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Katz, un intrigant pastiche de Maus

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 2 février 2012                      Lien  
À Angoulême, un étrange ouvrage passait de main en main, alors que l'intégrale de l'œuvre d'Art Spiegelman était accrochée aux cimaises de la Cité de la Bande Dessinée. Son titre :" Katz". À l'intérieur, l'intégralité de l'œuvre-phare de l'auteur américain, sauf que toutes les souris sont soudainement devenues des chats...

Quelle est l’intention de ce pastiche ? Est-ce une démarche révisionniste qui tenterait de nier la réalité de la Shoah ? Pas du tout. La seule modification faite à l’œuvre est le remplacement systématique des personnages par des chats : plus de souris représentant les Juifs, ou de cochons représentants les Polonais, ni de chiens pour les Américains ou de grenouilles pour les Français : tous les protagonistes sont des Raminagrobis, au pelage différent, certes, mais ressortissant du genre félin.

Le pasticheur a laissé les dialogues originaux, le lettrage francophone d’origine, les décors, tous les détails, jusqu’à la signature d’Art Spiegelman en fin de volume...

Il pointe du doigt l’une des failles de ce livre central de l’évocation de la mémoire de la Shoah : la volonté de caractériser les Juifs comme différents des autres et sous la forme même qui était celle de la propagande graphique nazie : un rat.

La publication de Maus, à l’époque, n’avait pas manqué de susciter la réprobation de certains rescapés de la Shoah. Ceux-ci ne comprenaient pas qu’on puisse encore les représenter sous la forme de ces vecteurs de vermine. Dans Méta-Maus qui vient de paraître récemment (Flammarion), Spiegelman explique et défend sa métaphore qui est aussi une remise en cause de ces clichés.

Katz, un intrigant pastiche de Maus
Toutes les souris sont remplacées par des chats...
DR

Mais l’auteur anonyme de cet ouvrage, avec qui nous avons pu échanger quelques mots, défend son projet qui est avant tout un détournement, une forme de happening, comme ont pu le faire avant lui les Situationnistes.

Il déclare avoir décidé de questionner cette convention graphique en remplaçant les têtes de tous les acteurs de l’histoire avec des têtes de chats, redemandant la lecture de toute l’œuvre avec ce nouveau paradigme afin d’éviter de présenter l’Holocauste comme un moment privilégié de l’histoire juive mais comme l’image de l’impasse de la société contemporaine. Il espère faire naitre chez le lecteur une vision critique de la Shoah et plus précisément de la valeur du témoignage : " - Est-ce que le fait de représenter les acteurs de cette tragédie comme appartenant pas simplement à des races différentes mais à des ESPECES différentes ne rend pas la barrière entre les deux infranchissable, comme si les juifs ne pourraient être jamais capables de telles atrocités, comme si la nature, puisque les conventions animales nous obligent à penser les choses naturellement, avait décidé des rôles dans une telle tragédie."

Le questionnement est dérangeant, certes, mais pertinent. Il interpelle la démarche de la transmission de la mémoire alors même que les témoins sont fatalement amenés à disparaître peu à peu.

Cet ouvrage, qui est une contrefaçon évidente, ne comporte pas de nom d’éditeur, juste une référence Internet faisant allusion cette fois au titre d’un célèbre roman de Günter Grass, Maus und Katz (1961), interrogeant lui aussi les conséquences de la barbarie nazie : Mausandkatz.blogspot.com.

Sur cette page, on peut lire un forum où les premiers lecteurs du pastiche échangent leurs opinions, jusqu’à présent peu nombreuses.

Où se procurer le livre ? Nous ne le savons pas. Nous avons acquis le nôtre sur un stand d’Angoulême. Il est possible qu’on le trouve dans certaines librairies.

Que vont faire Spiegelman et Flammarion, son éditeur ? Nul ne le sait pour l’heure. Peut-être découvriront-ils cet ouvrage avec notre article. Affaire à suivre.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Shoah
 
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17 Messages :
  • Katz, un intrigant pastiche de Maus
    2 février 2012 01:14, par Fred

    Bonne idée, pertinente, belle relecture de cet ouvrage qu’il est mal vu de critiquer. C’est bien plus intéressant comme démarche que le Tintin au congo avec Tintin tout nu.

