Organisé par l’écrivain Ludovic Bablon, responsable de l’Atelier Überall, et l’éditeur de Warum/Vraoum Wandrille Leroy, l’événement, de modeste envergure, a néanmoins rassemblé certains incontournables de la scène berlinoise mainstream, comme Mawil et les membres du collectif Moga Mobo, de même que plusieurs visages familiers de la scène berlinoise plus underground, comme Maki Shimizu, Sylvain Mazas et Julienne Jattiot.
À l’occasion de la table-ronde sur le fanzine et la micro-édition qui s’est déroulée dans le cadre du festival, ActuaBD a rencontré cette dernière, qui a bien voulu nous accorder un entretien.
Française établie à Berlin depuis 2003, Julienne Jattiot est diplômée en design graphique de la KHB (École supérieure d’art de Berlin, située dans le quartier Weissensee de l’ex-Berlin Est), un des viviers de la scène de la BD berlinoise d’où sont sortis Ulli Lust, Jens Harder, Markus "Mawil" Witzel, Ulrich Scheel, Hamed Eshrat et bien d’autres. Graphiste, illustratrice et typographe, elle publie depuis 2004 avec son éternel Kumpel [1] David Parrat le Fanzine Limace, qui paraît au rythme fulgurant – caractéristique du gastéropode dont il porte le nom – de trois numéros par an (sauf parfois).
Julienne Jattiot, vous êtes originaire de Paris et, comme quelques Français, vous avez fait de Berlin votre ville d’adoption. Pour quelle raison ?
Julienne Jattiot : J’ai vu Berlin pour la première fois en 1995, à peine cinq ans après la Chute du Mur. Ce qui était immédiatement frappant, surtout pour une Parisienne comme moi, c’était à quel point la ville était spontanée, non institutionnelle, assez wild en fait. Tout était à reconstruire, les lieux appartenaient à la rue, aux gens : les bâtiments étaient investis par des squatteurs et aménagés en lieu de vie commune à vocation artistique ou sociale, en bars ou en clubs plus ou moins clandestins, en ateliers, en galeries… Il suffisait d’avoir un projet pour pouvoir le réaliser, tout était possible. C’est ce contraste par rapport au caractère institutionnalisé de Paris qui m’a intéressée et qui m’a donné envie de m’installer ici. Aujourd’hui, les choses ont pas mal changé, mais Berlin reste marquée par cette liberté un peu brutale.
Comment est né Limace ?
J.J. : Au tout début de mes études à la KHB, j’ai rencontré un Suisse fou, qui, non content d’être médecin, voulait être en plus auteur de BD. C’est le genre de curieux oiseaux qui font l’ordinaire de cette ville. On a fondé ensemble un fanzine de BD qu’on a appelé Limace parce qu’on se doutait bien qu’on ne pourrait pas sortir un numéro tous les mois. Pour nous, c’était une plate-forme d’expérimentation graphique idéale pour faire nos armes.
Comment fonctionne la revue ?
J.J. : Il s’agit d’un collectif. Chaque numéro comprend une couverture sérigraphiée et 32 pages (format A5) imprimées en noir et blanc. Il y a un thème par numéro. Tous ceux qui le veulent peuvent participer (moyennant un talent minimal et dans les limites des pages disponibles). Une histoire fait cinq pages maximum – sauf pour David et moi, vu qu’on est les chefs ! Ce qui veut dire que c’est nous qui devons nous taper l’impression des 120 couvertures en trois couleurs, plier à la main les quelques 1100 pages des cahiers, distribuer à vélo les exemplaires chez les libraires indépendants... C’est de la vraie auto-édition !
C’est commun de s’auto-éditer dans le monde de la BD berlinoise ?
J.J. : Plutôt oui, enfin surtout quand on débute. Ce qui est génial à Berlin, c’est justement qu’on peut facilement réaliser des projets de ce genre avec peu de moyens. Il y a plein d’ateliers où on peut imprimer pour pas très cher, et la vie d’une manière générale est peu coûteuse. Du coup, des projets qui rapportent peu ou rien peuvent voir le jour et perdurer pendant des années.
Quand on voit ce que font les Moga Mobo, par exemple, c’est assez extraordinaire : depuis plus de dix ans ils produisent un fanzine gratuit, complètement autofinancé grâce à quelques pubs d’entreprises locales en rapport avec la BD, distribué dans toute l’Allemagne à 10.000 exemplaires dans les librairies indépendantes et les cafés, alors même que le lectorat de bande dessinée en Allemagne est quasi inexistant… Il y a d’ailleurs une vraie volonté, chez les libraires indépendants, d’encourager et de distribuer ce genre de projets non commerciaux, produits la plupart du temps en édition très limitée, souvent faite à la main, à la limite du tirage artistique. Les librairies indépendantes foisonnent de ces très beaux objets qui sont comme de petites œuvres d’art qu’on peut se procurer pour quelques euros.
Ce qui est intéressant dans ces productions, c’est aussi qu’elles sont complètement trans-genre : elles vont de la BD classique au récit illustré en passant par du délire graphique dont la narration est très vaporeuse, combinant toutes les techniques graphiques possibles et imaginables. Rien qu’à cette petite table-ronde, par exemple, on a Marc qui fait du roman-photo, Olaf qui joue sur le pliage de sa feuille A4 pensé pour faire un fanzine sans reliure, et Limace qui qui à chaque numéro présente une grande variété d’approches.
À quand le prochain numéro ?
J.J. : Fin juin. Ce sera sûrement le dernier Limace proprement dit. Mais on compte bien continuer sous une autre forme. À suivre…
Propos recueillis par Manuel Roy
(par Manuel Roy)
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[1] Camarade ou comparse en allemand