire que je lui ai donné un texte qui était beaucoup plus volumineux que ce qu’on peut lire (même si parfois il y a beaucoup à lire dans Drôles de Femmes…). Et c’est Catherine qui, par sa sensibilité, s’est dit : "voilà c’est cette histoire là que j’ai envie de raconter". Nous racontons le roman de ces femmes qui elles-mêmes se racontent, toujours avec une façon romanesque de se présenter. Et Catherine transforme ça en histoire, à sa façon.

Catherine Meurisse

C.M. : Nous avons été très complémentaires sur ce livre. J’ai rencontré certaines des femmes que Julie avait interviewées : mais, à chaque fois, j’étais rouge comme une tomate. Je n’arrivais pas à poser de questions. Julie, elle, avait cette audace que je trouve formidable. Elle était comme mon « deuxième moi ».

J.B. : De même qu’en dessin, elle a eu l’audace de me présenter sous forme d’un petit personnage à la Woody Allen, face à ces femmes célèbres et reconnues. Je pense que cette façon de présenter les rencontres montre aussi l’humanité spéciale de ces femmes qui sont tout sauf des stars, qui ne se prennent jamais au sérieux parce qu’elles accordent une attention à une femme qui n’est personne, sans égard pour ma hiérarchie sociale, parce que je ne suis qu’un petit personnage maladroit avec une queue-de-cheval.

Catherine, la collaboration a –t-elle été facile ?

C.M. : C’était très amusant à faire. Je n’ai pas l’habitude de bosser avec des scénaristes parce que je suis de l’école Charlie Hebdo, où on sait faire sa « petite cuisine » tout seul. Et la dernière BD que j’ai réalisée, j’étais toute seule et c’était formidable. Donc pour moi travailler avec un scénariste, c’est une galère : on va m’imposer un découpage, des dialogues… Et là, sur cet album, ça ne s’est pas du tout passé comme ça, c’était vraiment un travail à deux. C’était un véritable partage, c’était formidable de travailler de cette manière.

(par Laurent Boileau)

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