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Kamui Fujiwara ("Dragon Quest - Emblem of Roto") : « Moebius, Bilal et de Crécy : voilà trois auteurs de BD que je lis. »

Par Aurélien Pigeat le 10 juillet 2014                      Lien  
À l'occasion de la sortie en France d'{Emblem of Roto}, les éditions Ki-oon ont invité son auteur, Kamui Fujiwara, lors de la quinzième édition de Japan Expo. Nous avons pu le rencontrer au cours d'une mini-conférence de presse avec d'autres média web (Bulle d'encre, Krinein et Unification France). Voici une sélection des question posées lors de cet entretien.

Né en 1959, Kamui Fujiwara est mangaka mais aussi character designer. Débutant sa carrière à la toute fin des années 1970, il connut un immense succès une dizaine d’années plus tard avec la série qui nous arrive aujourd’hui, quelques vingt ans après sa publication au Japon : Dragon Quest - Emblem of Roto, adaptation manga de la célèbre saga de jeux vidéo, que nous présentions voici peu.

Connaissez-vous la BD franco-belge, y a-t-il des artistes européens ou occidentaux qui ont pu influencer votre travail ?

Kamui Fujiwara ("Dragon Quest - Emblem of Roto") : « Moebius, Bilal et de Crécy : voilà trois auteurs de BD que je lis. »Il y en a évidemment beaucoup mais le premier qui me vient à l’esprit est Moebius. Ensuite, je dirais Enki Bilal et enfin Nicolas de Crécy [1]. Ce sont les trois qui s’imposent à moi immédiatement, trois artistes que je connais bien et dont j’ai suivi et je suis encore la production. Par ailleurs, il y a actuellement une BD que j’adore que s’intitule Lucha Libre [Une bande dessinée de Jerry Frissen. NDLR.] qui présente sept personnages héros affublés de masques de lutte mexicaine : c’est vraiment très amusant et ça m’a beaucoup plu. Après, il y a vraiment beaucoup et c’est difficile ainsi de tout évoquer.

Comment en êtes-vous venus à réaliser ce manga sur Dragon Quest ?

J’étais très très fan du jeu, dès le début de la série. J’étais tellement fan que je créais mes propres mini-mangas, fanzines basés sur l’univers du jeu. Quand Enix, la compagnie qui éditait le jeu, a créé sa revue de publication de mangas, Shonen Gangan, ils ont fait une offre pour créer un manga de Dragon Quest. C’est là que j’ai postulé, que j’ai envoyé ma candidature.

Dragon Quest III, sorti sur NES en 1988. Il s’agit du Dragon Quest préféré de Kamui Fujiwara. Il clot la trilogie de Roto tout en proposant une préquelle au deux premiers épisodes

Emblem of Roto a été publié au Japon entre 1991 et 1997, mais n’arrive qu’aujourd’hui en France : comment percevez-vous les choses 20 ans après ?

Il me semble que mon titre est finalement assez atemporel, il peut correspondre à l’attente du public, de quelque génération qu’il soit. On est là dans du classique, dans de l’Aventure avec un grand A : je ne pense pas que le temps joue beaucoup à ce niveau.

Lorsque vous avez débuté Emblem of Roto, quels étaient les artistes ou séries dont vous vous êtes inspirés ? Avez-vous le sentiment d’avoir inspiré de jeunes mangakas à travers cette série ?

On peut bien sûr repérer dans ce manga une « Toriyama Touch » assez présente qui reflète directement l’esprit Dragon Quest [2]. Après, pendant la prépublication d’Emblem of Roto a débuté la diffusion d’Evangelion [3] qui m’a fortement influencé pendant que je faisais ma propre série.

Pour ce qui est des jeunes mangakas qui auraient été influencés par mon travail, je peux difficilement vous donner de titres précis, mais en effet j’ai eu dans ma carrière de nombreux retours de jeunes artistes qui m’ont dit avoir lu Emblem of Roto et l’avoir particulièrement apprécié.

Ryohei Tamura, l’auteur de Beelzebub, nous confiait il y a peu l’admiration sans borne qu’il vouait à Emblem of Roto

Voilà un exemple en effet : il m’en a aussi parlé ici même. Des témoignages qui me parviennent, il semblerait qu’effectivement Emblem of Roto est une œuvre qui a marqué la génération actuelle des jeunes mangakas. Et cela me fait bien sûr très plaisir.

Qu’est-ce qui vous a posé le plus de problèmes dans son l’élaboration ?

Je pense que ce qui a été le plus difficile à mettre en œuvre a concerné le héros principal : trouver une manière de le mettre en avant. Par exemple, il y a, parmi les personnages secondaires, ses compagnons : les trois rois – Roi du Poing, Roi de la Lame, Roi de la Sagesse. Trouver une particularité, une spécialité, quelque chose qui rende le héros principal véritablement le pivot central de l’histoire a justement été le plus difficile pour moi.

Votre manga Emblem of Roto sort environ deux ans après La Quête de Dai. Cette œuvre vous a-t-elle influencé dans votre travail ?

En fait, jusqu’à ce que je sois impliqué sur le projet Emblem of Roto je n’avais pas lu La Quête de Dai. Je n’en ai commencé la lecture qu’en attaquant le travail sur Emblem of Roto, tout simplement pour éviter de faire la même chose.

Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez actuellement ?

En fait, je publie actuellement au Japon une série qui est la suite directe d’Emblem of Roto qui s’intitule Les Héritiers de l’emblème. Les héros de cette série sont les enfants des héros de la précédente série.