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  • Katz, un intrigant pastiche de Maus
    2 février 2012 08:33, par charlito

    "..afin d’éviter de présenter l’Holocauste comme un moment de privilégié de l’histoire juive..." ?, je ne pense pas que cette terminologie soit la plus appropriée, la notion de privilège étant peu évidente dans ce cas...

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    • Répondu le 2 février 2012 à  09:18 :

      J’ai peur que la Shoah devienne un genre littéraire, cinématographique. Qu’avec le temps, une stylisation remplace la réalité. Parce que ça aussi, c’est dangereux et du pain béni pour les révisionnistes.

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      • Répondu par Fred le 2 février 2012 à  19:06 :

        C’est déja un genre littéraire, en tout cas une niche éditoriale.

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        • Répondu le 3 février 2012 à  09:45 :

          Et alors, quoi ? Il ne faudrait pas écrire sur la shoah ? Se taire ? Faire comme si rien n’était arrivé ? Et puis aussi oublier le reste ? Serait-ce indécent de vouloir évoquer 1915, Nankin, le Rwanda, la Vendée ?

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          • Répondu le 3 février 2012 à  11:45 :

            Mais non, il ne faut pas se taire. Mais la stylisation, l’invention de stéréotypes, de clichés, le genre, c’est s’écarter du témoignage, de la vérité historique. C’est presque inévitable mais comment transmettre aux sans trahir ?

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          • Répondu le 20 mars 2012 à  13:14 :

            Quel rapport entre le Rwanda et la Vendée ???

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  • Katz, un intrigant pastiche de Maus
    2 février 2012 09:15, par Donald Duck

    Les souris, c’est le Peuple élu. Mais les chats, sont-ce les autres : goys, ou une frange de ces autres : les "aryens" ?
    Il n’existe qu’une seule race humaine. Alors, pourquoi ne pas dessiner que des souris ou que des chats ? Et si je ne me reconnais ni dans la souris, ni dans le chat, je suis quoi ? Un canard ?
    Effectivement, ce Katz intrigue et pose une question fondamentale sur cette œuvre majeure.

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    • Répondu le 2 février 2012 à  14:20 :

      Mais non, les souris ne sont pas le peuple élu. Seuls les juifs croyants pensent que les juifs sont le peuple élu. Or, la doctrine nazie voulait éliminer tous les juifs, croyants ou pas. La grande majorité des juifs ne sont pas croyants, ni en France... ni en Israël. Et, croyants ou pas, ils ont été déportés à cause de leur naissance, un point c’est tout. Pourquoi chercher des complications : les souris sont les victimes juives et les chats sont les bourreaux allemands, ou français, ou autres qui ont participé à l’élimination organisée des juifs, doctrine d’Hitler. C’est ce qui fait la particularité de ce qui est arrivé aux juifs : ce n’était pas un massacre quelconque, un crime de guerre (comme peut en commettre n’importe quelle armée ou foule déchaînée), mais un programme écrit d’élimination totale d’une population à cause de sa religion de naissance.

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      • Répondu le 2 février 2012 à  20:08 :

        André Schiffrin expliquait qu’Hitler avait rappelé aux non-croyants leur judéité. Donc, Qu’on le veuille ou pas, qu’on soit d’origine juive, juif croyant ou non-croyant, on ne peut pas s’affranchir de cette Histoiren. On fait partie de ce Peuple élu. Suffit pas de se dire non-croyant pour se débarrasser de son inconscient, d’être autrement au monde, de gommer les formes et les règles d’une culture et d’un culte. Il y a toujours une part de non-dit qui se transmet, de gestes incontrôlés, de valeurs morales, etc... Sinon, ce serait trop facile.

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        • Répondu par Albert le 3 février 2012 à  01:15 :

          Affligeant votre commentaire, on est juif si on veut être juif, il n’y a pas d’hérédité qui tienne, vous renvoyez les gens à leurs origines, ce qui est le plus élémentaire des racismes.