Une parution française de cette série est-elle prévue ?

Ahmed Agne [4] : Rien que l’on puisse dire officiellement…

Avez-vous eu l’impression que cet immense succès qu’a été Emblem of Roto vous a permis de faire ce que vous vouliez par la suite ou bien que cela vous a au contraire enchaîné à la destinée de cette licence, à l’univers de Dragon Quest ?

Il y a un petit peu des deux. Dragon Quest est une grande série emblématique : on ne peut s’en couper du jour au lendemain. Mais j’ai eu assez de pauses entre les différentes publications pour m’occuper de projets plus personnels. Le fait est que l’on est aussi très souvent revenu vers moi avec des offres intéressantes liées à l’univers de Dragon Quest. Et en tant que joueur, fan de Dragon Quest, ça n’a jamais été une corvée de devoir travailler sur des adaptations manga de cet univers que j’adore. Par contre, je pense, pour être honnête, qu’après la fin de la série sur laquelle je suis actuellement et dont je parlais auparavant, je vais m’éloigner de Dragon Quest. Ce sera sûrement la dernière.

Quels sont les mangas que vous lisez actuellement parmi ce qui se publie au Japon ?

En ce moment, je suis très intéressé par un manga intitulé Levius [5] Je trouve ce manga très intéressant dans la mesure où il a un esprit très bande dessinée : il se lit de gauche à droite et les textes des bulles sont écrits à l’horizontale, contrairement à ce qui se fait traditionnellement dans le manga, à la verticale. J’ai le sentiment qu’il a une visée internationale et cela m’a interpelé.

Travailler sur une licence telle que Dragon Quest doit imposer des contraintes : quelles étaient vos marges de liberté ?

J’ai été assez libre en fin de compte. Hormis la vérification, par un département spécialisé, des noms, des créatures et autres, il n’y a pas grand-chose qui pesait sur mon travail.

Le succès du manga en France a apporté le développement de manga à la française, ce que l’on désigne souvent par l’expression de Global Manga. Que pensez-vous de ce phénomène ?

Je trouve cela très bien dans la mesure où cela peut permettre davantage d’échanges culturels, notamment dans le domaine de la bande dessinée, entre nos deux pays. C’est le fait qu’il puisse y avoir des partages mutuels, dans les deux sens, qui s’avérera le plus intéressant.

Dans le premiers volumes d’Emblem of Roto, on a véritablement l’impression de jouer à une partie de Dragon Quest. Le récit est truffé de références, de marqueurs précis qui renvoient au jeu : équipements, accessoires ou même un clin d d’œil comme le « paf-paf » des courtisanes. S’agissait-il d’une sorte de charte à respecter ou bien d’une volonté de votre part d’inscrire le plus possible votre manga dans la filiation du jeu vidéo, de coller à sa narration ?

Je me suis mis à la place du lecteur et, en tant que joueur aussi, j’ai essayé de coller à cet univers, à son esprit, de proposer ce qui ferait plaisir au joueur du jeu vidéo, devenu lecteur du manga, de retrouver comme références.

Quelles furent vos relations avec vos tantô [6] durant la publication d’Emblem of Roto, et globalement au cours de votre carrière ?

Il faut savoir que le système éditorial au Japon n’est pas fait pour qu’on ait un représentant de la maison d’édition qui crée l’œuvre avec l’auteur, qui serait embarqué avec lui dans la même aventure. C’est un système de représentants de l’entreprise qui ne suivent le projet qu’un temps durant, qui changent donc de manière assez régulière. Parfois ce sont des gens avec lesquels on s’entend bien, d’autres fois ça ne va pas. En ce moment, avec le monsieur qui est juste derrière vous, ça se passe très très bien ! (rires).

Propos recueillis par Aurélien Pigeat. Merci à Odilon Grevet pour la traduction lors de cet entretien.

(par Aurélien Pigeat)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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© 1991-1997, 2006 Kamui Fujiwara / SQUARE ENIX © 1991-1997 Junji Koyanagi / SQUARE ENIX © 1991-1997, 2006 SQUARE ENIX CO., LTD. All Rights Reserved pour les illustrations tirées de Dragon Quest - Emblem of Roto.

Photo en médaillon de Kamui Fujiwara prise par Aurélien Pigeat

[1À ce sujet signalons que Nicolas de Crécy débute en ce mois de juillet 2014 une série dans un grand magazine de prépublication japonais : le mensuel Ultra Jump de Shueisha. Sa série, dont le premier chapitre paraitra dans le numéro sortant le 19 juillet prochain, s’intitule Professional Wrestling Kyôsôkyoku. Il ne s’agit pas de sa première incursion au pays du Soleil Levant : évoquons par exemple son travail dans le collectif Japon : la nouvelle Les Nouveaux Dieux, amenant plus tard son Journal d’un fantôme.

[2Précisons qu’Akira Toriyama est le character designer historique de la série.

[3Série animée réalisée par Hideaki Anno, dans le cadre du studio Gainax, d’abord diffusée au Japon entre 1995 et 1996.

[4Co-responsable éditorial des éditions Ki-oon avec Cécile Pournin

[5Manga de Haruhisa Nakata publié par Shogakukan, deux tomes au Japon, inédit en France.

[6Éditeur japonais de mangas. Son rôle est bien plus intrusif que celui de l’éditeur européen il entre pleinement dans le processus de création de la série. NDLR.

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