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          • Répondu le 3 février 2012 à  08:44 :

            Pas du tout. Personne ne vient de nulle part. Même un enfant né sous X cherche à savoir d’où il vient... même s’il hérite surtout de l’éducation de ses parents adoptifs. La pensée de Schiffrin (et de son père) serait donc affligeante ? Elle est au contraire très honnête, lucide, frontale et objective. Les Schiffrin ne se sentaient plus juifs mais l’Histoire en a décidé autrement. Ils ne pouvaient pas rester indifférents. Ils sont redevenus juifs, non-croyants mais juifs : nudas véritas. C’est énorme comme réflexion. Vous avez déjà rencontré un juif non-croyant vous dire qu’il se fiche de la Shoah, que les chambres à gaz ne sont qu’une anecdote de l’Histoire, non. C’est impossible. À moins d’être dément ou totalement masochiste.
            Le racisme peut naître du communautarisme comme du contraire : tabula rasa. Parce que si on remonte à l’origine des hommes, on a bien la preuve que nous sommes tous de la même espèce, non ? Donc, faire abstraction de nos origines, c’est faire abstraction de l’Histoire. C’est dangereux, non ? La porte ouverte au révisionnisme et au racisme aussi, non ?
            C’est vous qui êtes affligeant. Il y a une hérédité, toujours, inévitable, incontournable, plus encore : inconsciente. Suffit pas dire : j’ai été baptisé mais je ne suis pas catholique, mes parents oui mais pas moi. Parce que dans votre vie quotidienne, sans vous en rendre compte, vous agirez quand même en fonction de votre éducation... et vous vous comporterez souvent en catholique en croyant agir librement. Et cela peu importe la couleur de la peau, la religion, l’origine ethnique. C’est plus profond que ça. Même les Droits de l’Homme qui se veulent si universels ne viennent pas du néant, ils viennent des Tables de la Loi, de l’Ancien et du Nouveau Testament. Même le Marxisme est l’enfant du Capitalisme... Aucune religion, aucune idéologie n’est génération spontanée parce qu’aucun humain n’est génération spontanée.
            Donc, si vos parents sont juifs et que vous ne l’êtes plus, votre rapport à la Shoah est intime et impossible d’en faire abstraction. Vous vous sentez concerné, forcément. Ce n’est pas une question de "sang", c’est une question de langage. Ce sont les mots et le non-dit (mots absents, en creux, tabous...) qui vous lient à vos origines.
            Si vous me dites que Dieu n’existe pas, je vous dis que bien sûr qu’il n’existe mais on l’a inventé, et c’est parce qu’on l’a inventé qu’on peut nier son existence. Le fait même de dire Dieu le fait exister. Vous lisez des bandes dessinées, les personnages fictifs sont nombreux et pourtant, vous y croyez en suivant leurs aventures. Tout passe par le langage.

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            • Répondu par Albert le 3 février 2012 à  16:14 :

              Vous brassez du vent, mais renvoyer les gens à leurs origines et rien d’autre est le plus primaire des racismes, rien de plus.

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              • Répondu le 3 février 2012 à  17:41 :

                Je ne renvoie pas les gens à leurs origines et rien d’autre. C’est vous qui êtes exclusif. Notre histoire familiale pèse, mais ne suffit pas pour nous construire. Je ne vois pas ce qu’il y a de raciste à dire cela.

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                • Répondu le 4 février 2012 à  16:03 :

                  Je ne vois pas ce qu’il y a de raciste à dire cela.

                  C’est pourtant la base même du racisme. Vous devez être du genre à dire : "Je ne suis pas raciste, mais...".

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  • Katz, un intrigant pastiche de Maus
    2 février 2012 15:17, par livre aux trésors

    Ce livre est en ce moment diffusé en librairie où il devrait être mis en vente à partir de février ou mars, je crois. Il est référencé comme édité par la Cinquième couche. Et à titre personnel, s’il s’agit seulement de décliner l’antienne "c’est toute l’humanité qui est victime, c’est toute l’humanité qui est bourreau", je trouve son propos (ou à tout le moins son intention) simpliste et immature. Je ne crois pas que quiconque puisse aujourd’hui être choqué par Maus, et encore moins par cette tentative de pastiche d’un niveau de première année d’école d’art. Dans la bande dessinée, on est vite contents avec des réflexions à deux sous.

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    • Répondu le 3 février 2012 à  11:49 :

      Encore un petit malin qui veux faire parler de lui à peu de frais en déclenchant une polémique. Mais pour finir, la montagne accouchera.... d’une souris.
      Une suggestion pour son prochain album. La bête est morte de Calvo.

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